La comparution de Brian Mulroney devant la commission Oliphant n'a rien fait pour améliorer son image. Il a fait une erreur? Soit, mais il ne dépendait que de lui d'éviter de se piéger dans un tel guêpier. Le Times Colonist, de Victoria, et le Globe and Mail rappellent la fameuse réplique qui avait valu à M. Mulroney de remporter le débat en anglais durant les élections de 1984. À John Turner qui affirmait ne pas avoir eu le choix de confirmer les nominations de Pierre Trudeau, le chef conservateur avait répondu: «Vous aviez une option, monsieur. Vous auriez pu faire mieux et dire: "Je ne ferai pas cela".»
En 1993, disent les deux quotidiens, M. Mulroney avait une option, celle de dire non à Karlheinz Schreiber. La surprise qui l'aurait empêché de réagir devant le premier versement de 75 000 $ en argent sonnant n'explique pas qu'il a accepté les deux autres paiements sans rouspéter et qu'il les a à leur tour rangés dans des coffrets de sécurité, écrit le Colonist, qui ne retient pas les explications du premier ministre. «Pour les Canadiens qui se méfiaient déjà de Mulroney, sa performance comme témoin aura simplement confirmé leurs doutes. Mais même ses partisans doivent s'interroger sur ses excuses. Mulroney, encore plus que Turner en 1984, avait plusieurs choix et il en a fait de très mauvais.» Le Globe fait la liste des différents choix que M. Mulroney aurait pu faire et il en conclut que, si Brian Mulroney cherchait à se montrer à la hauteur de son titre de premier ministre, il a raté la cible. «Ayant fait si souvent le mauvais choix par le passé, il était peut-être trop tard pour cela, trop tard pour démontrer sa bonne réputation, comme il disait vouloir le faire durant cette enquête qu'il a lui-même demandée par le passé.»
À qui la caisse?
L'entente conclue entre Revenu Canada et les fiscalistes au service de M. Mulroney a particulièrement fait grincer des dents. M. Mulroney n'a pas lui-même négocié l'entente de déclaration volontaire avec Revenu Canada, mais celle-ci lui a quand même permis de ne payer que la moitié des impôts qu'il aurait autrement dû payer. Selon la Gazette, cela touche les gens de beaucoup plus près que la relation d'affaires entre MM. Schreiber et Mulroney. Les Canadiens en garderont l'impression que le percepteur d'impôt fédéral est plus accommodant avec les riches qu'avec les simples contribuables. Revenu Canada a beau répété qu'il ne punira pas un contribuable qui se dévoile avant que le ministère ne passe à l'action, «la triste réalité est que les seules personnes pouvant bénéficier d'une déclaration volontaire de non-paiement sont celles qui ne sont pas imposées à la source. En d'autres mots, pas le contribuable ordinaire, ce qui est loin d'être juste.»
James Travers, du Toronto Star, rappelle qu'il existe un contrat entre les citoyens et le gouvernement. Les premiers paient des millions en impôt sans protester outre mesure, mais à la condition que les puissants n'abusent pas de la confiance du public. «Les six jours de témoignage de Brian Mulroney donnent aux contribuables respectueux des lois de sérieuses raisons de réexaminer ce contrat.» Travers estime que cette entente jette un doute sur l'hypothèse selon laquelle nous assumons tous une part équitable du fardeau fiscal.
Triste spectacle
Margaret Wente, du Globe and Mail, dit avoir vu un «homme diminué» quitter la salle mercredi. «La grandiloquence et l'apitoiement avaient disparu. Il était fatigué et sans exubérance. Peut-être a-t-il compris qu'il n'avait pas réussi à défendre l'indéfendable.» Elle dit qu'elle n'était pas de ceux qui détestent l'homme, rappelle que son bilan à titre de premier ministre mérite le respect et que personne n'a démontré qu'il a agi illégalement lorsqu'il était au pouvoir. La commission a tout de même eu son utilité, dit-elle. «Elle a permis de montrer qu'un trafiquant d'influence nanti et sordide n'avait aucun problème à acheter un accès au plus haut échelon du gouvernement», grâce aux supposés amis du premier ministre qui profitaient eux-mêmes de leurs contacts avec Schreiber. Il reste qu'on se demande toujours pourquoi M. Mulroney a accepté cet argent, une «somme pathétiquement petite dont il n'avait même pas besoin». La seule raison rationnelle reste la plus simple, dit Wente: «Il a dû croire que personne ne le saurait.» «Je suis triste pour lui, écrit-elle, mais il avait l'obligation morale de dire la vérité et il ne l'a pas fait. Je suis triste de voir un homme si talentueux être aussi diminué et humilié. Mais il a aussi humilié son pays.»
Thomas Walkom, du Toronto Star, tente une hypothèse pour expliquer les paiements de M. Schreiber à M. Mulroney. M. Schreiber a fait fortune grâce à son démarchage durant les années Mulroney. Dans l'univers des lobbyistes, les bonnes manières exigent que le patron obtienne sa part. M. Mulroney était le patron du gouvernement à l'époque, même s'il ne savait rien des commissions récoltées par Karlheinz Schreiber au fil des ans. «Dans l'univers de Schreiber, il serait simplement sensé que l'homme à la tête du gouvernement obtienne lui aussi un petit quelque chose.» Selon Walkom, cela expliquerait l'absence de contrat ou de documentation ou le désaccord sur le mandat de M. Mulroney. «Il est fort possible qu'il n'était pas censé faire quoi que ce soit», avance Walkom.
***
mcornellier@ledevoir.com
Revue de presse
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé