Le péril bleu

Élections 2006

Ceux qui se demandaient à quel parti la remontée conservatrice risque de nuire le plus au Québec savent maintenant à quoi s'en tenir. Hier soir, Gilles Duceppe a carrément tourné ses canons vers Stephen Harper.
Il y a déjà un bon moment que le Bloc québécois a fait le plein des voix qu'il pouvait espérer enlever aux libéraux grâce au scandale des commandites. Utiliser les récentes révélations sur les activités illicites d'Option Canada contre le PLC serait presque du gaspillage.
M. Duceppe a bien vu qu'il valait mieux en profiter pour conjurer le péril bleu. Il s'était un peu retenu lors du débat en anglais, lundi, mais il s'est déchaîné hier. À l'entendre énumérer les personnalités conservatrices éminentes siégeant au Conseil de l'unité canadienne, dont Option Canada était une simple créature, on avait presque l'impression que les libéraux ont joué un rôle mineur dans cette sombre affaire.
Les noms de Peter White, Michael Meehan, Jean Bazin, Yves Fortier, Pierre Claude Nolin n'apparaissent nulle part dans le livre de Normand Lester et Robin Philpot, mais le chef du Bloc n'avait que ceux-là à la bouche.
Dans un de ces accès de triomphalisme auxquels il a succombé plus d'une fois depuis le début de la campagne, M. Duceppe a commis l'imprudence de fixer à son parti l'objectif de 50 % des voix plus une. La nouvelle popularité des conservateurs risque maintenant de freiner non seulement l'élan du Bloc, mais celui de tout le mouvement souverainiste.
Au printemps 2004, plusieurs rêvaient de l'élection d'un gouvernement Harper, qui achèverait de convaincre les Québécois que le Canada est devenu un pays étranger à leurs valeurs. Aujourd'hui, il semble moins évident que cela constituerait une «condition gagnante».
Il ne servirait à rien au Bloc de gagner la période s'il fallait que le PQ perde la deuxième. Les libéraux de Jean Charest sont présentement dans les câbles, mais ils pourraient très bien en sortir si un gouvernement conservateur entreprenait réellement de régler le déséquilibre fiscal et accordait au Québec une certaine marge de manoeuvre sur la scène internationale.
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En tout cas, M. Duceppe pourra compter sur les libéraux pour l'aider à bloquer la route aux conservateurs. Dès son introduction, Paul Martin a fait écho à la nouvelle publicité ultra négative sur laquelle misent les libéraux pour le dernier droit de la campagne. Si négative qu'un des messages a dû être retiré sur-le-champ à la suite d'une plainte de... l'armée canadienne.
En moins d'une minute, tous les torts de M. Harper y sont passés: son opposition au protocole de Kyoto, son appui à la guerre en Irak, son opposition à l'accord du Lac-Meech, le milliard que son programme sur les garderies fera perdre au Québec. Bref, a résumé M. Martin, le programme conservateur est «contraire aux valeurs des Québécois».
MM. Duceppe et Martin sont également tombés d'accord pour voir de simples voeux pieux dans la prétendue ouverture de M. Harper aux demandes du Québec, notamment en ce qui concerne le déséquilibre fiscal.
Il est vrai qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Encore une fois, le chef conservateur a été incapable d'avancer la moindre solution concrète, même s'il a dit que le rapport Séguin «l'intéresse beaucoup», mais il y a si longtemps que les Québécois n'ont pas entendu un discours aussi positif de la part d'un homme qui pourrait très bien devenir premier ministre du Canada dans moins de deux semaines. Hier soir encore, M. Martin a ramené le déséquilibre fiscal à une question de sémantique.
Dans cette alliance conjoncturelle avec ses nouveaux amis libéraux, M. Duceppe a laissé à Jack Layton le soin de dire tout haut ce que lui-même pensait sans doute tout bas: «Les promesses vides des libéraux sont une insulte à l'intelligence qui s'ajoute à celle des scandales.» Cela a été un des très rares bons moments de la soirée pour le chef du NPD, qui semblait complètement ailleurs par moments.
Pour des raisons évidentes, les trois chefs anglophones ont été nettement moins bons que lors du débat de lundi. Une soirée bien facile pour Gilles Duceppe, presque trop. Encore une fois, M. Harper en a perdu des bouts, mais il avait l'air si inoffensif qu'il fallait faire un gros effort pour voir en lui le dangereux personnage qu'a tenté de dépeindre M. Martin. Pour conjurer un péril, il faut au moins que celui-ci ait l'air un peu menaçant.


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