Le passage obligé que sont les débats des chefs est toujours un exercice périlleux. Le double face-à-face de deux heures de cette semaine n'a pas fait de gagnant, mais les quatre chefs de parti ont tous, chacun leur tour, été mis sur la défensive et perdu des points. Celui qui en aura perdu le plus est Michael Ignatieff, qui a raté une belle occasion de rétablir l'image du Parti libéral aux yeux des électeurs québécois.
Michael Ignatieff était celui envers qui les attentes étaient les plus élevées dans ces affrontements télévisuels. Depuis le début de la campagne électorale, il avait fait plutôt bonne figure, affichant une assurance inattendue. Ce fut aussi le cas dans le débat en anglais où il a réussi à s'imposer face au premier ministre, Stephen Harper, montrant que lui-même et son programme constituaient une solution de rechange crédible au gouvernement conservateur. Il n'a pas terrassé son adversaire, mais il pouvait être satisfait d'avoir affirmé une image positive pouvant faire contrepoids à la campagne de publicité négative mise en ondes par les conservateurs ces derniers mois.
Cette première étape franchie, le chef libéral devait lors du débat en français faire la même chose à l'égard cette fois de l'image de son parti. Aux yeux de bien des électeurs québécois, celui-ci porte le poids d'un parti centralisateur, auteur de l'ignominieux rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 et du scandale des commandites. La barre était haute, mais ce n'était pas mission impossible.
Dans la course à la succession de Paul Martin à la tête du Parti libéral en 2006, Michael Ignatieff avait en effet pris le risque de se distancier de ce passé. Il avait donné un appui clair à la proposition d'un groupe de militants libéraux québécois de reconnaître le Québec comme formant une nation. Un appui qui avait contribué à sa défaite aux mains de Stéphane Dion. À cette époque, le Parti libéral n'était pas prêt à aller aussi loin, mais on avait retenu que Michael Ignatieff était sensible aux préoccupations constitutionnelles des Québécois.
Ce capital de sympathie, il lui aura fallu que quelques petites secondes pour le perdre. Poussé par le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, il a avoué n'avoir aucune intention de poser des gestes pour réintégrer le Québec dans la Constitution. Ce n'est pas la «priorité principale» des familles, a-t-il dit, laissant tomber un «nous sommes en 2011, M. Duceppe...», comme si cette affaire était de l'histoire passée. Quant à l'idée de transférer certains pouvoirs au Québec, comme le réclame actuellement le gouvernement Charest, notamment dans le domaine culturel, on peut oublier cela: «Vous avez tout ce qu'il vous faut pour être souverain dans des domaines de compétences provinciales.»
Voilà, on sait ce que pense vraiment Michael Ignatieff! Il n'a pas glissé sur une pelure de banane, il a été tout simplement candide. Il annihile ainsi tous les efforts faits par ce parti pour tirer un trait sur son passé. Il nous dit que le Parti libéral n'a pas fondamentalement changé. Cela consolidera peut-être son image auprès de l'électorat du reste du Canada, mais au Québec, son discours sera à l'inverse un atout pour le Bloc québécois... et pour le NPD. Jack Layton a eu vite fait de rappeler sa volonté de créer «les conditions gagnantes pour le Canada au Québec». Une occasion en or pour ce parti qui est en train de faire une petite percée au Québec, tout au moins dans les intentions de vote, où il devance maintenant le Parti libéral. Le 3 mai, Michael Ignatieff pourrait bien regretter la candeur avec laquelle il a livré mercredi soir sa pensée constitutionnelle.
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