À la recherche du Nous perdu

Entre le déni et le repli

"NOUS", Jean-François Lisée



L'essai s'appelle NOUS, en lettres majuscules. En regardant le titre inscrit en bleu sous le nom de l'ex-conseiller de Jacques Parizeau, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce soir de novembre 1995 où le chef du PQ amer a laissé de côté le discours rédigé par Jean-François Lisée pour en improviser un autre.



Réhabiliter le Nous 12 ans après le fâcheux Nous de Parizeau qui a fait reculer la cause souverainiste, n'est-ce pas malhabile? ai-je demandé à Jean-François Lisée. «Il y a le Nous de Parizeau et il y a le Nous de Jean Lesage et son «Maître chez nous». Un chef politique qui l'a beaucoup utilisé, c'est René Lévesque, que j'aime beaucoup. Même Robert Bourassa a utilisé le Nous», commence par dire le journaliste, rencontré dans son bureau du CÉRIUM - le Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal -, dont il est le directeur exécutif.
À ceux qui disent pourquoi Nous, Lisée répond pourquoi pas. «M. Parizeau a donné énormément au Québec, contrairement à Pierre Trudeau qui a mis 500 étudiants en prison en octobre 1970 et a imposé une Constitution sans référendum. Ce n'est pas parce qu'il a vécu une tragédie pour lui et pour nous qu'il faut oblitérer le fait que sans le Nous majoritaire, le Québec n'est pas distinct, le Québec n'est pas une nation. Il faut surmonter ça. Il faut revenir au Nous de Jean Lesage et de René Lévesque, au Nous réel. La réalité sociologique du Québec, c'est qu'il y a un Nous qui est au coeur de la nation. Un Nous qui aujourd'hui vit un malaise réel.»
Après avoir chanté pendant 20 ans la tolérance, après avoir défendu les droits des minorités, il faut désormais, croit Lisée, rasseoir le Nous de la majorité. Il faut passer du moment minoritaire au moment majoritaire. «Au Québec plus qu'ailleurs, pour des raisons politiques liées à la question nationale, le Nous majoritaire a été presque honteux de s'affirmer», explique-t-il. «Maintenant, la majorité dit: et si, au centre du débat, il y avait la majorité pour un moment? Parce qu'on sent qu'on perd un peu nos repères.»
Selon Lisée, il y a deux façons malsaines de répondre au malaise majoritaire. La première, c'est le déni. C'est de dire - comme il m'arrive de le dire - que la crise identitaire est une création médiatique. C'est de dire aussi que le malaise n'existe pas ou qu'il est injustifié.
La seconde façon malsaine d'y répondre, c'est le repli. C'est la «réponse populiste ou d'extrême droite qui s'appuie sur le déni élitiste pour mieux proposer une autre voie, en sens inverse». C'est la voie choisie par Mario Dumont qui sans être d'extrême droite est certainement populiste.
Entre le déni et le repli, il y a quoi? Il y a Jean-François Lisée, ou du moins la voie qu'il propose à sa famille souverainiste - même si plusieurs membres de la famille trouvent qu'il s'est égaré en chemin.
Que dit donc Lisée? Il dit qu'il faut rétablir un nouvel équilibre. Et c'est à la majorité qu'incombe cette tâche. «Le fait que le Nous majoritaire manque d'estime de soi le porte à culpabiliser l'autre, dit-il. Mais ce n'est pas l'autre qui est responsable. C'est toujours la majorité qui est responsable de bien établir la norme.»
Comment rétablir les repères? Lisée propose étrangement de ramener l'enseignement religieux à l'école pour «accommoder» la majorité de parents dont c'est le souhait. Il propose aussi de fusionner les cégeps francophones et anglophones pour créer un point de passage commun. Il propose d'accueillir un nombre plus important de jeunes immigrants auxquels on offrirait une formation postsecondaire. Il propose une nouvelle approche un peu militaire à l'égard des droits de scolarité, jugeant que le système actuel n'est pas «de gauche», mais juste «bête». Il propose de faire du Québec un paradis des familles (avec la semaine de quatre jours pour les parents de jeunes enfants, qui ne s'en plaindront pas).
Lisée propose aussi, on le sait, d'introduire une citoyenneté québécoise liée au droit de vote. Une citoyenneté interne accordée uniquement au nouvel arrivant qui ferait la démonstration qu'il comprend le français et qu'il a des connaissances de base de l'histoire et de la culture québécoise. Une idée critiquée de toutes parts, tant par les adversaires que les alliés du PQ. D'un point de vue souverainiste, cette citoyenneté est vue comme un gadget, un plan B à défaut d'être souverain. D'un point de vue fédéraliste, c'est un sujet de raillerie. Alors qui est gagnant? «Le Québec est gagnant, dit Lisée. Parce que si tu nies qu'il y a une crise identitaire, il n'est pas nécessaire de faire quoi que ce soit. Mais si on admet qu'il y a une crise identitaire et que les salles sont bondées à Drummondville et à Trois-Rivières et au Saguenay et en Gaspésie pour dire qu'il y a un problème... Ces gens-là ne sont pas payés pour sortir le soir et dire à un philosophe et un sociologue qu'il y a un problème. Si on admet qu'il y a un problème, il faut dire aux gens qu'on a une solution.»
Mais quel rapport entre la solution apportée et le problème? Quand on écoute les audiences de la commission Bouchard-Taylor, ne voit-on pas que le malaise a très peu à voir avec la survie de la langue? Pourquoi dire aux gens: «On va protéger la langue française», alors que ce qui les inquiète, c'est la montée de l'islamisme? «On parle beaucoup de langue française à la commission, dit Lisée. Ça revient très souvent, y compris de la part d'immigrants. Mais effectivement on parle des valeurs. Quelles sont les valeurs? Qu'est-ce qu'on doit fixer comme valeurs? Qu'est-ce qu'on doit dire aux nouveaux arrivants?»
La prédominance du français, croit Lisée, doit être inscrite parmi nos valeurs communes dans la Constitution, aux côtés de l'égalité hommes-femmes, du respect du patrimoine historique du Québec et de la laïcité des institutions. «Et on prête serment à ça quand on devient citoyen», dit-il. Le but? «Codifier les valeurs, dire à nos législateurs: vous ne pouvez pas voter de lois qui contredisent ces valeurs. Dire aux juges: SVP, aux prochains accommodements raisonnables, vous devez les juger à travers cette lunette nouvelle. On la met aussi dans la Charte des droits pour dire aux nouveaux arrivants: si vous voulez devenir citoyens, vous devez prêter serment à ces valeurs. Si vous êtes de l'islam radical, vous ne pourrez pas prêter serment à ça. L'égalité des hommes et des femmes, la laïcité des institutions, si vous avez un problème avec ça, nous, on a un problème avec ça. C'est clair.»
Jean-François Lisée a-t-il été incommodé par les critiques virulentes visant son projet? Pas du tout, dit-il, heureux de rappeler que l'idée d'une loi 101 était à ses débuts encore plus impopulaire que son projet de loi sur l'identité. «J'avance des idées. Certaines sont peut-être bonnes, certaines sont peut-être mauvaises. Les décideurs verront ce qu'ils feront avec. Moi, au moins, je sais que je contribue à la discussion publique. C'est tout.»
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