Le Québec n'a plus la cote au cégep

Les cours sur le Québec seraient en voie d'extinction

Coalition pour l’histoire

Québec -- Le nombre de cours d'histoire du Québec et de cours sur le Québec est en chute libre dans les cégeps du Québec, entre autres raisons parce que les élèves sont «moins intéressés» par ces cours. C'est ce que montre une étude d'un professeur d'histoire au Cégep du Vieux-Montréal, Gilles Laporte. Selon lui, le cours Histoire du Québec, qui représentait 25,4 % des cours d'histoire offerts au cégep en 1990, n'en représentait plus que 13,3 % en 2006 et «n'est plus offert que dans une dizaine d'établissements». Pour arriver à cette conclusion, M. Laporte a comparé les données du Rapport final de la coordination provinciale pour la discipline histoire de 1991 et, pour 2006, les chiffres très précis d'une étude de marché de la maison d'édition Chenelière éducation.
M. Laporte a aussi évalué à seulement 2424 (soit moins de 5 % des élèves inscrits au collégial) les cégépiens qui ont suivi un cours d'histoire du Québec l'an dernier (1146 à la session d'automne et 1278 à celle de l'hiver). Un sondage mené cet automne auprès d'une trentaine de professeurs d'histoire du collégial a aussi révélé que les trois quarts d'entre eux «sont d'avis que ce cours devrait poursuivre sa régression».
Toujours selon M. Laporte, les cours portant spécifiquement sur le Québec -- tels Fondements historiques du Québec, Sociologie du Québec, Politique Québec-Canada, Économie Québec et ses régions, histoire régionale --, «autrefois des cours importants» dans les programmes de sciences humaines, «sont menacés d'extinction».
Le professeur, qui publiera le mois prochain un éditorial sur la question dans le Bulletin d'histoire politique, croit que les raisons de ce déclin sont multiples. Il souligne en particulier l'absence d'une «compétence» claire prescrivant la connaissance de la société québécoise en sciences humaines au cégep. Dans les programmes de sciences humaines, soutient-il, «nulle part le professeur n'est invité à aborder le thème du Québec». Et dans ces programmes, aucun cours de l'histoire du Québec n'est obligatoire.
Discipline secondaire
Au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), on confirme ce fait. Le seul cours d'histoire obligatoire du programme de sciences humaines est celui intitulé Histoire de la civilisation occidentale. «Toutefois, en fonction du profil qu'il choisit, l'étudiant peut être amené à suivre d'autres cours d'histoire, dont celui portant sur l'histoire du Québec», nuance la relationniste du MELS Stéphanie Tremblay. Il en va de même dans les programmes autres que les sciences humaines, où «les étudiants peuvent cependant choisir des cours d'histoire, à titre de cours complémentaires ou optionnels, s'ils le désirent». On souligne que «l'histoire, dont celle du Québec», est une matière obligatoire dans le parcours de l'élève au secondaire.
Mais cela ne justifie pas, estime M. Laporte, que les étudiants de sciences humaines au cégep «soient exemptés de cours d'histoire de l'endroit où ils vivent». Sans compter qu'au cégep, actuellement, les programmes enrichis se multiplient, comme le bac international, le programme «Histoire et civilisation» et le DEC universel, «offrant tous de l'histoire mais fort peu d'histoire du Québec», note M. Laporte.
Lui-même enseigne à des étudiants dans certains de ces programmes qui, écrit-il, sont souvent axés sur «des contenus exotiques, dans la mouvance altermondialiste et coïncidant mieux avec un stage touristico-historique à l'étranger». Le voyage de fin d'études -- au Guatemala, au Costa Rica, etc. -- détermine souvent le contenu des cours enseignés, fait-il remarquer.
La formation des nouveaux professeurs contribue aussi à la «disparition rapide» du thème du Québec dans l'enseignement collégial. Ceux-ci «n'éprouvent plus autant d'intérêt à parler du Québec dans leurs cours», soutient M. Laporte, puisqu'ils ont été formés dans des départements universitaires d'histoire ou de sciences sociales où la question québécoise, là aussi, occupe une place beaucoup moins importante qu'avant. «Les mémoires et les thèses portent de plus en plus sur des thèmes étrangers, voire non occidentaux, et de moins en moins sur des aspects ayant trait au Québec.»
M. Laporte fait remarquer que plusieurs jeunes enseignants, embauchés depuis 2000, n'ont acquis «qu'un modeste bagage scolaire sur le Québec», et qui remonte paradoxalement... au cégep.
Inquiétude partagée
L'inquiétude de M. Laporte est partagée par plusieurs. (Il a d'ailleurs présenté ses données lors de quelques conférences.) À l'Université du Québec à Montréal, Marc Chevrier, professeur de science politique, abonde dans le sens de M. Laporte. Bien sûr, le Québec demeure étudié par les universitaires, comme «sujet central» ou à «l'intérieur des disciplines» (littérature, sociologie, études urbaines, etc.). Et ces experts ont mis sur pied un réseau international, concède-t-il. «Cependant, quand on observe l'enseignement et ce qui attire les étudiants, force est de constater, du moins en science politique, que les étudiants sont relativement peu attirés par les études québécoises ou canadiennes.» Le volume des mémoires et des thèses qui traitent du Québec «n'est pas impressionnant», note-t-il. Ce sont les relations internationales qui ont la cote.
Normal puisque, depuis quelques décennies, le terme «international» a graduellement pris la place qu'occupait jadis celui de «classique» pour désigner l'excellence, le «nec plus ultra» en éducation. «L'ouverture sur le monde» est devenue une valeur cardinale du système scolaire. Une «attraction immodérée de l'extérieur», juge Marc Chevrier, qui débouche sur un «oubli de soi», une envie de «sortir à tout prix de soi... c'est l'altérité dévoreuse de soi», résume-t-il.
La conséquence de ce mouvement, croit M. Chevrier, c'est par exemple que beaucoup de futurs diplômés deviendront des «spécialistes d'une région du monde ou de questions internationales -- ce qui en soi est très bien --, mais connaîtront plutôt mal encore la société qui les a formés, sans pouvoir faire de comparaison approfondie entre celle-là et leur monde étranger». Or, note Réjean Pelletier, politologue de l'Université Laval, «on aborde peu la situation québécoise en elle-même et pour elle-même. On le fait beaucoup plus dans une perspective comparative».
Gilles Laporte raconte que, récemment, des cégépiens montréalais en stage au Guatemala ont été pris de court lorsque leurs hôtes leur ont demandé de leur parler de la nourriture et des danses traditionnelles du Québec. «La responsable du stage était bouleversée et m'a dit: "Il faudrait bien qu'on trouve quelque chose à dire sur nous".»
La place du Québec dans les cours de sciences humaines fera l'objet d'une table ronde au prochain congrès de l'Association des professeurs d'histoire des collèges du Québec, à Québec en mai prochain.


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