Les 400 coups de la presque reine

On a lancé tellement de sornettes et de demi-vérités que même le ministre Philippe Couillard en fut agacé. Et pourtant, il lui en faut beaucoup

Québec 2008 - autour du 400e



La visite en France de la gouverneure générale Michaëlle Jean s'est avérée fort instructive. Tout s'est passé comme s'il s'agissait du 400e anniversaire du Canada. Le Québec? Disparu. Notre presque reine a fait ses 400 coups avec l'aisance d'une ballerine, prenant plaisir à réécrire notre histoire avec un grand H (comme dans Harper). Pour ceux qui en doutaient encore, elle a démontré que ce statut de «nation» que le premier ministre canadien a reconnu au Québec en novembre 2006 n'est qu'une phrase de tribune destinée aux naïfs, comme le «Votre Non sera un Oui» de Trudeau au référendum de 1980. M. Harper considère même sa gouverneure générale comme la «successeure aujourd'hui de Samuel de Champlain, le premier gouverneur du Canada».

Mme Jean et son téléguideur n'étaient pas les seuls à faire dans le révisionnisme historique. Le premier ministre Charest (soigneusement absent pour laisser toute la place à la gouverneure) a fait également sa contribution en déclarant que Québec était le berceau du Canada. Encore trois ou quatre semaines de propagande, et Champlain aura fondé Ottawa. On a lancé tellement de sornettes et de demi-vérités que même le ministre Philippe Couillard en fut agacé. Et pourtant, il lui en faut beaucoup.
Au fait, Québec fut-il réellement le berceau du Canada? Oui, si on joue sur les mots. C'est-à-dire si on flirte avec le mensonge. Car il y a eu deux Canada. Celui que Champlain a fondé appartenait à la Couronne de France et on n'y parlait que le français (pour nous restreindre aux nouveaux arrivants). Le Canada actuel, lui, a été conquis par la Couronne d'Angleterre et n'est plus français qu'à 25 % (proportion sans cesse décroissante). Quant à sa forme présente, elle date de 1867. M. Harper et ses amis suent sang et eau pour transformer ce chiffre en 1608, car c'est en mêlant les esprits, n'est-ce pas, qu'on arrivera le plus sûrement à tuer le mouvement séparatiste: quand on ne sait plus trop qui on est, comment défendre ses intérêts?
Des suggestions
Si j'étais conseiller de Stephen Harper, je lui ferais deux suggestions pour qu'il arrive encore plus rapidement à ses fins.
1. Qu'il demande aux fonctionnaires du ministère de l'Éducation (ils seront faciles à convaincre) de supprimer dans nos manuels d'histoire toute allusion à une conquête militaire, car, vraiment, cela ne fait pas très canadien. D'ailleurs, M. John Saul, un prince consort très cultivé qui avait presque autant de gueule que l'actuel, n'a-t-il pas affirmé qu'il n'y avait pas eu conquête, mais plutôt «cession»? Le point tournant de notre histoire ne fut pas, selon lui, la bataille des Plaines d'Abraham en 1759, mais le Traité de Paris de 1763 intervenu entre la France et l'Angleterre. Et c'est le crissement des plumes sur les parchemins diplomatiques qui a enterré les coups de canon et les cris des mourants sur le célèbre champ de bataille québécois.
2. Qu'il fasse ériger dans toutes les villes et dans tous les villages du Québec une statue de bronze à son effigie. Il finira ainsi par détrôner Champlain dans l'imagination populaire, chose excellente pour l'unité canadienne. On le verrait tenant fièrement l'unifolié, la taille magiquement amincie, car les bedons ne font pas bien dans la statuaire classique. Le fleur de lys serait évidemment banni, comme il l'a été de la brochure officielle des fêtes du 400e. Aux pieds de M. Harper serait couché un mouton frisé, symbole de notre allégeance. Rien n'empêcherait de lui donner les traits d'un premier ministre québécois bien connu. Les animaux fabuleux apportent beaucoup de panache à un monument.
Quel pays?
On nous a subtilisé d'abord notre nom de Canadiens (qui, à l'origine, était synonyme de français), puis notre hymne national (créé par deux Québécois). Et voilà maintenant qu'on veut nous chiper notre date de naissance! Car Ottawa cherche à nous faire croire que nous fêtons cette année non pas la naissance d'un peuple francophone en Amérique du Nord, mais celle d'un pays majoritairement anglais.
Le succès foudroyant de la visite en France de notre presque reine -- une opération de marketing géante en faveur de l'unité canadienne -- a fourni aux fédéralistes leur revanche sur le «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle en 1967. C'est un coup d'une rare perfection, car il a été fait à partir de presque rien. Qui aurait pensé que l'insignifiance des fonctions purement symboliques d'une gouverneure générale donnerait de pareils dividendes?
Mais, à la différence du coup de 1967, celui-ci n'a été rendu possible que grâce à la complicité honteuse du gouvernement québécois.
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Yves Beauchemin, Écrivain


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