Quel est le rôle des médias dans la crise des "accommodements raisonnables" ? Miroir? Catalyseur? Révélateur? Manipulateur?
C'est la question qu'on me posait la semaine dernière dans le cadre d'une conférence-débat du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval.
Je ne suis pas de ces journalistes doués pour l'autoflagellation - un sport qu'aime bien la classe médiatique, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Il suffit d'aller faire un tour dans un congrès de journalistes pour voir que nul n'est plus sévère envers les médias que les médias eux-mêmes.
Je ne suis pas douée pour l'autoflagellation, mais j'avoue que dans cette histoire "d'accommodements raisonnables" qui commence à m'ennuyer profondément, je trouve que les médias - certains plus que d'autres, bien sûr -, ont été une incroyable usine à désinformation. Je ne peux m'empêcher de penser que sans toute cette désinformation, nous n'en serions pas là. Sans toute cette désinformation, je ne serai pas assise béate devant ma télé à entendre des gens déblatérer sur la menace du ketchup casher comme s'il s'agissait d'un enjeu national. Le débat est sain, je veux bien. Mais encore faut-il savoir de quoi on parle.
Une des preuves discrètes de toute cette désinformation, ce sont ces guillemets devenus obligatoires chaque fois qu'on emploie l'expression "accommodements raisonnables" détournée de son sens. Les guillemets marquent avant tout ici, il me semble, un timide aveu d'échec - celui des médias à transmettre une information juste et responsable.
Dans le document de consultation de la commission Bouchard-Taylor, on précise bien qu'une tâche prioritaire consiste à dissiper la part de désinformation et de confusion qui entourent le sujet afin de le ramener à ses justes dimensions. Ce qui revient à dire que le mandat de cette commission est de défaire ce que certains médias ont fait comme mauvais travail. On est loin, disons, des nobles objectifs de la commission Gomery qui étaient de poursuivre l'excellent travail d'enquête du Globe and Mail, par exemple.
On me dira qu'il est injuste de ne blâmer que les médias sans souligner par ailleurs le très mauvais travail accompli par les politiciens dans cette affaire. C'est vrai. Car ce ne sont pas les médias qui ont créé la Commission, mais bien Jean Charest lui-même pour se débarrasser sans effort d'une "patate chaude" en pleine campagne électorale. Depuis, c'est lui qu'il faut remercier si on nous ressert la même purée tous les soirs, version casher ou halal, selon l'humeur du jour.
Les médias n'ont pas créé la Commission. Il n'en reste pas moins que la "crise" des "accommodements raisonnables" est leur oeuvre. Et si cette oeuvre est parfois divertissante et instructive, elle n'en est pas moins bâclée. Car au lieu de "porter la plume dans la plaie", comme le suggérait le journaliste Albert Londres, les médias ont surtout créé la plaie. Une plaie que les commissaires ont la tâche ingrate de refermer sans laisser trop de cicatrices, en en tirant des leçons qui finiront sans doute sur une tablette.
En présentant ce point de vue, je suis, me dit-on, plus sévère que le public lui-même à l'égard des médias. Selon une étude du sociologue Michel Lemieux rendue publique lors de la conférence de jeudi dernier, les gens apprécient le rôle de "vigiles" des médias qui ont su attirer l'attention sur certaines "menaces" à l'identité québécoise. Mais de quelles graves menaces parle-t-on vraiment, sinon de celles créées par les médias eux-mêmes? Où sont les "envahisseurs" que les gens semblent tant craindre?
En même temps, le public sondé par l'étude se dit conscient que ces mêmes médias, flairant le sujet vendeur, ont parfois exagéré, ce qui a exacerbé certaines craintes ou réactions émotives. Or, il y a là un non-sens, il me semble. Car c'est justement à cause de cette exagération que les gens en sont venus à croire que l'identité québécoise, soi-disant menacée, a besoin d'une "vigile" médiatique pour être protégée. Ainsi se retrouve-t-on dans une drôle de situation où les gens remercient le pyromane de s'être transformé en pompier, tout en sachant très bien que c'est lui qui a mis le feu. Je trouve ça pour le moins absurde.
Comprenez-moi bien, je ne dis pas qu'il faille éclipser du débat public des sujets aussi importants que la place de la religion dans une société en quête de laïcité. Je ne dis pas qu'il ne faut pas dénoncer le port du niqab au bureau de vote et réaffirmer la présence du lard dans les fèves au lard, si ça vous amuse. Mais tout est dans la manière, dans la mise en contexte, sans quoi, forcément, on en vient à tout confondre.
En transformant des faits divers en faits de société, on entretient la légende voulant que le Québec est envahi par des ultrareligieux qui, non contents d'avoir vidé les cabanes à sucre de leur substantifique moelle porcine, selon des sources mal informées, veulent désormais se baigner tout habillés dans les piscines à vagues de Saint-Sauveur.
C'est ainsi qu'on a créé une toute nouvelle catégorie de citoyens baptisés du terme générique de "ces gens-là". Ces "gens-là" ne veulent pas s'intégrer. Ces "gens-là" devraient retourner dans leur pays. Ces "gens-là" portent des niqabs. Or, paradoxalement, ces "gens-là", sont muets. C'est à se demander s'ils existent. Avez-vous vu ou entendu une seule femme réclamer le droit d'aller voter en niqab? Alors, de qui et de quoi parle-t-on au juste? De ces "gens-là" ou de soi?
Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca
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