Bien que les lois fiscales soient complexes, la majeure partie des contribuables est bien au courant que, le 30 avril de chaque année, une déclaration de revenus doit être produite. Alors que certains contribuables font appel à des professionnels pour exécuter cette tâche, d'autres se débrouilleront à l'aide d'un logiciel spécialisé qui peut être acheté pour une somme inférieure à 40 $.
Or, nous avons appris la semaine dernière que l'ancien premier ministre Brian Mulroney ne possédait ni la connaissance ni l'outil requis pour déclarer dans les délais la somme de 225 000 $ qu'il avait reçue de monsieur Karlheinz Schreiber. Il semble que ce soit la crainte de la dénonciation qui l'ait forcé à emprunter une voie encore plus occulte -- la divulgation volontaire -- afin de négocier, par l'intermédiaire de ses représentants, un règlement fiscal qui lui est vraiment avantageux.
Amnistie permanente
Ce programme de divulgation volontaire ne constitue ni plus ni moins qu'un mécanisme d'amnistie permanente institué par les autorités fiscales il y a plus de 40 ans afin d'inciter les contribuables ne s'étant pas conformés à leurs obligations fiscales à acquitter leurs dettes fiscales. À la suite de cette divulgation qui peut être anonyme et qui doit être effectuée avant que ne débute une enquête de la part des autorités fiscales, le contribuable doit acquitter les impôts et intérêts selon l'entente négociée avec les autorités fiscales tandis qu'il sera absous de toute pénalité financière en plus d'être à l'abri de toute poursuite pénale.
Plusieurs pays ont instauré, au fil des années, de tels programmes afin de récupérer des capitaux visant à obtenir à la fois de nouvelles recettes fiscales et des liquidités afin d'atténuer les effets d'un contexte économique défavorable.
Toutefois, ces mécanismes sont généralement ponctuels et ont une durée de vie très limitée. Compte tenu du contexte économique, c'est justement l'option qu'entrevoient très sérieusement à l'heure actuelle la France, l'Italie, l'Allemagne de même que la Suisse. En revanche, peu de pays possèdent un tel programme d'amnistie permanente. D'autres pays, tel le Brésil, vont même plus loin que le Canada et libèrent totalement le contribuable de ses obligations fiscales après un certain nombre d'années, cinq ans pour le Brésil, même lorsque la non-divulgation origine de la fraude.
Récupérer des sommes perdues?
Les défenseurs de ce programme sont d'avis qu'il permet à l'État de récupérer des sommes qui seraient autrement perdues. Est-ce vraiment le cas? Demandons-nous ce qui pousse un contribuable qui s'est soustrait à ses obligations fiscales à avoir recours à ce programme. La crainte de la délation constitue une situation propice à son utilisation de même qu'un rapatriement de sommes importantes en sol canadien à la suite du décès d'un parent exilé dans un paradis fiscal qui avait fait défaut à ses obligations fiscales canadiennes.
Dans ce dernier cas, les héritiers canadiens y auront recours afin de régulariser la situation fiscale à moindre coût afin de mettre la main sur l'héritage. Par contre, on se doute que ce programme sera de peu d'intérêt pour le tricheur qui ne trouve pas dans une position de vulnérabilité fiscale.
Supercherie découverte
Bien que les données quant au profil type de l'utilisateur de ce programme ne soient pas publiques, on peut comprendre qu'il soulage particulièrement les contribuables possédant des patrimoines imposants, puisque ce sont ces derniers qui seraient le plus affectés, soit économiquement ou quant à l'impact sur leur réputation, par les pénalités sévères ou, pis encore, par une poursuite pénale déposée à la suite de la découverte de la supercherie par les autorités fiscales.
En instaurant une telle amnistie permanente, l'État ne se fait-il pas complice des tricheurs en leur offrant un encadrement législatif et administratif préférentiel? Les contribuables, particulièrement dans les temps économiques difficiles, exigent que le fardeau fiscal soit réparti équitablement et de façon transparente. Ils ne peuvent rester insensibles à une mascarade orchestrée par un ancien politicien qui s'est soustrait à ses obligations en faisant usage d'un outil fiscal jusqu'alors inconnu de la plupart des contribuables.
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André Lareau, Professeur à la faculté de droit de l'Université Laval, membre de l'Institut québécois des hautes études internationales et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques
L'amnistie fiscale à la rescousse des tricheurs
L'affaire Mulroney-Schreiber
André Lareau1 article
Professeur à la faculté de droit de l'Université Laval, membre de l'Institut québécois des hautes études internationales et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques
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