Difficile de dire ce que cherchait exactement Brian Mulroney en expliquant cette semaine qu’il avait accepté de l’argent comptant de Karlheinz Schreiber parce qu’il manquait d’argent pour faire vivre sa famille, mais s’il cherchait la pitié du public, c’est raté.
Depuis mercredi matin, tous les courriels des lecteurs peuvent se résumer par le premier d’entre eux, arrivé dans ma boîte de messages avant même le premier café de la journée : M. Mulroney nous prend-il pour des valises ?
Même si M. Mulroney admet aujourd’hui, par la bouche de son fidèle porte-parole, Luc Lavoie, avoir commis une erreur « colossale » en empochant 300 000 $ comptant en trois versements distincts de 100 000 $, personne ne semble accepter la défense du bon père de famille inquiet de l’avenir financier de sa famille. Pas en sachant que ce même père de famille a acheté une superbe maison dans Westmount-en-haut-de-la-montagne de 1,6 million à la même époque.
Si M. Mulroney était aussi « cassé » que le dit M. Lavoie, au point de commettre la grave imprudence de prendre les enveloppes de M. Schreiber, comment pouvait-il se payer une telle maison ? demande un autre lecteur. Bonne question.
Vrai, M. Mulroney avait devant lui de belles perspectives d’emploi, mais les banques ne font pas dans la charité avec leurs prêts hypothécaires. Même pour les anciens premiers ministres promis à une belle carrière dans le privé. Vrai, les premiers ministres ne gagnent pas des fortunes (encore moins à l’époque de M. Mulroney), mais d’affirmer qu’il était fauché à ce point, c’est un peu fort.
Chose certaine, si la réaction des lecteurs de La Presse est représentative de l’impression générale au sein de la population, M. Mulroney n’a ému personne en jouant les repentants.
Quiconque a suivi cette affaire se souvient que l’ancien premier ministre a nié sous serment avoir fait affaire avec le controversé homme d’affaires germano-canadien. On se souvient aussi des déclarations de Luc Lavoie, qui affirmait avec assurance que Karlheinz Schreiber était le plus grand menteur que la Terre ait jamais porté.
Le plus grand menteur n’avait pas tort, en tout cas, quand il disait avoir versé de lucratives commissions à son ancien ami.
M. Mulroney parle aujourd’hui d’une erreur « colossale » (on l’entend presque prononcer COLOSSALE avec sa voix de stentor). La question est de savoir pourquoi avoir répété cette erreur colossale trois fois ?
Une fois, soit, admettons que c’est une erreur. Deux fois, c’est une rechute. Mais trois fois, ça devient une habitude.
Trois erreurs magistrales, donc, auxquels s’ajoute une autre erreur, encore pire celle-là : avoir nié toute l’affaire sous serment.
Dans sa nouvelle version, Luc Lavoie dit (en anglais) que M. Mulroney a posé « quelques questions » à M. Schreiber quand celui-ci a sorti la première enveloppe de sa poche. « Mr. Mulroney asked a few questions, explique M. Lavoie. Why would you do this in cash ? , and all that ? » Justement, c’est le « all that » qui nous intéresse.
En faisant acte de contrition maintenant, Brian Mulroney a surtout rappelé ces petits détails à ceux qui ont suivi l’affaire. Aux autres, il vient de dire qu’il a vraiment empoché 300 000 $ comptant d’un personnage douteux. En cette ère gomeriesque, le commun des mortels retiendra davantage les enveloppes pleines de cash que les remords de l’ex-premier ministre.
On peut donc se demander : quel est le but recherché par M. Mulroney avec une telle stratégie de communication ?
Coincé par un Karlheinz Schreiber prêt à tout pour faire couler ses anciens associés avec lui, M. Mulroney cherche peut-être à désamorcer maintenant des bombes qui sauteraient autrement en pleine commission d’enquête. L’abcès est crevé. M. Mulroney admet son erreur et s’en repent. Fin de l’histoire, on passe à un autre appel.
Les procureurs de la commission reviendront sans doute là-dessus, mais ce sera alors de la « vieille nouvelle », comme on dit dans le jargon journalistique.
Brian Mulroney cherche peut-être aussi à déstabiliser M. Schreiber en sortant préventivement tout ce que celui-ci pourrait dire à son sujet devant la commission d’enquête : j’ai pris l’argent, c’était une erreur, mais ce n’est pas illégal, je n’étais plus premier ministre, ça n’avait rien à voir avec l’achat des Airbus et j’ai même payé mes impôts sur ces 300 000 $. D’autres questions, maître ?
Une autre théorie, qui court celle-là dans les rangs libéraux, veut que M. Mulroney vide son sac morceau par morceau avant la commission pour rendre celle-ci inutile et peut-être même la court-circuiter.
Théorie boiteuse, mais avant d’en arriver là, nous aurons droit au premier acte du grand cirque Schreiber-Mulroney au Parlement, devant le comité de l’accès à l’information et de l’éthique. Karlheinz Schreiber y est attendu devant les députés mardi prochain et Brian Mulroney les 4, 6 et 11 décembre. Si l’exercice est aussi loufoque que l’avaient été les comparutions des acteurs des commandites devant le comité des comptes publics, ça promet…
On comprend mal pourquoi le Bloc, les libéraux et le NPD, après avoir réclamé et obtenu une commission d’enquête, n’attendent pas tout simplement que celle-ci fasse son travail. Encore une fois, il est ici question bien plus d’opportunisme politique que de recherche de la vérité.
- source
Pour la pitié, faudra repasser
Trois erreurs magistrales, donc, auxquels s’ajoute une autre erreur, encore pire celle-là : avoir nié toute l’affaire sous serment.
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