Le Printemps d’Erable : un mai 68 canadien

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise

« Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres et à donner l’apparence de la solidité, à ce qui n’est que du vent. (...) Dans les temps futurs, dire la vérité est un acte révolutionnaire. » George Orwell
Dans une boutade restée célèbre, on expliquait à un citoyen lambda ce qui distinguait le communisme du capitalisme. Le premier serait l’exploitation de l’homme par l’homme et le second exactement le contraire ! On s’aperçoit qu’on avait à choisir entre la peste et le choléra. Dans une contribution précédente, j’avais pointé du doigt le fait qu’à des degrés divers l’indignation était planétaire mais que les méthodes différaient. Le ras-le-bol mondialisé est une réalité. Si les médias aux ordres ont soigneusement étouffé les révoltes des sans-voix mais pas sans droits dans les pays occidentaux, nous voulons, à travers cette contribution, amplifier, malgré l’étouffement, cette rumeur qui enfle pour un ordre plus juste. C’est d’ailleurs un juste échange de bons procédés.
Pendant près de neuf mois, les médias aux ordres se sont occupés des Arabes - poussant la sollicitude à donner un nom à des jacqueries savamment entretenues, le vocable de printemps arabe- avec l’affection d’une Alma mater, en entretenant çà et là le feu de la discorde allant jusqu’à créer des informations imaginaires. Nous allons pour notre part, par respect pour celles et ceux qui galèrent dans les pays occidentaux, leur souhaiter un printemps pour les révoltes légitimes qu’ils mènent. On pensait naïvement que les citoyens du Sud avaient le « monopole de la détresse ». En fait, il n’en n’est rien. La détresse, en un mot, la mal-vie, est mondialisée.
A contrario, justement dans les pays du Sud, il y a des super-citoyens qui n’ont rien à envier aux citoyens des pays riches, voire très riches. La mal-vie est telle en Occident, que de plus en plus, les citoyens protestent contre cette mondialisation-laminoir qui fait par exemple cadeau aux banques qui sont renflouées avec l’argent des contribuables en mutualisant les pertes, privatisent leurs profits au profit d’une oligarchie de sangsues qui pensent être éternels intouchables, voire prendre avec eux leurs fortunes le jour du grand départ. De la Grèce au Portugal, en passant par l’Italie et l’Espagne, ce sont les travailleurs qui doivent accepter l’austérité pour rembourser la dette des États. Pourtant, la dette publique provient des exonérations et réformes fiscales qui ont bénéficié aux entreprises et aux plus riches. Elle est aussi le résultat de tous les plans de sauvetage des banquiers qui ont permis à ces derniers de spéculer de plus belle, y compris contre les États ! (1)
Le Printemps d’érable des indignés canadiens
Depuis plus de trois mois, un conflit oppose au Québec des étudiants au gouvernement qui veut revoir à la hausse les frais de scolarité. Les médias occidentaux font le maximum pour minimiser le conflit et le présenter sous un jour de manifs bon enfant qui n’a rien à voir avec les manifestations qui ont lieu ailleurs dans les pays mineurs où indirectement on habitue le citoyen occidental à la nécessité de mettre de l’ordre et comme brutalement à titre d’exemple dans l’émission C’est dans l’air. La France intervient là où il y a à protéger ses intérêts. Les interventions ne sont pas pour sauver la dignité humaine mais les pouvoirs occidentaux.
Elisabeth Valet, professeure associée dans une université canadienne, nous décrit l’ambiance au Québec « (...) Nous sommes à Montréal, sur le Plateau Mont-Royal, le 26 mai 2012. Il est 19h56. C’est le cent-quatrième jour de grève étudiante, la trente-troisième manifestation nocturne. Venu du Chili, le « tintamarre », comme on dit en Acadie, est devenu un phénomène. Un phénomène institutionnalisé par les médias sociaux contre la loi spéciale 78 adoptée par le Parlement québécois en urgence pour tenter de résoudre par la force une crise qui lui échappe. Tout a commencé, nous dit Elisabeth Valet, durant l’hiver avec la hausse programmée des frais de scolarité. 75% sur cinq ans. « Une hausse inéluctable », clame le gouvernement. 50 centimes par jour, ânonnent les ministres. Impensable, selon les syndicats étudiants, il faut un moratoire. Et alors que l’on approche de l’été, après trois mois d’enlisement, les positions demeurent figées ».(2)
« (....) Un peu moins d’un mois plus tard, faute de dialogue, la situation s’envenime. A compter du 7 mars, les premières manifestations violentes se déroulent au centre-ville de Montréal. Traditionnellement fondée sur le consensus, la société québécoise découvre une agitation politique qui lui semblait appartenir aux années 1970 : on ne se « chicane » pas au Québec. Mais là c’est différent. La société se polarise au fur et à mesure que le conflit s’envenime. Par le biais des lettres ouvertes, des enfants et des parents s’opposent publiquement. Le gouvernement campe - c’est inhabituel - sur ses positions. (...) Mais avec 200 000 étudiants dans les rues le 22 mars, la condescendance ne suffit plus à banaliser le mouvement. Et tandis que le phénomène s’étend graduellement au reste du Québec, les actions des étudiants sont de plus en plus diversifiées et spectaculaires : ponts bloqués (Montréal est une île), Tour de l’île en rouge, manifestation nue. Le conflit poursuit l’auteure, change de nature et devient un enjeu de société. C’est la nécessité d’un nouvel ordre qui est imposée non pas par la masse -comme en 1968 en France avec le slogan emblématique, il est interdit d’interdire - mais par l’élite dirigeante qui veut mettre en place une nouvelle vision basée sur la marchandisation. (2)
La professeure Elisabeth Valet poursuit : (...) La crise s’intensifie. (...) Le syndrome de l’affrontement intergénérationnel/droite-gauche est de plus en plus marqué : le mouvement étudiant, qui se voit comme un mouvement syndical, est dépeint par le gouvernement et les politiciens de droite comme un rassemblement d’enfants-rois qui ne veut pas assumer sa « juste part ». Mais la foule diversifiée qui défile à Montréal pour le Jour de la Terre, le 22 avril, s’inscrit en faux contre cette description. Quelques jours après le rejet par les étudiants de l’entente de principe, le 10 mai, des fumigènes dans le métro à l’heure de pointe, le matin, paralysent la circulation durant plusieurs heures. Les médias et la police diffusent des photos prises par des passagers qui croient avoir vu les coupables. Le lendemain, quatre personnes sont arrêtées. Et seront inculpées sur le fondement des dispositions antiterroristes du code criminel pour « incitation à craindre des activités terroristes (...) La ministre de l’Education, Line Beauchamp, démissionne et la Sûreté du Québec tente de ramener en salle de cours des étudiants qui ont obtenu des injonctions. Mais ils n’ont pas beaucoup de succès. » (2)
« L’adoption de cette loi [78 Ndlr], conclut elle, a l’effet inverse de celui attendu par le gouvernement : elle n’est pas complètement appliquée, remobilise le mouvement étudiant. Surtout, elle amène dans la contestation d’autres groupes sociaux. La machine s’emballe. Le 22 mai, une manifestation monstre envahit de nouveau les rues de Montréal. (...) Malgré cela, et alors que des avertissements de « durcissement » de la répression circulent sur les médias sociaux, le 23 mai, à minuit, les forces de l’ordre encerclent et arrêtent 500 personnes, alors que dans la ville de Québec 700 personnes sont prises dans les filets de la police...(...) Le 1er juin, le gouvernement a rompu les négociations avec les étudiants, reportant le problème au mois d’août, estimant qu’une « accalmie » était nécessaire. (...) La classe annonce des manifestations à l’échelle du Québec pour le 22 juin, tandis qu’universités et lycées essayent tant bien que mal de faire rentrer deux semestres entre le mois d’août et le mois de décembre. Le conflit s’est enlisé et la société s’est polarisée ». (2)
Il faut savoir qu’au Canada les étudiants doivent fréquemment s’endetter pour de longues années, des décennies, pour financer leurs études. La hausse des droits d’inscription revient de ce fait à enchaîner plus encore la vie actuelle et future de ces scolarisés. Pour Joseph Berbery un internaute, « la question posée dépasse de loin celle du coût des études. Une ancienne ministre du gouvernement Charest, madame Jérôme-Forget, a involontairement posé le vrai problème : « Il s’agit de provoquer une révolution culturelle. Les citoyens vont devoir s’habituer à payer pour les services qu’ils reçoivent. La vraie question est désormais claire. Aujourd’hui, on met la hache dans le service public de l’Éducation nationale. Demain, ce seront les soins médicaux, la participation de l’État aux frais pharmaceutiques, l’hospitalisation gratuite, le soutien au logement, l’aide judiciaire, etc. Vive l’État Gendarme qui ressuscite au service des empires financiers ».
Dans une autre étude percutante sur le mécanisme de la dette nous lisons : « Le capitalisme contemporain, d’une part, encourage les gouvernés à s’endetter (aux États- Unis, où l’épargne est négative, on contracte tous genres de crédits à la consommation, pour acheter une maison, pour poursuivre ses études, etc.) en ôtant à l’endettement en général toute charge culpabilisante ; d’autre part, il culpabilise individuellement les citoyens en les rendant responsables des déficits publics (de la Sécurité sociale, de l’Assurance-maladie, de l’Assurance-chômage, etc.), qu’ils sont invités à combler en sacrifiant leurs droits sociaux. (...) il s’agit d’installer les gouvernés dans un système de dette infinie. (...) La dette infinie n’est pas d’abord un dispositif économique, mais une technique sécuritaire pour réduire les risques des comportements dangereux des gouvernés. En dressant les gouvernés à « promettre » (à honorer leur crédit), le capitalisme « dispose à l’avance de l’avenir », puisque les obligations de la dette permettent de prévoir, de calculer, de mesurer, d’établir des équivalences entre les comportements actuels et les comportements à venir.(3)
On le voit, le néolibéralisme en véritable mante religieuse avance insidieusement et lamine tout ce qui lui tient tête en marchandisant et privatisant tout ce qui a de la « valeur » et en mutualisant les pertes de tout ses errements.
Quel est le poids des Indignés de par le monde ?
Dans cette atmosphère de non droit et de servitude volontaire à un système qui présente les faux attributs dela démocratie et de la liberté, le citoyen en terre « d’Occident » paye chère cette liberté au prix même de sa survie. Aussi il a mille fois raison de s’indigner comme nous le recommande Stephane Hessel.
Yann Fievet, dans une contribution remarquable et lucide, pointe du doigt la réalité du monde et justifie le combat des Indignés. En appelant à l’unité contre l’instrumentalisation. « Le paysage de l’Indignation, écrit-il, est tout à la fois clairsemé et riche de diversité. (...) La crédibilité et la légitimité de l’Indignation nécessitent de rompre avec les apparences dont l’idéologie néolibérale se sert abondamment afin de discréditer la contestation dans ses formes réellement subversives et espérer ainsi rendre immuable l’ordre existant. (...) Face aux périls fatals qui pèsent sur la planète et l’humanité qu’elle supporte, l’intelligence est à l’évidence du côté de l’Indignation. Pourtant, elle ne triomphera pas si seuls tombent les casques. » (4)
Yann Fievet nous met en garde contre le capitalisme doux :« (....) Le modèle économique dominant et le mode de gestion qu’il s’est choisi voilà trente ans déjà, à savoir respectivement le capitalisme et le néolibéralisme, sont producteurs de l’accroissement de la misère, de l’amplification des inégalités socio-économiques, de destructions irréversibles des écosystèmes, de l’épuisement définitif des ressources vitales. (...) Qu’il soit dur ou adouci, le capitalisme est le capitalisme. Sa capacité à phagocyter à son profit - souvent en les travestissant - les expériences socio-économiques d’émancipation de sa loi d’airain devrait nous ouvrir les yeux, à défaut de nous terrifier. (4)
L’auteur nous rappelle ensuite qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, les méfaits de la démocratie capitaliste ont déjà été dénoncés en leur temps par Aldous Huxley en 1958 dans
Le meilleur des mondes : « (...) par le moyen de méthodes toujours plus efficaces de manipulation mentale, les démocraties changeront de nature. Les vieilles formes pittoresques - élections, Parlements, hautes cours de justice - demeureront mais la substance sous-jacente sera une nouvelle forme de totalitarisme non violent. Toutes les appellations traditionnelles, tous les slogans consacrés resteront exactement ce qu’ils étaient au bon vieux temps, la démocratie et la liberté seront les thèmes de toutes les émissions radiodiffusées et de tous les éditoriaux mais (...) l’oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera. » Citant l’expérience canadienne, il écrit : « En cette fin de printemps, le citoyen distrait peut facilement avoir le sentiment que les mouvements sociaux qui secouèrent divers pays européens l’an dernier et au début de l’année en cours, se sont éteints de leur belle mort. (...) En réalité, les peuples sont toujours en mouvement : les Grecs manifestent tous les jours que le dieu Marché fait, la jeunesse espagnole est massivement descendue dans la rue le 22 mai pour marquer son opposition résolue à l’augmentation fulgurante des droits d’inscription à l’université...La mémoire des Québécois ne se souvient pas d’avoir jamais vécu un aussi vaste mouvement de protestation. Toute la Belle Province en est secouée. La colère déborde nettement du cadre estudiantin tant le nombre de gens comprenant que la hausse de 75% des droits de scolarité en cinq ans n’est que l’un des signes inquiétants de la marchandisation du bien commun. Quand ce n’est pas l’École publique qui est menacée, c’est le système de santé ou le patrimoine naturel saccagé par l’exploitation du pétrole de schiste ou par celle de la forêt boréale. (...). » (4)
Le mai 68, pourrait-on dire, canadien est une indignation de plus, appelé printemps « d’érable » il a été « analogisé » avec le printemps arabe. Tout est bon en fait, pour connoter les autres pour le plus grand bien de l’Empire et de ses vassaux Que dire en définitive de ces indignations qui n’ont pas l’air d’ébranler les puissants de ce monde malgré les détresses des citoyens Est-ce cela le sort des faibles quelle que soit leur latitude ?.
Cet ordre de plus en plus fasciste est le fer de lance du marché. J. K. Galbraith, économiste nous avait pourtant mis en garde contre lui : « L’économie de marché est volontiers décrite comme un héritage ancien. En l’occurrence, c’est une escroquerie, ou plus exactement une erreur communément admise. Trop de gens apprennent l’économie dans des manuels qui entretiennent encore les dogmes de la production concurrentielle des biens et des services et de la capacité d’acheter sans entraves. En fait, il peut n’y avoir qu’un ou quelques vendeurs assez puissants et persuasifs pour déterminer ce que les gens achètent, mangent et boivent. » Tout est dit.
Chems Eddine Chitour
1. Chitour http://www.legrandsoir.info/le-printemps-occidental-les-indignes-relevent-la-tete.html
2. E.Vallet http://blog.mondediplo.net/2012-06-12-Au-Quebec-meme-les-alouettes-sont-en-colere
3. Extrait de Dette objective et dette subjective, des droits sociaux à la dette http:// www.cip.idf.org/article.php3?.id_article=5782
4. Yann Fivet : http://www.legrandsoir.info/les-indignes-combien-de-divisions.html


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