Existe-t-il une telle chose que "l'intégrisme laïque"? "Non!" répond Henri Laberge, président du Mouvement laïque québécois, qui présentera mardi devant la Commission Bouchard-Taylor un mémoire en faveur d'une gestion laïque de la diversité culturelle. Conversation entre une partisane de la laïcité laxiste et un militant pur et dur, qui dit n'être pas si dur qu'on le croit
"Ceux qui se font appeler des laïques, c'est pas des laïques, c'est des athées!" a déjà lancé, furieux, sur les ondes de TQS, le maire de Saguenay, Jean Tremblay. Dans le cadre d'un débat l'opposant à Henri Laberge, du Mouvement laïque québécois (MLQ), il disait en avoir ras-le-bol de ceux qui veulent le priver de faire sa prière à l'hôtel-de-ville.
Êtes-vous athée? ai-je demandé d'emblée à Henri Laberge, venu me rencontrer à La Presse.
L'homme de 69 ans hésite avant de répondre, comme si la question était piégée. "En général, j'aime mieux ne pas afficher mes croyances, commence-t-il par dire, le ton calme et posé. Parce que le combat qu'on a à mener ne concerne pas les athées. Oui, je suis athée. Mais je trouve que ce n'est pas pertinent dans le débat."
Même si tout le monde, incluant le maire de Saguenay, aime bien se réclamer de la laïcité par les temps qui courent, les militants de la laïcité semblent avoir mauvaise réputation. Le prêtre bloquiste Raymond Gravel a déjà accusé certains membres du Mouvement laïque "d'intégrisme laïque". Une expression reprise encore cette semaine par Mario Dumont, qui se prononçait contre l'élimination des symboles catholiques dans l'espace public.
Or, existe-t-il une telle chose qu'un intégrisme laïque? "La laïcité, ce n'est pas un intégrisme, dit Henri Laberge. C'est un mode d'organisation de la vie en société qui permet au croyant de toutes confessions et aux incroyants de vivre ensemble. Il pourrait y avoir un intégrisme athée. Mais l'athéisme d'État, tel que pratiqué par l'Union soviétique et les pays satellites, n'était pas la laïcité. La laïcité s'oppose autant à l'athéisme d'État qu'au confessionnalisme d'État ou à la religiosité d'État multiconfessionnelle."
Fondé en 1981, le MLQ est issu de l'Association québécoise pour le droit à l'exemption de l'enseignement religieux qui, dès 1976, regroupait des parents préoccupés par le respect du droit à la liberté de conscience de leurs enfants. Si on compte quelques jeunes dans ses rangs, la majorité des membres du MLQ sont de la génération d'Henri Laberge.
Ni religieux, ni antireligieux, le MLQ se veut un mouvement humaniste de défense de la liberté de conscience, en faveur de la séparation de l'Église et de l'État et de la laïcisation des institutions publiques. Il est en ce sens contre tout accommodement pour motifs religieux et en faveur d'une charte québécoise de la laïcité. De l'avis du MLQ, ce que certains appellent "intégrisme" n'est que rigueur.
Catholique pratiquant jusqu'à l'âge de 30 ans, Henri Laberge me raconte qu'il vient d'une famille "très dévote". "Quand on demeurait à Sainte-Foy, on était tout près de l'église et ma mère nous envoyait à la messe tous les matins avant d'aller à l'école. Et quand il y avait des problèmes dans le monde, des tremblements de terre ou des guerres, ma mère disait que c'était parce qu'on ne priait pas assez." Était-il un jeune rebelle? "C'était une contestation de l'intérieur. J'étais contre le chapelet en famille, j'étais contre la messe en latin."
Président de la Jeunesse rurale catholique à une autre époque, Henri Laberge y a connu Claude Ryan avec qui il s'engueulait sur la question nationale. Par la suite, il a été candidat au RIN et au Parti québécois. De 1971 à 1998, il a travaillé à la Centrale de l'enseignement du Québec (la CEQ qui est devenue par la suite la CSQ), où il a été chargé du dossier de la laïcité. En 1977, il a pris un an de congé pour être chef de cabinet de Camille Laurin et travailler à la rédaction de la Charte de la langue française aux côtés de Fernand Dumont et Guy Rocher.
Que pense le président du MLQ du fait que bien des Québécois, tout en prônant la laïcité, s'accrochent au crucifix et à la prière dans les conseils municipaux? "Je pense que c'est un manque de rigueur. Les gens se disent laïques dans la mesure où ça force les musulmans, les juifs, les sikhs à abandonner leurs manifestations ostentatoires. Souvent ce sont des gens qui ne pratiquent pas, qui ne sont même pas croyants, mais qui tiennent à des symboles parce qu'on leur a dit que ça faisait partie de l'identité québécoise."
Henri Laberge croit bien sûr qu'il faut éliminer la prière à l'hôtel-de-ville et mettre le crucifix de l'Assemblée nationale au musée. Rien à redire sur la prière, qui est une intrusion claire du religieux dans le politique. Mais pour le crucifix, n'est-ce pas plus discutable, dans la mesure où on peut considérer que c'est un symbole historique? Pas du tout, dit-il. "Le crucifix a été placé là pour des raisons confessionnalisantes. Duplessis a dit que c'était pour marquer les liens très étroits qu'il voulait établir entre l'Église du Québec et son gouvernement. En plus, c'est juste au-dessus du trône du président de l'Assemblée nationale. C'est un symbole très, très fort qui veut dire que toutes les décisions qui sont prises là le sont sous l'oeil du crucifix", dit Henri Laberge qui regrette qu'André Boisclair "n'ait pas tenu son bout" davantage sur cette question.
Moi-même partisane d'une laïcité laxiste aux yeux du MLQ, j'ai demandé à Henri Laberge pourquoi son mouvement était si irrité par certains symboles qui, dans les faits, ne briment personne. L'érouv à Outremont, par exemple, ce fil quasi-invisible, qui permet à certains juifs hassidiques de pratiquer leur religion comme ils l'entendent. Ça dérange qui, au juste, ce petit fil? "Que les Juifs mettent un petit fil, nous, on n'aurait rien contre, dans la mesure où ça ne dérange personne, dit-il. C'est leur liberté. Mais ils demandaient au conseil municipal d'adopter une résolution déclarant que le territoire zoné par le petit fil était un territoire juif. Ça, je pense que c'est mettre le pied dans l'engrenage. Ça veut dire que les institutions publiques ont le rôle de donner des instruments pour faciliter la pratique religieuse. Or, ce n'est pas leur rôle."
Que pense Henri Laberge de la proposition pour le moins surprenante de Jean-François Lisée, dans L'actualité, de ramener les religieux à l'école le vendredi matin, plutôt que d'imposer à tous le nouveau programme d'éthique et de culture religieuse? "C'est revenir en arrière et c'est surtout difficilement gérable. J'aime bien Jean-François Lisée. Je le trouve brillant. Il a des analyses généralement très justes. Mais une fois par cinq ans, il déraille. Et puis là, c'est le cas."
Cela dit, Henri Laberge plaide que la laïcité de type républicain défendue par le MLQ est une laïcité relax, qui ne fait pas la chasse aux symboles religieux. "On a même des remarques de gens qui nous disent qu'on est trop laxistes. Par rapport aux congés, par exemple."
Certains militants voudraient en effet qu'il n'y ait aucun congé accordé pour des fêtes religieuses. Le MLQ dit plutôt préconiser la souplesse, en autant que cette souplesse ne devienne pas une obligation de considérer toutes les demandes. "C'est le bon sens dans l'application de la souplesse", dit Henri Laberge, comme si la chose allait de soi.
La question est maintenant de savoir ce qu'est au juste le "bon sens"
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