Le vieux volcan

Québec français



Depuis une bonne décennie, le Québec a retrouvé une paix linguistique que quelques incidents, ici et là, n'ont pas réussi à troubler sérieusement.
Quand le gouvernement Bourassa a rétabli le bilinguisme dans l'affichage commercial, en 1993, certains prédisaient l'apocalypse. «Une tragédie, une catastrophe, un désastre», s'indignait Camille Laurin, qui appelait presque les Québécois à la révolte.
Trois ans plus tard, après que Jacques Parizeau et Lucien Bouchard eurent l'un après l'autre refusé de revenir aux dispositions originelles de la Charte de la langue française, comme l'avaient pourtant résolu les militants péquistes réunis en congrès, le «père de la loi 101» avait commencé à plaider les «progrès remarquables» accomplis malgré la loi 86.
Depuis dix ans, la population est généralement demeurée indifférente aux cris d'alarme lancés périodiquement par ceux qui s'inquiètent, à tort ou à raison, d'une détérioration de la situation du français, que ce soit dans l'affichage, à l'école ou au travail.
Le dernier en date des agitateurs linguistiques issus de la communauté anglophone, Howard Galganov, qui avait invité au boycottage des grandes chaînes de commerce au détail affichant uniquement en français, n'est plus qu'un lointain souvenir.
Il y a deux ans, plusieurs ont craint que le mouvement de défusion des municipalités de l'ouest de l'île ne provoque un regain de tension entre les deux grandes communautés linguistiques. Malgré quelques étincelles, rien de grave ne s'est produit.
Le maire Gérald Tremblay a également eu le bon sens de rejeter la requête de Côte-Saint-Luc et de Hampstead, qui voulaient que les documents émanant de l'agglomération soient traduits en anglais et que l'affichage bilingue soit autorisé sur les bâtiments situés sur le territoire des 13 municipalités reconstituées qui jouissent du statut de «ville bilingue».
Dans un domaine aussi explosif que la langue, il en faut parfois bien peu pour mettre le feu aux poudres. En 1987, il avait suffi que les magasins Zellers soient surpris à enfreindre la loi 101 pour plonger le gouvernement Bourassa et le Québec tout entier dans la tourmente.
Mardi, le nouveau maire de Beaconsfield, Bob Benedetti, dont la municipalité refusait depuis des années de se conformer aux dispositions de la loi, a invité les médias à constater sa nouvelle bonne volonté.
Dans son édition d'hier, La Presse publiait donc une photo du maire posant fièrement à côté d'une plaque de rue sur laquelle on pouvait lire City Lane en grosses lettres. On venait d'y ajouter de minuscules lettres autocollantes formant le mot «allée».
«Techniquement, c'est correct, même si les collants sont minuscules, a commenté un porte-parole de l'Office québécois de la langue française. Je vous laisse le soin de juger de la pertinence de placer un nom générique de rue tellement petit qu'on ne le voit pas. M. Benedetti a toujours voulu tourner en ridicule la Charte de la langue française, notamment lorsqu'il était journaliste à CTV, alors cela ne m'étonne pas. Cela montre en même temps qu'il n'accepte pas la prédominance du français dans le paysage québécois et moins encore dans une ville où il y a beaucoup d'anglophones.»
Il reste à déterminer si city lane est bien une expression à part entière, comme le soutient le maire de Beaconsfield. Si lane est simplement la traduction du mot «allée», la plaque ne répond pas aux exigences de la loi, qui stipule que le français doit être «nettement prédominant».
Même si la lettre de la loi est respectée, il est clair que son esprit ne l'est pas. En sa qualité d'ancien journaliste, M. Benedetti savait très bien ce qu'il faisait en organisant ce spectacle médiatique. En bon français, cela s'appelle un pied de nez, pour ne pas dire un bras d'honneur.
«On accepte qu'on habite dans une province française, mais il faut aussi accepter que nous avons certains droits», a-t-il déclaré. Ridiculiser une loi fait sans doute partie de ces droits, mais cela ne favorise pas nécessairement le bon voisinage.
La grande majorité des francophones ne demande qu'à maintenir la paix linguistique, même au prix de certains accrocs à la Charte de la langue française, mais personne n'aime avoir l'impression d'être pris pour un imbécile.
Au moment où il pousse les moteurs pour vérifier si un décollage électoral est possible, le premier ministre Jean Charest n'a surtout pas besoin d'un débat sur la langue. Inévitablement, le PLQ en sort perdant.
Pendant le débat sur les défusions, le PQ s'était gardé de jeter de l'huile sur le feu, mais une campagne électorale n'est pas une période très propice à la retenue. Même s'il n'a jamais été obsédé par la question linguistique, André Boisclair devra avoir recours à tous les arguments possibles s'il veut devenir premier ministre.
Remarquez, les citoyens de Beaconsfield, comme ceux des autres municipalités de l'ouest de l'île, ne voient sans doute pas pourquoi ils se priveraient de quoi que ce soit pour faire plaisir aux libéraux, dont ils espéraient un retour à la situation antérieure aux fusions décrétées par le gouvernement Bouchard.
En soi, les pitreries du maire Benedetti ne constituent pas une bien grande menace pour le français, mais il arrive qu'un simple détail mène à réexaminer l'ensemble du tableau. Par le passé, le débat linguistique a souvent servi d'exutoire au trop-plein d'énergie nationaliste, quand la souveraineté connaissait un creux de vague.
Certes, le Québec a beaucoup changé depuis 20 ans, mais comme le chantait Brel, on a déjà vu jaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux.
mdavid@ledevoir.com


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