À lire les premières réponses au sondage SOM-La Presse, on pourrait croire qu'un fort vent de laïcité souffle sur le Québec. Un vent qui veut chasser de l'espace public tout signe religieux ostentatoire.
Le hic, c'est que lorsqu'on demande ensuite aux mêmes Québécois de se prononcer sur la prière dans les assemblées des conseils municipaux ou le crucifix à l'Assemblée nationale, tout d'un coup, le vent de laïcité souffle un peu moins fort. Supprimer la prière à l'hôtel de ville? Non! disent 52% des répondants. Retirer le crucifix de l'Assemblée nationale? Pas question! renchérissent 69% des gens.
Il y a là une contradiction dans le discours qui laisse songeur. D'un côté, il y a ce besoin de dire haut et fort aux croyants venus d'ailleurs, qu'ils soient sikhs ou musulmans: «S.V.P. Gardez votre religion pour l'espace privé. Ici, on est en terre laïque.» De l'autre, on sent une réticence à appliquer ce même principe à la religion de la majorité. Comme si la laïcité était un principe surtout bon... pour les autres. Ou que devant les religions des autres qui semblent si affirmées, la majorité avait besoin de dire: «Nous aussi, on a une religion. Voyez, ce crucifix au mur, il est peut-être poussiéreux, mais il est à nous.»
D'un côté, le Québec se réclame des formidables acquis de la Révolution tranquille. De l'autre, il s'accroche à son crucifix. D'un côté, on se drape dans la laïcité en disant: «Nous, madame, on s'est battus pour se sortir du joug de l'Église catholique. Il n'est pas question de revenir en arrière.» De l'autre, on considère comme un affront identitaire le fait de retirer le crucifix à l'Assemblée nationale. La logique est parfois difficile à suivre. Parce qu'on n'est plus dans la logique, justement. On est dans le symbolique, l'émotif, l'identitaire, l'ambigu. Un domaine qui se nourrit surtout de contradictions.
Il n'y a pas de mode d'emploi universel pour négocier le virage laïque. La marche à suivre varie selon les pays, leur histoire, leurs traditions et leurs lois. Au Québec, bien qu'on puisse parler d'une laïcité de fait, il n'y a pas de tradition juridique en ce sens. Et on remarque que le désir de laïcité est source de grande confusion. Pourquoi fait-on sortir le crucifix de l'école pour y faire entrer voile? demande-t-on, en oubliant que c'est l'institution qui se doit d'être laïque et non l'élève.
Veut-on d'une société laïque, oui ou non? Et si c'est oui, comme semble le vouloir la majorité, quel type de laïcité veut-on? Si on est d'accord pour dire que l'État doit être neutre devant la religion, ne faut-il pas qu'il le soit de la même façon devant toutes les religions, y compris celle de la majorité? Car que vaut la neutralité si elle n'est qu'à moitié neutre?
Cela dit, être neutre ne veut pas dire être amnésique. Laïciser une société ne veut pas dire l'aseptiser ou nier son passé religieux. Il serait bien sûr stupide d'arracher la croix du mont Royal ou de bannir les arbres de Noël, au nom de la laïcité. Même les défenseurs les plus radicaux de la laïcité ne vont pas aussi loin.
Toutefois, quand il s'agit de la prière à l'hôtel de ville, la question qui se pose est tout autre. On n'est plus dans le patrimonial. On est dans un mélange des genres politico-religieux qui, à mes yeux, est inconciliable avec des aspirations laïques.
Encore là, tout dépend de ce qu'on entend par «aspirations laïques». Une fois qu'on admet le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, la porte reste grande ouverte à l'interprétation. Ainsi, ici et ailleurs, la laïcité sert parfois de noble prétexte pour faire valoir tout et son contraire. En Italie, pays officiellement laïque à forte tradition catholique, le ministre de l'Intérieur vient de se prononcer contre l'interdiction du voile dans les lieux publics parce qu'une telle interdiction empêcherait les religieuses de porter le voile. Une façon d'avouer que la laïcité invoquée ici ne visait pas tant à éliminer toutes les religions de l'espace public qu'à en éliminer une en particulier. Lorsque la religion de la majorité est touchée, on devient soudainement moins laïque.
En revanche, que font les Italiens des crucifix dans les écoles? Contrairement aux Français, ils les laissent accrochés au mur. La plus haute juridiction administrative italienne a tranché en ce sens l'année dernière en disant que la croix illustrait «les valeurs civiles qui définissent la laïcité». Le crucifix comme symbole de laïcité... C'est bien la preuve qu'on peut faire dire ce qu'on veut à la laïcité, de la même façon qu'on peut faire dire ce qu'on veut à la religion.
La laïcité, c'est pour les autres
Contre le turban à la GRC. Contre le kirpan à l'école. Contre les locaux de prière à l'université. Contre le hijab à l'école ou dans les services publics...
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