Le Québec est-il refermé sur lui-même?

Fédération internationale des professeurs de français (FIPF)

Le Québec, refermé sur lui-même? Je ne le crois évidemment pas, mais c'est ce qu'affirmait, il y a quelques jours, dans une entrevue au Devoir, Dario Pagel, président de la Fédération internationale des professeurs de français, qui regroupe 70 000 professeurs de français (langue maternelle, langue seconde ou langue étrangère) au sein de 165 associations couvrant toute la planète.
M. Pagel disait que l'«enfermement» des Québécois sur eux-mêmes et leur position sur la langue française les coupent du reste du monde. Il ajoutait que «le français ne court aucun danger au Québec» et que «quand on défend, on ferme».
Voilà des déclarations qui m'interpellent! Je le dis d'emblée: je connais Dario Pagel, le dynamique président brésilien qui occupe ce poste prestigieux depuis 10 ans. À son invitation, je participerai d'ailleurs le 23 juillet prochain, à Québec, à une table ronde dans le cadre du congrès de son organisation. C'est donc en toute amitié, en ce 3 juillet, jour du 400e anniversaire de la fondation de Québec, symbole de la pérennité du fait français en Amérique, que je lui réponds ainsi qu'à tous ceux qui, comme lui, croient que le Québec est refermé sur lui-même.
Le Québec, au même titre -- mais ni plus ni moins -- que toutes les autres nations de taille comparable à la sienne, particulièrement celles qui comme lui ne sont pas souveraines, a conscience de sa précarité linguistique et culturelle. Cette conscience de notre fragilité comme nation ne repose pas sur des perceptions mais bien sur des faits et des chiffres que viennent d'ailleurs de nous rappeler le Conseil supérieur de la langue française et, avant lui il y a quelques mois, Statistique Canada.
Le français recule comme langue d'usage à la maison, le français en tant que langue de travail ne progresse pas, les immigrants non romanophones ne se francisent qu'à 15 % -- le même pourcentage qu'en 1971 --, l'assimilation des francophones hors Québec s'accélère, etc. Comment, par ailleurs, prétendre que «quand on défend, on ferme», alors qu'un des réels succès de la loi 101, qui impose aux enfants des nouveaux arrivants d'aller à l'école française, est la désethnisation de notre langue commune, c'est-à-dire que l'on retrouve ici, maintenant, une génération bigarrée aux noms évoquant des sonorités des cinq continents qui s'exprime en français?
Ceci étant, malgré et peut-être en partie à cause de cette conscience aiguë de leur précarité, les Québécois, qui reviennent de loin, héritiers d'une société en mode survivance, enclose dans un univers plus ou moins fermé, sont passés à la modernité en assumant leur ténacité en terre d'Amérique, en y inscrivant leur langue, leur culture, en s'ouvrant au monde et en se découvrant dans les yeux des autres.
Il suffit de se promener à travers le monde en 2008 pour constater qu'on rencontre des Québécois partout, y compris au Brésil, cher Dario Pagel, ce pays, le tien, sûr de son destin, fier de sa langue qu'il partage avec sept autres pays à l'intérieur d'une lusophonie dont il a pris le leadership, fier aussi de sa culture qui rayonne dans tout l'espace ibéro-américain. Des Québécois, on en retrouve, on le sait, sur toutes les scènes du monde, mais tout autant aux Nations unies, au Tribunal pénal international, à l'Organisation mondiale de la santé, à l'UNESCO et ailleurs; des Québécois qui vivent à l'étranger ou qui y sont de passage pour travailler, créer, produire, importer, exporter. À croire, à certains moments, que nous sommes dix fois plus nombreux que dans la réalité.
Nous sommes plusieurs au Québec à placer nos espoirs dans une Francophonie sans frontières en faveur de laquelle certains d'entre nous oeuvrent depuis les débuts, dans les années 1950. Je pense, en particulier, à ces pionniers regroupés au sein d'ONG et d'OING, tels Jean-Marc Léger et André Bachand, qui ont immédiatement pressenti l'importance de la coopération entre peuples, institutions et individus de langue française, tout comme les grands inspirateurs du projet de création d'une Agence intergouvernementale de la Francophonie qu'ont été le Sénégalais Senghor, le Tunisien Bourguiba ou le Nigérien Hamani.
Depuis, le Québec a fait sa place et sa marque en Francophonie. Considéré comme une force de proposition, il y a toujours été très actif, comblant son peu de ressources financières par son dynamisme. Je souhaite qu'il le demeure, à la veille d'accueillir le XIIe Sommet des chefs d'État et de gouvernement dans notre capitale nationale, malgré les signes inquiétants qui nous parviennent quant à la mainmise d'Ottawa sur l'événement. Le Québec a joué un rôle majeur dans la construction de l'espace francophone en luttant aux côtés de ses alliés, dont la France fut le plus fidèle, afin de faire entendre sa voix unique.
Ce n'est pas parce qu'ils sont des résistants et des combattants que les francophones du Québec sont repliés sur eux-mêmes. Au contraire, ils croient, majoritairement me semble-t-il, à une francophonie mondiale forte et plurielle à laquelle ils veulent participer. Chaque francophone dans le monde a son propre rapport à la langue française. Chaque problématique est différente. Les Québécois savent que ce qui fait l'intérêt de la francophonie, c'est justement sa diversité.
Chacun vient avec son histoire, sa culture, son quotidien, ses rêves d'avenir et essaie de prendre une part de l'autre. Par conséquent, même si notre environnement nous amène à être parfois solitaires, nous nous projetons de plus en plus aux quatre coins du globe grâce, notamment, à notre adhésion pleine et entière à cette Francophonie que nous souhaitons davantage solidaire pour tous les francophones du monde.
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Louise Beaudoin est membre associée au CERIUM, chargée des questions de francophonie internationale et professeure invitée au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.


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