La colère de Mulroney

L'affaire Mulroney-Schreiber


Presque 20 ans après l'échec de l'entente du lac Meech, Brian Mulroney a encore du mal à maîtriser sa colère. Dans ses mémoires, qu'il publiera lundi prochain, et dans l'émission spéciale pour le lancement du livre, l'ancien premier ministre règle ses comptes avec son adversaire et prédécesseur, Pierre Elliott Trudeau.
M. Mulroney accuse en fait M. Trudeau d'avoir largement contribué au déraillement du processus d'approbation de l'entente du lac Meech et donc d'être le grand responsable de ce qu'il estime être le plus grand échec de sa carrière politique.
Il a raison. Pierre Elliott Trudeau a dénoncé cette entente qui aurait permis le retour du Québec dans le giron constitutionnel canadien. Et ses interventions ont largement contribué à torpiller le projet. Avec des conséquences incalculables dont on sent encore les effets aujourd'hui. Ce fut un des grands moments de la bêtise politique du Canada contemporain. Le terme est fort? C'est l'expression que le grand homme politique a employée dans ses attaques contre les partisans de l'entente.
Et pourtant, au Canada, on voue une admiration sans bornes, qui confine parfois à l'adulation, à la mémoire de l'ancien premier ministre libéral, tandis que l'ancien premier ministre conservateur reste honni et détesté. Une caractéristique fascinante de la psyché canadienne qui n'est évidemment pas étrangère à l'animosité que M. Mulroney manifeste à l'égard de M. Trudeau.
L'entente du lac Meech ne faisait pas l'unanimité. Dans ce débat très serré, l'intervention de M. Trudeau a sans doute fait pencher la balance, en donnant une caution morale à ses opposants, et en privant ses artisans d'un appui important qui aurait permis de se rapprocher d'un consensus. Certains se souviendront de sa mémorable lettre à La Presse: « Le Canada s'en portera mieux si le monstre du lac Meech retournait se noyer au fond du lac d'où n'aurait jamais dû surgir sa tête hideuse. « Mais n'oublions pas tout le travail de coulisse de ses alliés, notamment celui du premier ministre terre-neuvien Clyde Wells qui en a signé l'arrêt de mort.
Les conséquences ont été lourdes. On a tué un projet qui visait à effacer la cicatrice laissée par le rapatriement de la constitution dont le Québec avait été exclu, dans un effort de réconciliation qui passait notamment par la reconnaissance de son caractère distinct. Cet échec a ébranlé les Québécois de toutes couleurs et redonné vie à un courant souverainiste affaibli. On connaît la suite: la volte-face politique de Lucien Bouchard, le référendum presque remporté par le OUI en 1995 et la naissance du Bloc québécois qui, encore maintenant, bouscule la politique fédérale. Le coût, pour le Canada, a été énorme.
Et pourquoi? On pourra invoquer la défense de grands principes, la vision de M. Trudeau, opposé à un statut particulier pour le Québec. Mais il y avait aussi la vanité d'un premier ministre à la retraite, qui ne voulait pas que quelqu'un réussisse là où il avait échoué. Et l'entêtement qui l'empêchait de reconnaître que le rapatriement de la constitution sans le Québec, dans un climat de magouille peu honorable, pouvait poser problème.
Mais ce qui est fascinant, c'est que le Canada, qui en paie encore le prix, ne lui en ait pas tenu rigueur. Le Canada anglais voue à M. Trudeau un culte ému qui a pris, ces dernières années, une tournure monarchique avec l'engouement que suscite l'arrivée en politique de son fils Justin, qui n'a pourtant pas les talents de son illustre papa.
Ce culte repose sur un savant exercice de mémoire sélective. On pensera à l'importante contribution de M. Trudeau qu'est la Charte des droits, en oubliant commodément le reste, notamment qu'il a laissé le Canada dans un bien plus mauvais état qu'il ne l'avait pris: plus divisé que jamais, diminué économiquement, au bord de la crise financière.
Son successeur n'a rien fait d'autre que de réparer les dégâts, en redonnant au Canada un nouvel élan économique avec le libre-échange, en évitant la crise financière avec une lutte au déficit et une réforme fiscale, en travaillant à une réconciliation avec le Québec. Et c'est cet héritage de Brian Mulroney qui a assuré le succès du règne de Jean Chrétien.
Un peu comme si, pour reprendre cette allégorie monarchiste, le Canada vénérait M. Trudeau pour le sens de grandeur qu'il a donné à ce pays insécure, la magie de Versailles, qui brille de mille feux quand on oublie que les courtisans faisaient leurs besoins derrière les rideaux. Tandis qu'on reproche encore à M. Mulroney, en quelque sorte le concierge, d'avoir voulu faire le ménage.


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