Le «Nous» me tue

Car en pensant créer un «Nous» nouveau, on recrée surtout un «Eux» qui, grâce à la loi 101, n'existe pourtant presque plus.

Méthode pointilliste - de petits faits en petits faits, grosse conclusion bête et méchante...

«Vous faites partie du «Eux» et pas du «Nous» «, m'a récemment écrit un lecteur, qui déplorait mon «manque de rigueur» et ma «propagande» en faveur des gens d'origine arabe, à la suite d'un article où je dénonçais pourtant les propos haineux et les manipulations de l'imam Jaziri. De la propagande? Ah bon.


«Des Québécois ont bâti le Québec pas vous», me dit un autre. «Tous les pays arabes sont en conflit La première chose que vous faites en arrivant, c'est de mettre la merde dans le pays.» Merci de m'écrire, monsieur. Mais j'arrive d'où au juste, pouvez-vous me le dire?
«Pourquoi êtes-vous venue au Québec?» me demande encore un autre lecteur, qui ne supporte pas que je puisse être critique envers ceux qui «m'ont généreusement accueillie». Pourquoi je suis venue au Québec? Bonne question. Je peux me tromper, mais je pense que c'est parce que j'y suis née.
D'autres, moins polis, se croient autorisés, galvanisés par cette commission Bouchard-Taylor qui enlève toute inhibition, à cracher toutes les niaiseries xénophobes qui leur passent par la tête.
À tous ces gens qui se portent à la sauvegarde d'une certaine idée du «Nous», je demande parfois combien de générations sont nécessaires avant qu'on cesse d'être considéré comme un étranger dans ce pays. Je leur demande parfois ce qu'il faut faire pour faire partie du «Nous», même si, à lire leurs propos, je ne suis pas sûre de vouloir en faire partie. Parce qu'il semble que même en étant née ici, francophone et catholique, ce ne soit pas suffisant. Je n'ose pas imaginer ce que ce doit être pour les autres qui font encore plus partie du «Eux» que moi.
Que faut-il faire pour avoir une place au sein du «Nous»? L'autre soir, j'ai fait un pudding chômeur avec beaucoup de sirop d'érable; est-ce que je gagne des points «AéroNous»? Je partage ma vie avec un Gaspésien souverainiste; y a-t-il des points bonis pour ça? Combien de générations avant qu'on ait le droit de donner son opinion sans être accusé d'ingratitude? Faudrait-il que Mme Marois ajoute une disposition dans son absurde projet de loi à l'intention des enfants et des petits-enfants d'immigrés afin de restreindre aussi leur droit de s'exprimer sur la place publique? Un coup parti
Le «Nous» dont certains se réclament ces jours-ci me tue. Je le trouve lassant, maladroit, inutile. Et je ne parle pas que du «Nous» folklorique du conseiller de Hérouxville qui disait hier «Ils vont savoir qui nous sommes», en parlant d'un «Ils» aussi imaginaire que son «Nous». Ce «Nous» tient à rappeler qu'il ne tolère pas que les femmes soient lapidées et brûlées vives sur la place publique. Et les hommes brûlés vifs en privé, est-ce que c'est correct? Éclairez-moi, S.V.P., pour que je sache la conduite à adopter si l'occasion se présente.
Quand Hérouxville parle de «ce que nous sommes», il vaut sans doute mieux en rire. Mais quand c'est une politicienne chevronnée comme Pauline Marois qui veut se faire la nouvelle nounou du «Nous» inquiet, c'est plus troublant. Douze ans après le malheureux «Nous» de Parizeau, plus malheureux encore à mon sens que ses propos sur «l'argent et le vote ethnique», brandir aussi maladroitement un nouveau «Nous» démagogique qui laisse entendre que l'immigrant menace le visage français du Québec, alors qu'il n'en est rien, est pour le moins périlleux. Car en pensant créer un «Nous» nouveau, on recrée surtout un «Eux» qui, grâce à la loi 101, n'existe pourtant presque plus.
Il y a un truc que je trouvais quand même intéressant dans le projet de loi torpillé de Mme Marois. Un truc que presque personne n'a relevé qui concerne l'enseignement. Parce que ce qui menace le plus la survie de la langue française, vecteur essentiel de la culture, ce n'est pas tant l'immigration que la piètre qualité de la langue enseignée dans nos écoles. Dans certaines universités, trois étudiants sur quatre se destinant à l'enseignement ne réussissent pas un test de français pourtant assez simple. Il y a là un sérieux problème.
Afin de s'assurer que les enseignants possèdent une excellente maîtrise de la langue, le projet de loi sur l'identité de Mme Marois prévoit donc instituer un «examen national». «La réussite de cet examen sera nécessaire pour obtenir l'autorisation d'enseigner», dit-on. C'est une très bonne idée. Le hic, c'est que ça existe déjà. Le ministère de l'Éducation a annoncé ses intentions en ce sens en janvier. Une version-pilote de l'examen existe et devrait être utilisée cette année sur une base expérimentale dans les universités. Par la suite, l'épreuve sera instituée de façon définitive.
Bref, la seule proposition intéressante de ce projet de loi sur l'identité québécoise en est une qui est déjà mise en oeuvre. Qu'une ancienne ministre de l'Éducation, qui se défend pourtant d'avoir fait un travail «bâclé», ne l'ait pas remarqué avant de déposer son projet est pour le moins étonnant.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2007

    Bonjour Mme Elkouri,
    Pour ma part, étant immigrée de la pire tranche - ontarienne, de fait- je ne ferai jamais, mais j a m a i s parti du "nous" québécois; sauf celui d'ordre légal. En plus que demeurant ici, dans le Pontiac, encadre mal un cheminement vers un plus grand sens d'appartenance. Et ce, malgré le fait que ma mère ait été québécoise-pontiçoise (5ième génération sur la terre familiale) et que mes quatre grands parents étaient tous québécois, ainsi que maintes générations avant. Mon père est né et est mort en Ontario. Être née, élevée, éduquée en Ontario a sevrer, pour moi, tout lien culturel avec le Québec. Le rejet constant par le Québec durant mes années au secondaire m'a marqué profondément aussi.
    Je vis ma crise d'identité depuis que j'ai commencé à penser, un-peu-pas-mal-tardivement mais quand même, à treize ans quand j'ai dû décider de mon sort: l'école secondaire francophone ou anglophone? Je comptais parmi les premierEs étudiantEs de huitième année qui avaient la possibilité de choisir dans ce village ontarien. Cette première décision réfléchie, ardue, je l'ai fait seule.
    Après tant d'année (1972), toutes identités qui pourraient me revenir ne sont que d'ordre "légal". Je suis un îlot qui repose sur un souvenir résiduel franco-ontarien, résidant maintenant au Québec.
    En 2002, résidant dans une réserve au (vrai) nord de l'Ontario, j'écoutais le seul poste de radio sur les ondes: CBC. L'hôte avait cinq invitéEs: un démographe de chez Stats-Can, une ontarienne venue de l'Asie dans la dernière décennie, une dame vivant en CB originaire aussi de l'Asie, deux jeunes étudiants universitaires de premières générations nées au Canada. Tous des canadienNEs. Le démographe a eu droit à la dernière parole: il croyait qu'il prenait au moins deux générations nées au Canada, après que la première y soit installée, pour que l'identité canadienne commence à "prendre racine" dans l'esprit du citoyen. Le lien avec les "ancêtres", leur histoire, leur culture, commencerait à se diluer et à être remplacé par un réel sens d'appartenance au Canada.
    Étant moi-même issu de "canadiens français" à quelques exceptions près (Anishnabe et Nipissing que je sache*) depuis 397 ans, cela me faisait canadienne française. Dans cet inlassable pèlerinage de mon identité, j'ai pour plusieurs années cru que je devais opter pour "bilingue", étant aussi à l'aise dans un des milieu que dans l'autre (enfin, au niveau de la communication). Je suis une variété de ce qu'a pu produire cet effort "d'assimilation" qui se joue toujours très fort au Canada anglais (refus presque universel d'apprendre ou de parler le français), et ce, même ici au Québec (il faut vivre parmi eux pour s'en rendre compte). Quoi qu'il en soit, je tiens à ma langue d'origine même si je la parle comme "une vache qui glisse".
    À un autre moment donné, je croyais envisageable d'explorer une simple identité d'humaine: citoyenne de la terre tout simplement. Si mon voyage en '79 en Europe m'a rendu complètement "canadienne" (éprouver/expérience), mon passage à l'université m'a ouvert l'esprit vers l'universalité (intéllectuel). Citoyenneté: terrerienne... que nous sommes tous et toutes d'ailleurs. Pour quel bien gardons-nous des frontières? Elles ni seront plus un jour, de toute façon; je n'aurais été née qu'avant mon temps!
    Enfin, l'îlot it is.
    Comment je puisse me situer par rapport à ce "nous" que Pauline veut bâtir, il reste que le "nous" québécois porte la réalité québécoise dans ce qu'elle a de distinct. Un élan viscéral, quel qu'il soit: pleinement accueillant de l'autre ou non. Que le "eux" le comprennent ou non. Si les québécois-même ("eux", "nous", tous-n'importe-lequel) n'arrive pas à comprendre le "phénomène Hérouxville" (lire: http://www.canada.com/nationalpost/columnists/story.html?id=248178ce-db43-4f7d-9370-f80dd141b69c), n'importe. Ces gens ont ouvert une porte (lire http://www.vigile.net/J-ai-honte-de-mon-Premier-Ministre). Aussi mal formulé qu'ait été exprimé ce "code de vie", il provenait du "vrai" nous. Ce que Hérouxville a fait pour moi, c'est de m'offrir une perche. En partant d'ici, je ferai une recherche pour trouver le manifeste qu'ils ont présenté à la commission Bouchard-Taylor. Je soupçonne, suivant la lecture du texte de Jonathan Kay mentionné plus haut, qu'ils ont ainsi eu l'occasion de raviser la façon de s'exprimer sur ce qu'ils veulent de ce Québec-en-train-de-ce-bâtir.
    Dernier commentaire. Quand j'enseignais le FLS (français, langue seconde) dans un village de la vieille garde anglo-sud-ontarienne il y a deux ans, la directrice est entrée dans ma salle de classe un jour après les classes et m'a donné un dépliant sans rien dire. Le titre: Rationnal Detachement. Elle voyait bien ma souffrance face à toute cette haine palpable et quotidienne: essayez de vous affirmer comme francophone en Ontario, vous comprendrez. Étant comme je suis, je n'ai jamais pu compléter la lecture de ce feuillet qui traine en quelque part dans une de mes boîtes attendant que je le lis un jour qui viendra. Mais le terme "rationnal detachement" reste très présent dans mon quotidien. C'est un exercice qui, comme la patience, la tolérance, l'accueil, se travaille au jour le jour.
    ChacunNE de nous est en cheminement. Je vous encourage dans le vôtre, quel qu'il soit. À persister, vous offrirez peut-être un nouvel espace culturo-intéllectuel-etc. à tous les autres québécois permettant ainsi à tous et toutes de se sentir incluEs dans un "nous-québécois" plus universel. On dit bien ce qu'on a dire devant se rappeler que ce n'est pas tout dire et que ce n'est jamais fini. 400 ans + plusieurs millénaires et mon identité n'est toujours pas claire.
    Mais... je risque de demeurer l'îlot que je suis devenue. Heureusement, je ne laisse aucune progéniture avec un tel fardeau.
    Bien à vous,
    Monique Serré
    *Mon ancêtre, Jean Nicolet, a marié une "Sauvagesse" Nipissing en 1610, du côté de mon grand-père maternel (disponible dans les archives canadiennes). Et du côté de ma grand-mère maternelle, à cinq générations en arrière, il y une Anishnabe mais l'article de journal qui l'identifie n'est pas reconnu comme "officiel". Il peut y en avoir d'autre/s du côté de mon père, je n'en sais rien.