Londres — Il y a quelques semaines, une dizaine de jeunes filles d'une école secondaire d'Elsemere Port, près de Liverpool, ont refusé de participer à la visite d'une mosquée après qu'on les eut informées qu'elles devraient revêtir le voile islamique. Le directeur a aussitôt rappelé aux parents que la visite était obligatoire dans le cadre d'un cours destiné à promouvoir la «tolérance et le respect» et que les absents seraient sanctionnés.
Un mois plus tôt, Shirley Chaplin, qui travaillait depuis 31 ans au Royal Devon and Exeter Hospital, a perdu sa cause devant un tribunal du travail. Elle contestait la décision de son employeur de l'obliger à retirer la petite croix qu'elle avait toujours portée au cou, prétextant que de nombreux médecins portaient le foulard islamique. L'hôpital invoqua des raisons de sécurité, et cette grand-mère de 54 ans est aujourd'hui reléguée à des fonctions administratives.
Il ne se passe guère de mois sans que ce genre d'incidents fassent les manchettes. «La Grande-Bretagne n'est jamais allée jusqu'à épouser officiellement les thèses du multiculturalisme comme le Canada. Mais, subrepticement, ces idées se sont imposées depuis une vingtaine d'années», affirme Rumy Hasan. Cet universitaire originaire de l'Inde qui a grandi en Grande-Bretagne est l'auteur d'un ouvrage remarqué intitulé Multiculturalism: Some Inconvenient Truths (Politico's Publishing), que l'on pourrait traduire ainsi: «Quelques vérités qui dérangent à propos du multiculturalisme».
Après les Pays-Bas, aujourd'hui en crise, le Royaume-Uni est le pays européen qui a été le plus influencé par le multiculturalisme. En 2000, un rapport du Runnymede Trust, The Future of Multi-Ethnic Britain, avait même proposé que la Grande-Bretagne se proclame officiellement multiculturelle, comme le Canada l'a fait en 1982. Mais plusieurs événements ont depuis égratigné l'image multiculturelle du pays, explique Hasan.
Pendant l'été 2001, de violentes émeutes opposèrent des jeunes d'origine pakistanaise et indienne à des groupes d'extrême droite dans les villes du nord de Bradford, Burnley et Oldham. Après les attentats terroristes du 7 juillet 2005, les Britanniques découvrirent avec stupeur qu'ils avaient été commis par de jeunes musulmans nés et éduqués dans leur pays.
Une politique de laisser-faire
«Nous découvrons aujourd'hui qu'il existe au Royaume-Uni de véritables ghettos ethniques, explique Rumy Hasan. Par exemple, des immigrants du Cachemire ont importé leur mode de vie traditionnel, font du commerce avec leur pays d'origine, écoutent la télévision de leur pays et se marient entre eux exactement comme s'ils étaient en Inde. Depuis trois générations, ils retournent se marier au village. À cause d'une politique de laisser-faire, ils sont totalement détachés psychologiquement de la société majoritaire.»
Selon l'universitaire, ce «détachement psychique», particulièrement fort parmi les communautés indienne et pakistanaise, n'est pas d'abord dû à la ségrégation dont elles seraient victimes. Au contraire, dit-il, même si le racisme persiste, la société britannique est devenue de plus en plus accueillante. Il serait donc le résultat de la volonté de certaines de ces communautés de s'isoler et de continuer à vivre exactement comme si elles ne s'étaient jamais installées en Grande-Bretagne.
Rumy Hasan n'est pas le seul à déplorer que le Royaume-Uni cultive les différences ethniques et religieuses. En 2005, le président de l'Equality and Human Rights Commission, Trevor Phillips, avait dénoncé le multiculturalisme qui rendait les Britanniques étrangers les uns aux autres. Il y a deux ans, la déclaration du chef de l'Église anglicane, Rowan Williams, selon laquelle les lois anglaises devraient tenir compte de la charia, avait soulevé un tollé. «L'extension et l'encouragement dont jouit le multiculturalisme depuis peu ont eu pour conséquence d'affaiblir l'unité dont ce pays a besoin. [...] En arrivant dans ce pays, nous croyons que tous doivent épouser certaines valeurs communes qui font partie de notre héritage», avait déclaré le cardinal Cormac Murphy-O'Connor.
Le bon message
Depuis quelques années, déplore Rumy Hasan, les différences ethniques se sont muées en différences religieuses. «Auparavant, on parlait des Pakistanais ou des Antillais, dit-il. Aujourd'hui, on parle des musulmans et on crée de toutes pièces des ghettos religieux.» Hasan reproche aux travaillistes, et à l'ancien premier ministre Tony Blair, d'avoir encouragé la prolifération des écoles religieuses des groupes minoritaires (minority faith schools). «Les travaillistes disaient développer la cohésion sociale et lutter contre les ghettos. Mais, en même temps, ils faisaient tout pour favoriser et financer les écoles religieuses.»
Depuis quelques années, le Royaume-Uni a modifié sa politique d'immigration. Les quotas ont été réduits et les nouveaux immigrants doivent prouver qu'ils parlent suffisamment l'anglais et connaissent les coutumes du pays. L'an dernier, une commission présidée par le ministre de la Justice Michael Wills avait même parcouru le pays pour discuter de l'identité nationale. Deux Britanniques sur trois s'étaient déclarés favorables à cette démarche, mais la commission a été discrètement enterrée à l'approche des élections afin d'éviter la controverse.
Hasan craint que la Grande-Bretagne ne suive le chemin des Pays-Bas, où la moitié de la population juge aujourd'hui que les cultures occidentales et musulmanes sont incompatibles. Il souhaite une action plus vigoureuse afin de briser les ghettos religieux et rêve d'une commission comme la commission Stasi, qui a proposé l'interdiction du port du voile islamique dans les écoles françaises. «Cela a le mérite d'envoyer le bon signal: celui qui dit qu'il faut s'intégrer à la majorité.»
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Correspondant du Devoir
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Le Devoir en Grande-Bretagne
L'entrevue
Le multiculturalisme égratigné
Après les Pays-Bas, la Grande-Bretagne s'inquiète de l'apparition de ghettos ethniques et religieux, soutient l'auteur Rumy Hasan
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