Christian Dufour contre la bilinguisation de la sixième année

Les caribous - Une mesure excessive et dangereuse

Enseignement intensif de l'anglais en 6e année

J'ai récemment communiqué avec M. Christian Dufour pour lui faire part de mes arguments contre la bilinguisation de la sixième année que j'ai déjà présentés aux lecteurs de Vigile: http://www.vigile.net/Une-connaissance-suffisante-de-l

M. Dufour a eu l'amabilité de me répondre ce qui suit avec une invitation à envoyer nos opinions aux journaux que je vous relaie. À vous de jouer!

Réjean Labrie, 4 mars 2011

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Voici le message que M. Dufour m'a adressé:

Merci pour votre commentaire monsieur.

Vous trouverez ci-attaché pour info le texte que je viens d'envoyer aux journaux ("Les caribous") sur la bilinguisation de la 6ème année.

Je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'il est possible à quelqu'un comme vous d'écrire sur le sujet, les courtes opinions du lecteur envoyées par courriel étant ce qui est le plus lu dans un journal comme Le Devoir, La Presse ou Le Soleil.

Merci CD

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Les caribous

Une mesure excessive et dangereuse

La décision du premier ministre Jean Charest de bilinguiser intégralement la 6ème année de l’école primaire francophone à la grandeur du Québec –cinq mois en français et cinq mois en anglais- résulte de la conjonction de deux facteurs. Tout d’abord, il existe une soif évidente d’anglais tout particulièrement dans ces régions massivement francophones où les anglophones sont absents, y compris la ville de Québec. Joue également une idéologie du bilinguisme qui, indépendamment de la réalité québécoise et des contraintes de notre environnement nord-américain, veut imposer une nouvelle norme : désormais TOUS les Québécois doivent être bilingues par principe sous peine de ne pas être mondialisés, modernes et ouverts. Ne parler que le français devient la marque d’un statut inférieur.

Il en résulte une mesure excessive à sa face même, incompatible à terme avec le maintien de la claire prédominance du français sans exclusion de l’anglais au Québec. En effet, on veut imposer la 6ème année bilingue aux jeunes du Saguenay et de Québec mais également à Gatineau et au West Island, où vivent des centaines de milliers de jeunes francophones souvent déjà bilingues et pour qui le défi linguistique est avant tout de vivre en français. Il y a également ces écoles de l’ile de Montréal où les jeunes issus de l’immigration apprennent tant bien que mal le français faute d’un nombre suffisant de francophones de langue maternelle, sans compter toutes ces parties de la grande région métropolitaine où l’apprentissage de l’anglais se fait tout naturellement au contact des anglophones. Vouloir bilinguiser la 6ème année dans ces milieux est aberrant.

Dans ce domaine de l’éducation où il y a tant à faire, cette réforme majeure requerra l’essentiel de nos efforts et de nos ressources consacrés pendant des années à ce qui est fondamentalement un faux problème. En effet, pour un peuple qui se veut majoritaire, les francophones québécois constituent déjà l’une des collectivités les plus bilingues de la planète, notre société étant en mesure de s’adapter à la progression graduelle du phénomène. Mais autant il est nécessaire de répondre à la soif légitime d’anglais dans les régions francophones, autant il est irresponsable de vouloir bilinguiser rapidement l’ensemble de la population sans tenir compte des conséquences que cela aura forcément sur la motivation des immigrants à apprendre le français de même que sur le marché pour des produits culturels en français à la limite de la rentabilité.

Les analogies avec les pays européens nordiques comme les Pays-Bas ou la Suède ne tiennent pas compte de notre situation géopolitique objectivement unique au cœur d’un continent massivement anglophone. Aucune collectivité sur la planète n’a le même rapport que nous avec un anglais qui nous pénètre à de multiples égards, alors qu’on cherche en vain le pays qui aurait consenti ailleurs à une telle bilinguisation d’une année du primaire.

Dans cet autre dossier où il s’avère capable de réquisitionner ses opposants souverainistes pour faire son travail, le premier ministre fait preuve d’une exceptionnelle habileté, arrivant presque à faire oublier son refus de donner l’heure juste aux Québécois dans le dossier de la corruption. M. Charest donne suite à la proposition de l’aile jeunesse du parti libéral à laquelle il s’était opposé il y a deux ans, alors qu’il avait insisté sur le fait qu’il fallait avant tout protéger le français. Où sont les mesures pour un meilleur enseignement du français - un problème nettement plus grave que celui de l’anglais- alors que le gouvernement du Québec se lance dans une opération totalement inédite de promotion systémique de l’anglais?

La bilinguisation intégrale de la 6ème année rend compte d’une tendance de fond qui ne porte pas le Québec vers l’excellence mais nourrit la médiocrité d’une société tentée par l’abdication de ce qu’elle est. Cela n’empêche pas le plus grand nombre d’applaudir sur le coup à une mesure censée manifester notre ouverture au monde et notre modernité. Ce n’est que plus tard que l’on réalisera que la généralisation accélérée du bilinguisme individuel aura des conséquences collectives jouant inéluctablement contre la prédominance du français sans exclusion de l’anglais dans notre société. L’élément nouveau est que cela se fera avec la complicité de ces souverainistes qui veulent nous faire croire qu’ils seront en mesure d’imposer le CEGEP en français à des adultes de 18 ans quand ils ne sont même pas capables de préserver l’enseignement en français à des enfants de 11 ans.

Les Québécois ressemblent furieusement ces temps-ci à une harde de caribous sans boussole et sans leader fonçant joyeusement dans le mur de leur non-avenir dans les deux langues.

Christian Dufour


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4 commentaires

  • Michel Pagé Répondre

    26 mars 2011

    Monsieur C. Dufour, et lecteurs,
    En effet, je partage votre point de vue.
    Dans un sens plus large encore la cohérence de la maternelle au cégep du système d'enseignement et d'éducation s'impose, une éducation et un enseignement professé en français, langue commune et cohésive.
    Sur le sujet des cégeps en français alors?
    Puis-je soumettre trois textes:
    1, et 2 sous Vigile http://www.vigile.net/Coherence-du-systeme-d-education
    2. sous Québec Droite: http://www.quebecdroite.com/2011/03/plan-d-integration-positive-et.html
    Bien votre.
    M.P.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mars 2011

    Elkouri, caribou sans bousole.
    Elkouri répond à Dufour : je suis un caribou sans bousole. Offusquée de la comparaison, elle répond à chaud, répétant ses propres arguments. Donc elle n’est pas de mauvaise foi, elle ignore vraiment que la loi 101 est devenue inopérante. Elle ignore le plan canadian d’assimilation par la bilinguisation. Les écoles passerelles et l’annulation de la francisation des immigrants, par l’émissaire d’Ottawa, l’affaiblissement de l’Office de la langue française, des vétilles. Le bilinguisme intégral au Québec, une nécessité contre l’ignorance!... Et la loi du français langue officielle au Québec, fantaisie ? La possibilité de gagner sa vie en français pour la nation québécoise, naïveté, repli ? Une demi année en anglais, au primaire, à l’âge où l’attrait du son étranger marque le plus les hormones, pas une incitation à la banalisation (la honte ?) du français ?
    L’enseignement sommaire actuel de l’anglais suffit à tout jeune curieux de pousser à son rythme l’apprentissage plus poussé, si désiré, par les médias. Nul besoin de camps d’été ou de cours privés si non jugé nécessaire, pas élitiste. Quel peuple parle sans accent l’anglais langue seconde, ou se sent humilié de conserver le sien ? Elkouri ignore vraiment que le minoritaire qui parle tout le temps à l’autre en sa langue lui dit qu’il n’a pas à apprendre une autre langue. Mais la mauvaise foi transparaît quand même quand elle prétend que Dufour prône la société unilingue. Elle persifle :
    « L’ignorance serait-elle devenue un outil d’affirmation identitaire ? Une société unilingue et fière de l’être, serait-ce là l’avenir tel que le conçoivent les caribous à boussole ? Vous pensez vraiment que, si l’on empêche les élèves québécois d’apprendre l’anglais, cela leur permettra de mieux défendre la langue française ? Vous pensez vraiment qu’une société est moins colonisée lorsqu’elle permet seulement à ses élites de maîtriser l’anglais ? »
    « Res ipsa loquitur » (choses parlent d’elles-mêmes), la madame montre ici ses fesses, comme le paon faisant la roue.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mars 2011

    Excellente analyse.
    John James Charest, premier ministre du Québec, est un homme animé d’une idéologie de type néolibérale qui croit uniquement à l’argent et à tous ce qui permet d’uniformiser la planète au plan économique et financier. Donc globalisation, signifie pour lui un pouvoir économique et financier mondial entre les mains d’un minorité de possédants, une langue commune à ces derniers, naturellement l’anglais et, finalement des lieux géographiques qui deviennent principalement des zones administratives. Les nations souveraines peuvent mourir, elles renaîtront peuples soumis au pouvoir économique et financier planétaire. Pour John James, ça c’est faire preuve de réalisme. Lui n’est pas dirigé par une idéologie, ce sont les autres qui s’opposent à cette vision prétendument réaliste.
    En langage d’aujourd’hui, John James Charest est le prototype du ferengi vivant sur ferenginar dont le comportement dépend d’une éthique codifiée par un ensemble de 285 règles dites "Règles d'Acquisition ferengies". Chacune est un conseil que chaque bon Ferengi doit suivre pour mener une vie profitable. Ces règles sont complétées par ce que les Ferengis appellent les cinq étapes de l'Acquisition : infatuation, justification, appropriation, hantise et revente. Les Ferengis ont à leur tête le Grand Nagus, dont la juridiction s'étend sur tout le commerce de l'Alliance Ferengie. (extrait de Wipikédia.org). Il y a des parallèles à faire entre le réel et la science fiction.
    John James souhaite au fond de son cœur que la terre devienne un ferenginar. De toute évidence, une majorité de québécois ne sont pas et ne seront pas de ferengis.
    Le Québec étant devenu un pays en 1982, il est temps pour les québécois de construire un pays à dimension humaine.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mars 2011

    C'est exactement l'image qui m'est venue face à cette intention de nos dirigeants et à la réaction positive quasi unanime. Tout le monde (même le PQ à qui j'ai signifié mon intention de déchirer ma carte de membre s'il endosse ce projet) se rue dans cette voie sans issue, comme des caribous ou, pour utiliser une image plus éculée, un troupeau de moutons. Désolant!