Le décalage sera grand cette semaine entre ce que la population, nourrie par le témoignage spectaculaire de Marc Bellemare, attend de la suite de la commission Bastarache et le mandat bien particulier, avec procédure qui va à l'avenant, que celle-ci est tenue de respecter. Une énorme perte de temps s'annonce, et elle ne profitera qu'à l'ancien ministre de la Justice.
Tout le Québec se meurt d'entendre le premier ministre Jean Charest dans le cadre solennel du rituel d'une commission d'enquête, pour reprendre les mots de notre chroniqueur Gil Courtemanche. Qu'aura-t-il à répondre au long témoignage de Marc Bellemare, lui dont la perte de crédibilité est quasi totale, comme le prouvent les sondages et les déclarations contradictoires dont Le Devoir faisait état à la une samedi.
Mais on sait maintenant que M. Charest, qui doit en piaffer d'impatience, devra attendre longtemps son tour. En revanche, c'est encore Marc Bellemare qui revient aujourd'hui sous les projecteurs, soumis aux questions que lui poseront ceux qui ont eu la chance d'être désignés intervenants par la commission, dont les avocats du gouvernement du Québec, du Parti libéral et de Jean Charest lui-même — autant dire une triple possibilité d'attaque au nom du premier ministre. À l'inverse, Marc Bellemare est un témoin, pas un intervenant, ce qui fait que son avocat ne pourra contre-interroger personne.
La commission refuse de voir le déséquilibre des forces en présence, se réfugiant derrière la procédure. Son porte-parole, Guy Versailles, l'expliquait très clairement à LCN vendredi: il y aurait déséquilibre s'il s'agissait d'un procès. «Mais nous ne sommes pas dans un procès, il n'y a pas d'accusés. La commission veut seulement établir les faits et n'a pas le pouvoir de condamner personne.»
La procédure joue donc en faveur du premier ministre, mais, on s'en doute, c'est Marc Bellemare qui, plus David que jamais, en sortira gagnant. Même si ses propos devaient être flous ou se contredire, le fait qu'il sera l'homme sur le gril assure que sa popularité restera au zénith. Les gens en ont fait un tel porte-voix de leurs frustrations face au gouvernement Charest qu'ils sont prêts à tout lui pardonner. Certains le verraient même faire un retour en politique, oubliant à quel point il a été un ministre militant, pressé, chicanier, interventionniste.
La semaine appartiendra donc encore à M. Bellemare. Mais une fois celui-ci parti, la commission sombrera dans un monde parallèle, loin des préoccupations du Québec tout entier. Elle entendra ainsi des dames Breton et Giguère, coordonnatrices à la sélection des juges, alors que c'est Chantal Landry, responsable des nominations au bureau du premier ministre et dont le nom a été répété à satiété la semaine dernière par Marc Bellemare, que l'on voudrait voir interroger.
La commission rendra aussi disponibles des travaux d'experts, de la rigueur desquels on ne doute pas. Mais des thèmes comme «La discrétion du gouvernement dans le processus de nomination des juges: réflexion sur la légitimité d'un pouvoir controversé» sont de bien trop hautes considérations pour le champ de bataille actuel.
Et cette déconnexion du réel n'est pas finie puisque la commission doit encore se pencher sur la nomination des juges des cours municipales, alors que ni de près ni de loin il n'en a été question dans toute cette saga.
Ce que les Québécois veulent savoir est pourtant clair: qui dit vrai? Nous ne sommes pas là pour trancher le pour et le contre, répond la commission. Quel gaspillage de temps, d'argent et de ressources!
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jboileau@ledevoir.ca
Commission Bastarache
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