Le sommet juste pour rire

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008

À l'occasion du 400e anniversaire de la fondation de Québec, la Francophonie entend faire peau neuve.
La ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, l'a reconnu d'emblée cette semaine à Vientiane, au Laos: «La Francophonie souffre d'un déficit d'image. [...] Auprès du public et de nos concitoyens, sa perception est confuse. [...] Nous vivons le devoir d'offrir au monde l'image d'une organisation sensible aux préoccupations collectives, en phase avec les besoins de notre époque, soucieuse d'efficacité et de résultats.»
Depuis un quart de siècle, les sommets de la Francophonie ont été caractérisés par la rigidité de l'organisation et la longueur des palabres. Les États et gouvernements participants se sont promis de faire du sommet de Québec, qui se déroulera du 17 au 19 octobre 2008, un événement plus dynamique.
Quant au fond, les discussions à la conférence ministérielle de Vientiane augurent plutôt mal. Il faudra faire preuve d'audace et de limpidité, a dit Mme Gagnon-Tremblay. Tellement que les chefs d'État et de gouvernement pourraient discuter de la lutte contre les changements climatiques pendant des heures sans même prononcer le mot «Kyoto», auquel le gouvernement Harper est tout simplement allergique.
Alors que se multiplient les rapports apocalyptiques sur les impacts des gaz à effet de serre, la ministre a expliqué sans rire que les participants ne parleront peut-être pas de «lutte» contre les changements climatiques mais plutôt d'«adaptation». Ce serait à mourir de rire si ce n'était pas si triste.
Il fut un temps où le Québec ne craignait pas d'afficher ses différends avec Ottawa au sein de la Francophonie. Il est vrai que les gouvernements péquistes ne demandaient pas mieux, mais même Robert Bourassa réussissait parfois à irriter -- un peu mais pas trop -- son ami Brian Mulroney.
Personne ne demande au gouvernement Charest de chercher inutilement la chicane, mais il existe une opposition fondamentale entre les positions du Québec et d'Ottawa au sujet du protocole de Kyoto. À quoi bon revendiquer une voix sur la scène internationale si c'est simplement pour mieux se taire?
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La création de la Francophonie est le résultat d'un compromis intervenu en 1984 entre la France, le Canada et le Québec. Dès le départ, il était clair que le dénominateur commun linguistique recouvrait une très grande diversité, sinon une incompatibilité d'intérêts. Il était donc prévisible que les débuts soient un peu timides.
D'un sommet à l'autre, on a toutefois la désagréable impression que le compromis se transforme progressivement en compromission. Le Québec ne peut évidemment pas se permettre de bouder ce qui constitue sa seule véritable tribune internationale, mais les Québécois ont certainement le droit d'être déçus.
Outre l'environnement et la situation du français, les participants au sommet de Québec discuteront des droits de la personne, mais à huis clos. À en croire Mme Gagnon-Tremblay, cela ne risque pas de se traduire par une action très musclée.
«Bien sûr, il y a plusieurs pays dont on serait porté à dire qu'ils ne respectent peut-être pas comme on le souhaiterait la totalité des droits de l'homme. En même temps, si on les exclut, ça n'aidera pas non plus», a-t-elle déclaré dans une entrevue au Devoir.
Au moment où le Commonwealth envisage d'imposer des sanctions au Pakistan, la Francophonie risque encore une fois de paraître bien indulgente envers les nombreuses dictatures qu'elle compte dans ses rangs.
Pourtant, la déclaration de Bamako (2002), selon laquelle «Francophonie et démocratie sont indissociables», prévoit la possibilité de sanctions, comme l'a rappelé le porte-parole péquiste en matière de relations internationales, Daniel Turp.
L'article 1 de la charte de la Francophonie lui impose toutefois «la plus stricte neutralité dans la politique intérieure» des États membres. Le résultat, c'est qu'elle continue à dérouler le tapis rouge devant les tyrans qui sont en mesure de torturer et de massacrer en français.
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Au sommet de Moncton, en 1999, Lucien Bouchard n'avait pas pu cacher son inconfort de devoir serrer la main du Congolais Désiré Kabila. Deux ans plus tôt, à Hanoï, il s'était fait rabrouer par Jacques Chirac, sous l'oeil goguenard de Jean Chrétien, parce qu'il avait osé proposer que les délinquants soient sanctionnés.
«Nous ne sommes pas une organisation militaire», avait dit M. Chrétien. À ce que je sache, le Commonwealth n'en est pas une lui non plus. Pourtant, à l'époque de l'apartheid, Brian Mulroney avait été très actif pour le mener à imposer des sanctions à l'Afrique du Sud, contre l'avis de Margaret Thatcher.
Stephen Harper se dit favorable à l'adoption de sanctions contre le Pakistan. Peut-il avoir deux politiques différentes en matière de droits de la personne selon la langue dans laquelle on les viole?
D'ailleurs, cela vaut aussi pour la France. Le mois dernier, Nicolas Sarkozy a créé un malaise en évoquant la question des droits de la personne en Russie, et il se propose de récidiver lors de sa prochaine visite en Chine. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la France n'a jamais semblé très préoccupée par le triste sort des victimes des dictatures qu'elle entretient en Afrique.
La France a également une conception assez singulière de la Francophonie. Après la Pologne et la Bulgarie, sans parler de l'Albanie, elle voudrait maintenant y inclure l'Angola, la Thaïlande et Israël. Dire qu'elle craint de diluer l'Europe en y accueillant la Turquie!
Sur ce point, Mme Gagnon-Tremblay a parfaitement raison: avant de penser à élargir encore, il serait préférable d'approfondir. Sur les 68 États membres, moins de la moitié (32) ont le français pour langue officielle. À quand les États-Unis, où il y a certainement plus de francophones qu'en Albanie? Comme on dit: plus on est de fous, plus on rit.
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mdavid@ledevoir.com


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