Le Québec, 400 ans et toutes ses dents

Tardive, la reconnaissance par la Chambre des communes canadienne d'une «nation» québécoise n'en est pas moins un symbole bienvenu.

Boisclair à Paris




Les mots, même dans une langue précise comme le français, revêtent plusieurs sens. Les mots «nation», «peuple», «pays» et «patrie» en sont de bons exemples. Le contexte peut aussi leur donner une coloration différente. Exalter la nation ici et maintenant n'a pas les mêmes conséquences qu'autrefois ou qu'ailleurs. Se réclamer du nationalisme dans une grande puissance européenne au passé colonialiste, c'est risquer l'accusation de délit d'amnésie ou d'insensibilité. Le faire au Québec, c'est faire preuve d'une vision libératrice et moderne.
La Chambre des communes du Canada adoptait le 27 novembre, à une forte majorité, une motion reconnaissant ­ tardivement ­ le fait que les Québécois forment une «nation». Truisme parfait pour les Québécois eux-mêmes, mais brusque révélation pour le «rest of Canada». C'est tout de même le 400e anniversaire de la naissance de cette nation que nous nous apprêtons à célébrer en 2008.
Quoi qu'il en soit ­ et en dépit du fait que l'on appelle notre Parlement «Assemblée nationale» depuis 1968 ­, la reconnaissance par le ROC de l'existence de la nation québécoise ne peut que renforcer davantage le sentiment d'appartenance des Québécois à leur véritable patrie : le Québec. A terme, cela ne peut que contribuer au succès de l'option indépendantiste. Il faut souligner néanmoins qu'une motion à la Chambre des communes n'a pas force de loi. Dans les faits, les Québécois ne sont ni plus libres, ni plus autonomes qu'avant. Mais les symboles font aussi partie de la vie et de l'évolution des peuples.
Ne sachant trop à qui ni à quoi référait leur propre motion, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper a d'abord attribué une portée ethnique à la nation nouvellement reconnue, pour aussitôt se raviser et confirmer la nature civique et territoriale de la nation québécoise. Pour nous, indépendantistes québécois, cette distinction est tout à fait fondamentale.
Les mots «nation», «peuple», «pays» et «patrie» ont un sens très différent lorsqu'ils sont utilisés par une collectivité non souveraine. S'il est vrai que le Québec est souverain dans un certain nombre de compétences ­ le Canada étant une fédération ­, l'importante réforme constitutionnelle de 1982 a bien démontré que la nation québécoise était clairement assujettie, sur le plan juridique, à la nation canadienne.
De la même façon, est québécois le citoyen canadien qui réside au Québec. Or, comment définir la nation sur une base aussi vague et imprécise que la résidence ? Vu du Québec, tout citoyen français fait forcément partie de la nation française. De la citoyenneté découle une adhésion, une volonté de participer au projet commun. De la résidence, cette volonté ne s'infère pas. En somme, au Québec, le mot «nation» ne reçoit pas encore l'acception onusienne.
Les humains sont marqués par leur histoire. Qu'ils se soient appelés Français en fondant Québec, Canadiens en leur succédant, Canadiens-Français quand ce fut devenu nécessaire, Québécois dès qu'ils ont pu, les gens de chez nous ne se sont jamais autodéterminés, ils n'ont jamais été les décideurs ultimes de leur destin collectif. C'est sans doute pour cette raison que nous voulons notre nation la plus large et la plus accueillante possible. Pour nous, est québécois tout citoyen canadien résidant au Québec qui veut l'être ; peu importe sa langue, sa religion ou son origine ethnique. Bien que très métissés par l'histoire (sangs amérindien, irlandais, écossais et anglais, notamment), les descendants des colons français existent toujours. Ce sont les Québécois dits de souche. Ils sont à la base du projet national québécois. Ils sont aussi, bien sûr, à l'origine du mouvement indépendantiste québécois. Ils se sont débattus depuis quatre siècles pour continuer d'exister en cette terre d'Amérique. Toutefois, les anglophones du Québec, les Premières Nations (aborigènes) ­ dont nous avons nous-mêmes reconnu le statut en 1985 ­ et tous les autres qui arrivent chaque jour des quatre coins de la planète sont réputés faire partie, au même titre que les Québécois de souche, de la «nation» québécoise. Malgré une citoyenneté aux contours imprécis, être québécois suppose cependant l'adhésion aux valeurs humanistes et progressistes qui nous animent comme peuple. Ainsi, grâce notamment à l'effet combiné de nos chartes de la langue française et des droits et libertés de la personne, des milliers de nouveaux arrivants viennent grossir les rangs des Québécois pour contribuer, en français, aux succès de cette petite nation.
Cette jeune nation de 7,5 millions d'habitants que j'aspire à diriger n'a jamais prétendu avoir l'importance de la France dans l'histoire universelle. Toutefois, nous tirons une certaine fierté du niveau de confort économique et social que nous avons réussi à élaborer tout en travaillant avec acharnement à la protection et au développement de notre langue, de notre culture et de notre statut constitutionnel. Le Québec, pris isolément, se compare à la bonne moyenne des pays de l'OCDE en termes de PIB par habitant (à parité de pouvoir d'achat).
Nation commerçante depuis toujours, le Québec tire bien son épingle du grand jeu nord-américain de l'Alena. Nos succès mondiaux en affaires comme dans le domaine culturel témoignent chaque jour de notre pertinence.
Nous croyons autant dans la pérennité de l'Etat-nation et des identités nationales que dans une mondialisation aux valeurs humanistes. Nous croyons que le combat de la diversité culturelle, maintenant balisé par une convention internationale d'initiative québécoise, est un combat moderne.
Le laboratoire européen auquel vous, Français, participez activement, représente pour nous un intérêt évident dans la définition de nos rapports futurs à nos partenaires continentaux. Nous suivons de près votre évolution. Mais, quelles que soient les conclusions auxquelles vous en arriverez dans une Europe à 27, et malgré la variation du sens des mots, nous savons déjà, de ce côté de l'Atlantique, que la célébration de la nation et de l'identité n'est pas à craindre lorsqu'elle est humaniste. Seule l'exclusion ­ empreinte ou non de nationalisme ­ doit faire peur, très peur.
André Boisclair chef de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale du Québec.


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