« Un songe », dit Athalie (celle de Racine, pas celui de Mitterrand) « me devrais-je inquiéter d’un songe ? » Un rapport, faut-il s’alarmer d’un rapport ? Les rapports, depuis toujours, s’entassent dans les placards des ministères jusqu’au jour où ils finissent misérablement dans des broyeurs, le plus souvent sans avoir été lus ni pris en considération. Comme les vieux aux jeunes, les anciens rapports sont sommés de céder la place à de nouveaux rapports qui connaîtront un jour le même sort. Rien de plus classique, rien de plus efficace pour enterrer un problème que de créer une commission et de lui confier la rédaction d’un rapport.
En faisant sa manchette vendredi matin sur le rapport « qui veut autoriser le voile à l’école », Le Figaro n’ignorait donc pas qu’il forçait quelque peu le trait, et Jean-François Copé, que l’on a connu moins combatif lors du débat sur le mariage pour tous, ne l’ignorait pas davantage lorsque, montant sur ses grands chevaux de bois, il a dénoncé une politique de « déconstruction de la France ». Jean-Marc Ayrault, qui aurait pu se dispenser de traiter le président de l’UMP d’ « irresponsable » et de « menteur », ce qui dénote également une perte de sang-froid et un manque de mesure, a eu beau jeu de rappeler qu’un rapport n’est pas un projet de loi, encore moins une loi, et que, personnellement, comme la quasi-totalité des députés socialistes, il a voté en son temps l’interdiction des signes religieux à l’école. Justement alarmé de la naissance d’une polémique dont les éclats pourraient atteindre de plein fouet sa majorité à la veille d’échéances électorales difficiles, François Hollande, entre une remise de décoration à un footballeur et une dégustation de roquefort, a tenu à rappeler du Brésil que le rapport en question ne reflète nullement la position du gouvernement.
Dont acte. Il n’empêche que le Premier ministre avait précédemment salué la « grande qualité » des cinq « documents de travail », fruit des réflexions menées à sa demande entre juillet et novembre par deux cent cinquante sociologues, historiens, syndicalistes, membres d’associations, qui lui ont été remis au début de ce mois, que ces documents constitueront la base de départ du séminaire gouvernemental qu’il réunit en janvier et que dans sa déclaration générale il avait fait état de son « ambition de renouveler en profondeur l’approche des questions d’intégration en France ». Si la nécessité d’une mise au point dans ce domaine « sensible » est incontestable, la question est très clairement posée de savoir dans quel esprit, et en particulier si le Premier ministre compte s’inspirer de ces fameux « documents de travail » qui ont d’ores et déjà été mis en ligne par les services de Matignon.
Or, passée la louable et rituelle affirmation des meilleures intentions et notamment celles de lutter contre les discriminations et de tirer le meilleur parti des diversités qui, paraît-il, font la « richesse » de la France, le rapport, qui n’est pour l’instant qu’un rapport, abonde en élucubrations scandaleuses ou absurdes, dont on ne sait en l’état actuel de nos informations si elles constituent une suite de provocations ou de fantaisies émanant d’une secte d’intellectuels illuminés, et vouées à demeurer sans suite, si certaines seront retenues dans l’espoir de satisfaire un lobby communautaire et de recueillir ses voix, si le séminaire de janvier traduira un infléchissement voire un bouleversement de la politique de la France vis-à-vis de minorités réputées inassimilables, ou si ces propositions finiront là où elles méritent de finir, dans les poubelles de la petite histoire.
Il est précisément question, entre autres joyeusetés, au fil de ces pages, de renoncer aux termes d’intégration et d’assimilation, et de ne plus parler que d’un « Nous », inclusif et solidaire, de remettre à plat notre histoire et de prendre en compte sa dimension arabo-orientale, de remettre en cause la suprématie de la langue française, d’installer sur les lieux de l’ancien ministère de la Marine, place de la Concorde, un musée des colonisations – évidemment expiatoire –, de rompre avec la panthéonisation de grands hommes mâles, blancs et hétérosexuels (apparemment pour glorifier comme elles le méritent les grandes femmes, féministes, colorées et homosexuelles qui ont tant fait pour construire ce pays) et donc, bien entendu, de revenir sur les textes de loi discriminatoires qui proscrivent le voile – symbole bien connu de liberté – dans les établissements publics.
Ces préconisations, ou plutôt ces rêveries, que certains voient déjà devenir des réalités, ne traduisent à l’heure actuelle que les revendications insensées d’une minorité qui vise, pour nous rattacher artificiellement à une culture, à une tradition qui ne sont pas les nôtres, à nier notre culture, notre passé, notre histoire, notre identité, bref à éradiquer tout ce qui nous fit et tout ce que nous sommes. Après le grand remplacement, et pour nous le faire mieux accepter, le grand déracinement ? Le séminaire de janvier doit être l’occasion de démentir de la manière la plus formelle et la plus solennelle les craintes si légitimes que peut faire naître le « document de travail » commandé par le Premier ministre (à moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse d’une grande, d’une sotte, d’une irresponsable manœuvre pour faire monter la cote du Front national aux dépens de l’UMP et au profit du PS ?). Quoi qu’il en soit, plus que jamais, la vigilance s’impose.
Le rapport qui inquiète : vers le grand déracinement ?
Le grand dérapage multiculturaliste
Dominique Jamet36 articles
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.
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