Le torchon de Hérouxville

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Il faut lire le mémoire présenté à la commission Bouchard-Taylor par André Drouin, conseiller municipal et penseur de Hérouxville, parce que c'est la croisade de ce village qui a donné sa forme au vaste débat sur les accommodements raisonnables.



Ce mémoire est un torchon, une présentation pseudo-scientifique étayée par un document d'appoint immonde, intitulé Mode de vie du Québec, qui est un prototype de littérature raciste. Il faut dire les choses comme elles sont, parce qu'à force de marcher sur des oeufs, et de vouloir respecter tout ce que disent les gens, nous sommes en train, par notre silence, de cautionner l'inacceptable.
Bien sûr, on comprend d'où vient cette prudence. Le code de vie de Hérouxville, et le mouvement d'appui qu'il a suscité, a révélé l'existence d'un malaise plus profond qu'on l'imaginait, celui d'une société dont l'identité est fragile et qui se sent menacée par l'immigration. Il fallait certainement se mettre en mode écoute. C'est ce qu'a fait la commission Bouchard-Taylor, dont les audiences ont permis de mesurer l'ampleur de la crise, ne serait-ce que pour mieux y répondre.
Mais l'écoute a ses limites. Il ne suffit pas de s'incliner parce que le «peuple» a parlé. Les gens peuvent aussi faire fausse route et dire des choses inquiétantes. Certaines soirées d'audience de la Commission, par exemple dans les Laurentides, donnaient mal au coeur. Il arrive un moment où il faut tracer la ligne, et dire tout haut ce qui est inacceptable.
Heureusement, on sent depuis quelques jours un mouvement de balancier, dans les remarques des deux commissaires, dans les analyses de nombreux commentateurs, dans la lettre du premier ministre Charest publiée cette semaine. Mais cette réaction est timide et tardive, parce qu'elle doit surmonter trois problèmes.
Le premier problème est politique. Nos trois partis sont vulnérables et ont beaucoup à perdre en allant à contre-courant. Ils ont tous trois choisi, chacun à sa façon, de surfer sur cette vague aux accents xénophobes au lieu de la combattre. Le gouvernement libéral, en proposant de modifier la charte québécoise avant même la fin des travaux de la commission qu'il a créée. L'ADQ par ses silences coupables et son désir de freiner l'immigration. Le PQ avec sa manoeuvre de diversion sur la citoyenneté et la langue.
Le second est idéologique. On peut constater que la xénophobie qui s'exprime actuellement se réclame du discours nationaliste et reprend les thèmes de l'identité et de la peur de disparaître. Le nationalisme peut être une source remarquable d'énergie et de progrès. Il peut aussi mener au repli sur soi et à l'ethnocentrisme. Ce à quoi l'on assiste, c'est au réveil de ce nationalisme frileux et réactionnaire.
Le PQ a été, depuis sa fondation, porteur d'un nationalisme de progrès. Mais ses dirigeants doivent bien voir que les voix les plus intolérantes reprennent à leur compte les thèmes et les revendications du mouvement souverainiste. Le PQ doit combattre ces dérives.
Ce n'est pas ce que Mme Marois a choisi de faire. Son projet de loi sur la citoyenneté est correct sur papier, sauf ses «doubles standards» de citoyenneté. Mais on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel il a été proposé, en plein coeur d'un débat où l'on se sert du «nous» pour justifier la peur de l'autre. Ce projet, dans ce contexte, fournit une caution morale aux réflexes d'exclusion. Mme Marois joue un jeu très malsain, où elle tente de récupérer ce nationalisme de droite au lieu de le combattre.
Le troisième problème est sociologique. Il est assez évident que la crise des accommodements raisonnables a mis en relief un clivage entre les villes et les régions peu urbanisées, et que ce sont des régions où il n'y a pas d'immigrants qui ont exprimé les craintes les plus vives. Cela reflète une réalité pourtant bien connue, le fait que les milieux ruraux sont plus attachés au passé, plus conservateurs et moins ouverts au changement. Ce n'est pas dans les comtés de l'Union nationale que s'est amorcée la révolution tranquille.
Mais nous vivons dans une période où l'on craint comme la peste de heurter la sensibilité des régions. Faut-il écouter ceux qui expriment leurs peurs à la Commission et les suivre sur la voie du repli sur soi et du passéisme? Et couler tous ensemble?
Il faut au contraire défendre sans honte des valeurs d'ouverture et de progrès. Car si ce grand débat sur les accommodements raisonnables porte, à un premier niveau, sur les droits religieux et l'immigration, c'est, plus profondément, un débat sur la modernité.
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