Le Senlis Council : des questions sans réponses

Par Jean-François Lévesque

Afghanistan et les médias : censure et propagande


Comme il le fait régulièrement depuis 2005, le Senlis Council publiait, le 29 août, un rapport sur les activités de la communauté internationale en Afghanistan, particulièrement celles du Canada. Et comme à l'habitude, le titre du document ne laisse aucun doute sur la charge critique qui s'y trouve : L'Agence canadienne de développement international à Kandahar : des questions sans réponse.
Au-delà des observations et des remontrances parfaitement légitimes quant à l'aide aux réfugiés, l'aide alimentaire, les "dommages collatéraux" causés par les bombardements aériens, et les carences en infrastructures - hospitalières, notamment - , deux constats émanent de façon constante des publications du Senlis Council. D'abord, la récupération partielle - pour ne pas dire partiale - des médias à l'égard des conclusions du rapport. Ensuite, le manque de perspicacité des journalistes à l'endroit d'une organisation dont l'intérêt et les intentions sont sujets à de nombreuses zones d'ombre.
Premier constat : un appui aux opérations militaires
Premièrement, malgré son titre incisif et la couverture journalistique à l'avenant dont bénéficie le dernier rapport, il importe certainement de relever une constante - absente des médias - dans les analyses et les recommandations du Senlis Council. La participation canadienne aux opérations y est systématiquement encouragée, et l'on y formule même le souhait d'une augmentation de la contribution militaire. À titre d'exemple, le rapport note le fait que les bombardements de la coalition sont dus au manque d'effectifs sur le terrain, et donc qu'une augmentation des troupes au sol serait de nature à diminuer les risques de victimes civiles découlant des opérations aériennes (p. 18). En aucun moment on n'y relève l'idée de retirer les troupes, que ce soit de façon partielle ou totale du territoire afghan.
Perdu à travers une série d'articles portant sur les fluctuations de l'opinion publique à l'endroit de la mission canadienne en Afghanistan, ce traitement incomplet par les médias des résultats d'analyse du Senlis Council porte à confusion et laisse croire à une raison de plus de retirer les troupes rapidement, ce qui n'est nullement le cas, du moins selon les conclusions de ce rapport.
Second constat : Qui bono?
Ensuite, malgré une récupération presque systématique de ses travaux par la presse canadienne, bien peu de journalistes se sont intéressés à la nature, aux intérêts et aux intentions de cet énigmatique Senlis Council. La plupart des articles se contentent de nommer la source, même controversée, parfois en mentionnant le fait qu'elle est financée par "une douzaine de fondations européennes", mais sans vraiment interroger sa fiabilité et sa pertinence. Et peut-être, surtout, sans remettre en question plus avant la souche principale du financement substantiel qui lui permet de mener des travaux aussi ambitieux. Comme le disaient les Dupond(t) dans Tintin : "Cherche à qui le crime profite."
Dans son édition du 2 janvier dernier, le National Post révélait justement que de nombreuses questions circulent au sujet des contributions généreuses d'un certain Stephan Schmidheiny, philanthrope suisse au passé trouble, notamment pour déni de responsabilité dans des cas avérés d'amiantose (Le Monde diplomatique, décembre 2006). Norine MacDonald, la présidente du Senlis Council, affirme dans ce même article que M. Schmidheiny constitue son unique source de financement, quand les documents officiels de l'organisation - dont le dernier rapport dont il est question ici - évoquent plutôt les contributions financières du Network of European Foundations (NEF).
Étonnamment, une organisation aussi importante que le Senlis Council - qui compte des bureaux à Bruxelles, à Herat, à Kaboul, à Kandahar, à Londres, à Paris, à Ottawa, et à Rio de Janeiro - ne figure actuellement nulle part sur le site Web de ladite fondation, ni sur celui du Mercator Fund, la branche du NEF qui l'a créée. Dans son édition du 18 juillet dernier, la revue Embassy remettait en question à son tour le financement du Senlis, sans plus de succès qu'un vague "nous n'avons rien à cacher" de la part de Mme MacDonald.
Questions sans réponse
Sous le double couvert d'une promotion des initiatives de développement durable et, plus spécifiquement dans le cas du Senlis Council, d'une campagne pour la légalisation de la production de pavot à des fins médicales, les activités philanthropiques de M. Schimheiny (dont le nom n'apparaît, toujours étonnamment, nulle part sur le site Web du Senlis Council) mériteraient certainement quelques investigations plus sérieuses. Un peu de lumière sur les activités d'un think tank aussi influent au pays aurait le mérite de légitimer un travail somme toute intéressant, mais suspect quant à ses intentions véritables. Contentons-nous donc pour l'instant de paraphraser le Senlis et de dire qu'en ce qui concerne les ramifications et le financement de cette organisation, de nombreuses questions demeurent sans réponse...
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Jean-François Lévesque, consultant en relations internationales*
*chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes, membre du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix


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