Le Québec selon Freed

On ne laisse pas les gens parler de ces choses-là

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Ah! Ces choses-là...

«C'est très difficile d'imaginer que René Lévesque aurait été d'accord avec une loi qui crée deux classes de citoyens» dit Josh Freed. (Photo Martin Chamberland, La Presse)


Il y a longtemps que je veux rencontrer Josh Freed. Je connais cet Anglo-Montréalais francophile pour ses chroniques souvent hilarantes publiées dans The Gazette. J'aime bien son autodérision, le regard qu'il porte sur Montréal, ses deux solitudes et ses hivers «aussi sinistres qu'une soirée dans un bar d'Ottawa».


«Si le Québec est la société distincte du Canada, Montréal est la société distincte du Québec, un pied en anglais, l'autre en français et les deux dans la même bottine», écrivait-il dans Vive le Québec Freed!, un recueil de ses chroniques publié chez Boréal en 1996.
Qu'est-ce qui fait courir Josh Freed ces temps-ci? Le cinéaste a passé un mois en Chine où il a tourné clandestinement un documentaire sur la révolution sexuelle qui s'y déroule. Un documentaire fascinant présenté récemment à la CBC et qui sera diffusé en version française à la SRC cet hiver. Il travaille aussi sur un film dont le personnage principal est... son bureau. Qu'est-ce qu'il a, votre bureau? «Il est dégueulasse. It's a mess!» lance-t-il, sourire en coin.
Grand désordonné s'il en est un, Josh Freed dit avoir décidé de faire sa sortie du placard en désordre en allant à la rencontre de grands esprits qui ont le même «défaut» que lui. «Les personnes intéressantes ont souvent des bureaux dégueulasses, dit-il, une pointe d'ironie dans la voix. Quand on dit: An organized desk is an organized mind, c'est un slogan pour les nettoyeurs! Moi, je dis: An empty desk is an empty mind!»
Que trouve-t-on dans l'esprit foisonnant et désordonné de Josh Freed? Au café Titanic où nous nous sommes donné rendez-vous, nous n'avons parlé ni de Chine ni de sexe ni même des vertus du désordre, mais encore et toujours du Québec et du débat identitaire qui l'anime. «C'est LA chose qui m'a irrité le plus depuis quelques années. Je parle de ça souvent. It pisses me off. Je ne connais pas une personne non francophone qui n'est pas fâchée à ce sujet.»
Cette «chose», c'est le projet de loi sur l'identité de Pauline Marois qui rendrait notamment la citoyenneté québécoise des nouveaux arrivants et leur droit de vote conditionnels à la réussite d'un examen de français. «C'est la première fois depuis très longtemps que je me sens inconfortable au Québec», dit celui qui se demande quelle mouche a piqué le parti de René Lévesque pour qui il a jadis voté. «C'est très difficile d'imaginer que René Lévesque aurait été d'accord avec une loi qui crée deux classes de citoyens.»
Josh Freed est surtout surpris qu'un parti qui se dit social-démocrate ait un discours si à droite. En écoutant Jean-François Lisée parler de «Nous» à Tout le monde en parle, il dit avoir eu des frissons. C'est comme s'il entendait le discours «angry white male» des États-Unis qui oppose les droits de la majorité à ceux des femmes, des gais, des juifs, des immigrants... «Lisée disait qu'on parle de tous ces gens-là mais qu'on ne parle pas de Nous. Lui, très bien habillé, assez riche, sans aucun problème dans la vie, dans l'élite du pouvoir, il souffre vraiment?
- Non. Mais c'est juste une stratégie pour aller chercher les votes de l'ADQ, pour dire aux gens: regardez, nous aussi, on s'occupe de vous...
- Je sais, c'est un stratège incroyable. Mais je n'aime pas son discours. Il est assez intelligent pour savoir exactement ce qu'il fait.»
Quand Jean-François Lisée dit que c'est le temps de parler de Nous, après avoir passé 25 ans à parler des minorités, Josh Freed bondit. «On n'a pas parlé de Nous? De quoi a-t-on discuté depuis 25 ans? Toute ma vie, on a discuté des problèmes du Nous francophone! Ça domine les discussions depuis 30 ans! Nous, est-ce qu'on va faire l'indépendance? Nous, est-ce qu'on va disparaître? Je comprends les peurs et les insécurités. J'accepte ce discours constant comme le prix d'entrée pour vivre au Québec. Mais qu'on nous dise qu'on ne parle pas de Nous? C'est absurde! C'est le seul sujet de discussion!»
En suivant la commission Bouchard-Taylor, Josh Freed s'inquiète d'entendre dans le discours public des propos qu'il n'avait pas entendus depuis 30 ans. «Il n'y a pas un pays dans le monde où l'on ouvre les micros au public pour demander ce qu'il pense des Arabes et des juifs. On ne laisse pas les gens parler de ces choses-là. Parce que c'est une question que l'élite doit gérer. Le gouvernement ne doit pas suivre la foule. Il doit mener. Partout dans le monde, la question des minorités est très explosive.»
Quand la majorité crée des lois pour une minorité, elle fait erreur, croit Josh Freed. Quand le Canada le fait pour le Québec, c'est une erreur. Quand les États-Unis le font pour les Mexicains, c'est une erreur. Même chose pour le Québec et ses minorités, dit-il.
«Il faut toujours se mettre dans la peau des personnes sans pouvoir. C'est la seule façon d'avoir une civilisation.»
Avec son projet de loi sur l'identité qui polarise les gens, Pauline Marois s'est aliéné l'électorat provenant des minorités, observe-t-il. En moins de deux semaines, l'opinion à son égard a changé du tout au tout. «Elle est devenue l'ennemie des anglophones et des immigrants. Tout le monde a peur d'elle, du fait qu'elle puisse jouer avec des forces comme celles-là. Je ne connais pas une seule personne, même pas mes amis ex-péquistes anglophones ou immigrants, qui voteraient pour elle. Ce n'est peut-être pas pareil chez les francophones. Mais si vous êtes une minorité et que vous entendez un tel discours, vous savez que c'est votre ennemi qui parle.»
Cela dit, même si Josh Freed se dit très irrité par le débat identitaire actuel, il reconnaît que, dans les faits, il ne se passe pas grand-chose dans la Belle Province. «Il ne faut pas le prendre trop sérieusement ou trop personnel. Il faut en rire. Parce que comme toujours au Québec, on a de gros débats, mais il n'y a pas de blessés, pas de morts, pas de violence. C'est toujours des débats cérébraux.»
«Quand j'entends des gens fâchés, je dis: Attends, il n'y a rien qui se passe, c'est juste des mots...»
Josh Freed est journaliste, écrivain et cinéaste. Il est aussi l'heureux propriétaire d'un bureau tout à fait désordonné. Un bureau à l'image de son esprit, qui saute du français à l'anglais, de Pékin à Montréal, du propos sérieux à la blague en un tournemain. Rencontre avec un Anglo-Montréalais rieur que l'air du temps ne fait plus rire tant que ça.
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