Le flop de l'été

Que s’est-il passé ? Le système a gagné. Cet échec est une illustration vivante des incohérences, de la lourdeur et de l’inertie de notre système de santé.

La faute au "système de santé" ou à un corporatisme médical scandaleux ?


Fin juin, le Collège des médecins annonçait une initiative qui permettrait à quelque 200 médecins résidents de pratiquer la médecine cet été et donc d’atténuer les effets de la pénurie d’effectifs médicaux particulièrement aiguë pendant les vacances estivales.


Ce projet, annoncé en grande pompe, aura été un flop monumental. En août, à peine cinq résidents avaient répondu à l’appel et obtenu le permis de pratique temporaire que le Collège était prêt à leur délivrer.
Que s’est-il passé ? Le système a gagné. Cet échec est une illustration vivante des incohérences, de la lourdeur et de l’inertie de notre système de santé. Pour mieux comprendre, faisons un voyage dans les entrailles du monstre.
L’idée est simple. Il s’agit de donner un permis de pratique temporaire à des médecins résidents pour qu’ils puissent faire du dépannage dans les hôpitaux.
Cela s’adresse à ceux qui ont complété quatre ans de résidence en médecine interne ou en pédiatrie, et qui ont passé avec succès leur examen du Collège royal des médecins et chirurgiens. Ce sont des médecins spécialistes certifiés, même si leur résidence n’est pas terminée. Et déjà, ils peuvent pratiquer ailleurs au Canada.
En partant, cela soulève une première interrogation. Avec ce projet, on n’a pas inventé le bouton à quatre trous, on ne fait que corriger une aberration. Pourquoi des médecins québécois, formés au Québec, qui pouvaient déjà pratiquer ailleurs au Canada, ne pouvaient pas le faire au Québec ? Dans un contexte de pénurie, on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant.
À cela s’ajoute un autre phénomène. Au nom de sa traditionnelle juridiction en santé, le Québec veut montrer son caractère distinct. Entre autres, les médecins en question doivent faire cinq ans de résidence au Québec, quand c’est quatre ans ailleurs au Canada. C’est ce qui explique pourquoi ils pouvaient pratiquer dans les autres provinces. Y a-t-il une logique ? Nos médecins sont-ils de plus haut niveau ? Ou s’agit-il plutôt d’être différent pour le plaisir d’être différent ? Ce repli sur soi enferme notre système de santé dans une bulle confortable qui le protège contre l’émulation, la concurrence et l’innovation.
Mais ce n’est pas tout. L’idée, en apparence simple, ne l’était pas. Même si le Collège des médecins dit oui à ces résidents, ce n’est pas prévu dans la loi médicale, qui relève du Code des professions et de l’Office des professions. Il n’y a pas de mécanisme de certification en place. Et donc, pour pratiquer au Québec, le malheureux résident devra obtenir un permis de pratique dans une autre province canadienne. Et là, ce qui intervient, c’est l’imbécillité bureaucratique dans toute sa splendeur.
Cette aberration bureaucratique explique en bonne partie l’échec de l’opération. Elle impose une lourde et coûteuse course à obstacles : le malheureux résident doit obtenir un permis dans une autre province, de 500 $ à 1000 $, ensuite un permis au Québec, quelques centaines de dollars, sans compter les assurances.
Il était, en partant, difficile de croire que ce lourd processus, enclenché à la fin juin, puisse vraiment donner des fruits dès cet été. En plus, certains résidents auront trouvé que c’était trop compliqué. Et surtout, bien d’autres, après avoir obtenu leur permis d’une autre province, ont sans doute trouvé qu’il était plus avantageux de pratiquer ailleurs.
Mais cette bêtise bureaucratique ne serait rien sans l’incroyable inertie du système. Évidemment c’est plus difficile dans un réseau structuré en silo, avec des composantes qui ne se parlent pas. Dans le dossier des résidents, l’Office des professions relève du ministère de la Justice, et du côté de la santé, il faut sans doute impliquer le ministère, les hôpitaux, les agences régionales, peut-être la RAMQ, sans compter le Collège, les fédérations des spécialistes et des résidents.
Ajoutez à cela une petite dose de corporatisme, et c’est le cauchemar. Le fait que l’initiative vienne du Collège des médecins n’aide sans doute pas. Cet organisme voulait montrer sa bonne foi dans le dossier des pénuries et démontrer qu’on pouvait agir sans le gouvernement. On peut imaginer que le Collège n’a pas nécessairement eu tout le soutien dont il avait besoin de la part du réseau.
Mais s’il était aberrant, à sa face même, d’exiger un permis d’une autre province pour pratiquer au Québec, comment se fait-il que personne n’ait bougé pour régler ça rapidement ? On imagine les réponses : ah, c’est compliqué, il faut redéfinir les normes, changer les lois, tout ça prend du temps, blablabla. Mais je n’arrive pas à croire qu’une affaire aussi simple, aussi niaiseuse, ne puisse pas se régler en une semaine ou deux, si on a l’énergie et la volonté.


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