Que voulez-vous vraiment savoir sur l'Afghanistan ?

Afghanistan et les médias : censure et propagande

Depuis quelque temps, je remarque un changement dans la couverture médiatique de la guerre en Afghanistan. À l'instar de la mission elle-même, la couverture s'est de plus en plus militarisée. Bien sûr, on pourrait répondre que les médias ne font que refléter l'évolution de la situation, mais les enjeux traités auparavant ont-ils disparu pour autant? Selon moi, cette tendance sert les intérêts du gouvernement conservateur, de l'armée et des grands médias.
D'abord, le gouvernement. En pleine crise de légitimité, tant sur le plan interne que sur le plan international, le gouvernement conservateur doit se débattre avec un appui fragile à une guerre coûteuse dans tous les sens du mot. Les ténors conservateurs le disent eux-mêmes: il faut mieux expliquer la mission aux Canadiens et ils comprendront enfin pourquoi elle est importante. Ici, «comprendre» peut se traduire par «approuver», car il va de soi pour le gouvernement que si les Canadiens comprenaient enfin cette mission, ils s'empresseraient tous de la cautionner. La couverture médiatique répond donc de plus en plus à ce credo en «expliquant» la guerre aux Canadiens.
L'armée canadienne n'a jamais été en si grande forme. Pourquoi? Parce qu'enfin, on parle d'elle! Dans les années «creuses» des libéraux, les dépenses militaires étaient réduites au plus bas et l'armée était en passe de devenir une organisation d'aide humanitaire se cachant derrière quelques armes qu'elle n'avait ni le droit ni les moyens d'utiliser. Or, plus on parle de l'Afghanistan dans une perspective militaire, plus l'armée gagne en visibilité. Le recrutement va bien et les milliards pleuvent des coffres du gouvernement.
Je n'irai pas jusqu'à dire que la couverture médiatique de la guerre est devenue une gigantesque infopub pour l'armée, mais il reste que le fait de voir des militaires en action, d'écouter leurs discours résolus ou de les voir parader fièrement un peu partout ne peut qu'être bon pour l'image de l'armée canadienne. Bien sûr, il y a les morts et les blessés (qu'on imagine d'ailleurs souvent comme des blessés légers alors que plusieurs sont devenus invalides, ce qui est passé sous silence). À ce sujet, je trouve particulièrement hypocrite l'idée d'associer la validité de la mission aux pertes. C'est comme si, collectivement, nous voulions la guerre seulement si les morts ne sont pas de chez nous. Sur ce point, ce sont les militaires qui ont raison en disant que cela n'affecte pas leur engagement, et c'est la population et les élus qui se discréditent en louvoyant au gré des pertes.
Lorsqu'on observe la façon dont est traitée la guerre depuis que la mission s'est transportée à Kandahar, on se rend compte que les reportages sont de plus en plus axés sur les risques que courent les militaires. On parle de plus en plus de missions, d'objectifs atteints, de cibles, de tactiques. On explique aux gens comment fonctionnent les bombes des talibans, on leur décrit l'équipement des militaires comme dans un catalogue Ikea et on ajoute parfois en toile de fond une musique digne d'un film hollywoodien.
Où sont passées les «petites filles afghanes» qui veulent aller à l'école? Elles doivent toutes être restées à Kaboul, laissées en plan en même temps que les sujets d'intérêt public. Mais il est vrai qu'une enquête journalistique sur les alliances politiques en Afghanistan attire moins de téléspectateurs qu'un reportage-fleuve sur l'attaque d'un convoi transportant des journalistes...
Quel est l'effet de cette couverture de plus en plus militarisée? Tout d'abord, nous entendons beaucoup moins parler des enjeux sociaux de ce pays, pourtant à la base de notre présence là-bas, selon le gouvernement. Ensuite, en donnant une grande visibilité (très aseptisée) à la guerre, on la dédramatise en un certain sens, on la rationalise, on désensibilise la population, on permet aux gens de s'identifier aux militaires et on les place en position d'accepter la mission canadienne, car maintenant, ils la «comprennent» mieux.
Et surtout, on ne remet plus en question les fondements de cette guerre. Les médias répondront qu'il y a de fortes critiques et qu'ils invitent des experts pour en discuter. Mais j'ai observé que les critiques sont de plus en plus adressées à la façon dont la mission est menée. Les armes de nos soldats sont-elles adéquates? Les tactiques employées sont-elles les bonnes? L'armée atteint-elle ses objectifs? C'est comme si le fait de remettre la guerre en question n'était possible que si celle-ci était mal faite!
La question de la présence canadienne est maintenant traitée en fonction du succès ou de l'échec de la mission, mais on oublie de s'interroger sur la légitimité de cette guerre, même dans le cas d'une «victoire». Que se passe-t-il avec l'oléoduc dont rêvaient les États-Unis? Pourquoi l'Afghanistan mérite-t-il l'intervention du Canada au détriment d'autres régions où les droits de la personne sont menacés? L'économie afghane se développe-t-elle de façon positive depuis 2001? Le parlementarisme afghan fonctionne-t-il grâce à notre intervention? On tient un décompte précis des morts canadiens; et les morts afghans, eux? Combien y a-t-il eu de morts chez les civils afghans depuis 2001? Le gouvernement afghan devra-t-il quelque chose au Canada après la guerre? Des faveurs économiques ou politiques ont-elles été accordées à ce jour? Quels sont les liens actifs entre les élus afghans et les grandes entreprises nord-américaines?
Toutes ces questions et bien d'autres ne sont que peu ou pas abordées alors qu'on se complaît à décrire combien de tonnes pèse le nouveau char commandé par l'armée ou quelles sont les différents types de bombes artisanales qui menacent nos soldats. Je pose la question: que voulez-vous vraiment savoir à propos de l'Afghanistan?
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Pierre-Luc Beauchamp, Étudiant au doctorat en histoire à l'université McGill


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