Le nouvel ennemi public

Les francophones et les moins de 55 ans tendent à tenir le gouvernement pour responsable de l’échec du règlement de la crise plutôt que les associations étudiantes. Tout va donc très bien.

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



En juillet 1990, Jacques Parizeau, alors chef de l’opposition, avait demandé au gouvernement Bourassa de prendre « toutes mesures nécessaires au dégagement du pont Mercier », qui était bloqué par les Mohawks de Kahnawake depuis deux semaines.
Malgré la frustration grandissante de la population blanche de Châteauguay, qui s’estimait prise en otage, M. Bourassa a refusé d’avoir recours à la force. Au total, le blocus a duré 50 jours, mais il s’est terminé sans effusion de sang. Ce jour-là, tout le monde a poussé un soupir de soulagement.
Il se trouve sans doute encore des gens qui sont d’avis que le gouvernement a fait preuve d’une impardonnable faiblesse à l’époque et qu’il aurait mieux valu risquer un carnage plutôt que de plier devant la violence. Pourtant, qui peut sérieusement prétendre aujourd’hui que la démocratie québécoise a pâti de la prudence de M. Bourassa ?
L’exercice du pouvoir a généralement - mais pas toujours - pour effet de renforcer le sens des responsabilités. Je ne crois pas que M. Parizeau aurait donné à la SQ l’ordre de donner l’assaut aux barricades mohawkes s’il avait été premier ministre.
Je tiens également François Legault pour un homme responsable. Dans l’opposition, il est facile de jouer les cow-boys pour se faire applaudir par les partisans de l’ordre à tout prix, mais j’ose penser que le chef de la CAQ garderait la tête froide s’il était à la place de Jean Charest.
Prendre « tous les moyens », c’est-à-dire utiliser la force policière, pour permettre aux étudiants qui le désirent de rentrer en classe dans les établissements où une majorité a voté en faveur de la grève ne pourrait qu’avoir pour effet d’aggraver une situation déjà dangereusement explosive.
Après les injonctions, les accusations d’outrage au tribunal vont placer la direction de ces établissements dans une situation impossible en les forçant à choisir entre l’obligation de respecter la loi et celle d’assurer la sécurité des étudiants et du personnel.
***

Il est clair depuis un bon moment que la crise actuelle ne peut être résolue par la voie judiciaire. Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, aura beau multiplier les sophismes, le courage politique ne consiste pas à se décharger de ses responsabilités sur les tribunaux.
Maintenant que la FECQ a rejeté à son tour l’entente de samedi dernier et que de nombreux étudiants se résignent à perdre leur session, l’espoir d’une solution négociée s’amenuise rapidement. Il faudra bientôt choisir entre une guerre d’usure, avec tous les risques que cela comporte, et le moratoire que réclament ceux qui arborent maintenant le carré blanc.
Renoncer ne serait-ce que temporairement à la hausse des droits de scolarité serait évidemment très mortifiant pour le gouvernement. Au dernier conseil général du PLQ, le premier ministre a bien fait rire les délégués en se moquant des moratoires que Pauline Marois réclame à tout propos.
Il est clair que le gouvernement a gagné le débat sur la hausse des droits de scolarité. Si besoin était, le sondage Léger Marketing-QMI, dont les résultats ont été publiés hier, confirme qu’une nette majorité de Québécois (60 %) approuve la hausse.
Il ne sert cependant à rien de gagner une bataille si c’est pour perdre la guerre. Aux yeux de la population, la question des droits de scolarité est devenue relativement secondaire. Ce qui lui importe est que le conflit et les perturbations qu’il entraîne cessent d’une manière ou d’une autre.
***
La donnée la plus importante du sondage est que 71 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement a mal géré le conflit, et la grogne pourrait encore augmenter si la saison touristique était bousillée. La CLASSE promet de nouveaux coups d’éclat au cours des prochaines semaines et le Grand Prix du Canada est déjà dans sa mire.
Aux prochaines élections, ce n’est pas la performance des associations étudiantes qui sera jugée, mais celle du gouvernement. D’ailleurs, il aurait peut-être avantage à ce que la hausse des droits de scolarité soit au coeur de la campagne électorale, plutôt que la corruption et les méthodes de financement du PLQ.
Tout au long de la semaine, Pauline Marois s’est faite aussi discrète que possible sur la grève étudiante. Depuis des semaines, le PQ y consacrait l’essentiel de la période de questions à l’Assemblée nationale. Cette semaine, on avait visiblement hâte de passer à autre chose.
Manifestement, la chef du PQ n’a aucune envie de faciliter une sortie de crise qui profiterait au gouvernement. Elle s’est donc contentée de ne plus nuire, demandant simplement au gouvernement de poursuivre les négociations avec les associations étudiantes.
Un autre sondage de Léger Marketing, réalisé celui-là pour le blogue de Jean-François Lisée, peut expliquer cet attentisme. Les francophones et les moins de 55 ans tendent à tenir le gouvernement pour responsable de l’échec du règlement de la crise plutôt que les associations étudiantes. Tout va donc très bien.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->