Le gouvernement Charest avait réclamé des excuses publiques l'an dernier quand le magazine Macleans avait affirmé que le Québec était la province la plus corrompue de la fédération.
Depuis deux semaines, il est en possession d'un rapport de ses propres enquêteurs, qui explique qu'un «empire malfaisant» contrôlé par la mafia est en voie de prendre le contrôle de certaines fonctions de l'État. Et le premier ministre n'a pas jugé utile de le lire, sous prétexte qu'il ne lui était pas adressé! C'est grotesque. Curieusement, M. Charest ne se gênait pas pour se fourrer le nez dans les dossiers des candidats à la magistrature.
Il ne l'a pas lu, mais il l'a quand même présenté comme un ramassis d'«allégations». En entendant le ministre des Transports, Pierre Moreau, expliquer que les recommandations les plus urgentes avaient déjà été mises en oeuvre et que les autres seraient «examinées» et appliquées «dans la mesure du possible», on voyait déjà se profiler la tablette.
Il ne fallait pas s'attendre à ce que M. Charest découvre soudainement les vertus d'une commission d'enquête. Dès le départ, il a fait le pari de l'entêtement en misant sur la lassitude de l'opinion publique. Il n'en démordra pas.
Il pensait bien avoir gagné son pari, mais la réalité est encore plus têtue que lui. Il est vrai que la mémoire est une faculté qui oublie, mais le temps risque maintenant de lui manquer. Pour le PQ, qui n'arrivait plus à sortir de sa rage d'autodestruction, c'est un véritable cadeau du ciel. Il y avait une éternité qu'on n'avait pas vu Pauline Marois être aussi d'attaque.
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Il est impossible pour M. Charest d'accepter les conclusions du rapport Duchesneau sans renier la vision de l'État qu'il défend depuis 1998, quand il se présentait comme un disciple de Mike Harris. En réalité, c'est le coût de huit ans de réingénierie que mesure le rapport. Pas étonnant qu'il refuse de le lire.
Il est vrai que le Québec n'a pas le monopole de la corruption, comme le premier ministre l'a plaidé, mais tous les gouvernements ne se sont pas départis à ce point des moyens de la combattre.
Après les élections de 2003, M. Charest a vite compris que, au plan du marketing, l'expression «réingénierie» n'était pas très porteuse, mais il n'en a pas moins persisté à céder au secteur privé des fonctions traditionnellement dévolues à l'État. La cure d'amaigrissement avait commencé sous Lucien Bouchard, mais la sacralisation du secteur privé, symbolisée par le partenariat public-privé (PPP), est le fait des libéraux.
Il était toujours possible de présenter les cris d'alarme des syndicats — et des médias — comme la manifestation d'un corporatisme égoïste et rétrograde. Cette fois-ci, c'est un groupe d'enquêteurs dûment mandaté par le gouvernement qui décrit l'incurie d'un ministère totalement incapable de prévenir les abus des entreprises de construction et des firmes de génie-conseil parce qu'il n'a plus la compétence requise.
En raison des sommes colossales investies dans les infrastructures routières, les révélations du rapport Duchesneau sont plus spectaculaires, mais le vérificateur général avait fait le même constat dans le domaine de l'informatique. On frémit maintenant à l'idée de la magouille à laquelle le Plan Nord pourrait donner lieu.
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En rétrospective, on comprend mieux les raisons qui ont poussé M. Charest à nommer Pierre Moreau aux Transports. Sam Hamad aurait été totalement incapable de faire face à une crise pareille. Le remaniement ministériel qui a suivi la démission de Nathalie Normandeau était finalement une opération de contrôle des dommages par anticipation.
Le nouveau ministre des Transports est passé maître dans les sophismes qui ne prouvent strictement rien. Selon lui, les passage du rapport Duchesneau concernant le financement occulte des partis politiques ne tiennent pas la route, puisque les «extras» qui permettraient aux entreprises de dégager les sommes nécessaires ne sont pas approuvés par le cabinet du ministre. Comme si des fonctionnaires véreux ne pouvaient pas faire ce sale travail!
Il est vrai que, à la fin de 2010, le gouvernement a adopté une série de projets de loi pour resserrer les règles de financement des partis politiques. Tout cela ne concerne cependant que les contributions vérifiables par le Directeur général des élections (DGE). Les enveloppes bourrées d'argent qu'on s'échange sous la table échappent à tout contrôle.
Si M. Moreau a été appelé en renfort, le PQ a plutôt décidé de tasser son porte-parole en matière de transports, Nicolas Girard, au profit de son collègue en matière de sécurité publique, Stéphane Bergeron. Et pour cause: il y a un an, M. Girard avait été un des plus féroces détracteurs de Jacques Duchesneau, quand l'ancien chef de police avait été soupçonné d'irrégularités dans le financement de sa campagne à la mairie en 1998.
Nous avons quand même eu le privilège d'une sortie impromptue de François Legault. Entre deux conférences de presse étroitement balisées, il est généralement introuvable. Cette fois-ci, il a senti le besoin de sortir de sa cachette pour hurler avec les loups.
Le prix de la réingénierie
Il est vrai que le Québec n'a pas le monopole de la corruption, comme le premier ministre l'a plaidé, mais tous les gouvernements ne se sont pas départis à ce point des moyens de la combattre.
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