Le droit de nous définir

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


L'affaire Jan Wong fut abondamment commentée, et il est inutile d'en rajouter. Celle-ci a commis, au minimum, une grossière imprudence en affirmant sans le démontrer un lien quelconque entre la législation linguistique québécoise et l'atroce fusillade survenue au Collège Dawson le 13 septembre.
Chacun a compris cependant que la chroniqueuse a laissé triompher sur l'intelligence des faits ses préjugés à l'égard d'un peuple qui, en adoptant la Charte de la langue française, que l'on appelle communément la loi 101, a voulu simplement affirmer son existence et sauver sa culture.
On ne peut pas reprocher aux Québécois de réagir vivement. Après tout, n'étions-nous pas décrits, sous la plume d'une star du journalisme torontois, comme une société qui fabrique en série des tueurs fous?
Ces derniers jours, nous avons épuisé le dictionnaire des synonymes pour célébrer la tolérance, l'ouverture, la magnanimité des Québécois à l'égard des personnes issues de l'immigration ou d'origines diverses. Ne sommes-nous pas les champions de l'accommodement raisonnable?
Nous avions sans doute besoin de cette thérapie. Il fallait collectivement faire le dos rond devant le mépris et la menace extérieure. Le malheur est que cette façon de réagir ne nous aide guère à progresser dans la réflexion, pourtant essentielle, sur les meilleures façons d'assurer un équilibre entre majorité et minorités dans une petite nation comme la nôtre.
Cette réaction, d'une part, masque bien évidemment les problèmes qu'il reste à résoudre quant à l'intégration des étrangers dans la société québécoise, notamment mais pas exclusivement, sur le marché du travail. D'autre part, notre attitude collective a aussi pour effet paradoxal de renforcer le sentiment de culpabilité qui s'est insinué dans l'esprit d'un grand nombre de Québécois.
Depuis l'adoption de la politique du multiculturalisme et la reconnaissance de son principe dans la Constitution canadienne en 1982, nous avons été maintes fois obligés de justifier chaque geste fait ici pour protéger la langue française et surtout pour protéger les droits des francophones. Mon Dieu, serions-nous plus racistes, serions-nous plus antisémites, plus injustes à l'endroit des minorités que le sont les Canadiens anglais et les autres peuples du monde? Nous ne voudrions surtout pas être étiquetés de la sorte. D'ailleurs, nous ne le mériterions pas.
Il n'en demeure pas moins que, avec le temps, nous avons collectivement acquis la peur de mal paraître à cet égard. Nous aimerions être exemplaires.
Cette mauvaise conscience a eu un effet pervers. À force de vouloir paraître comme la nation la plus tolérante de la Terre, nous en sommes venus à refuser de renforcer les mécanismes de protection de notre langue, de notre culture, de notre identité, donc de notre existence, même lorsque cela aurait été utile.
De même, les propositions fondées sur une approche républicaine de la nation, dans laquelle les individus sont égaux en droit dans une communauté qui partage une langue commune, ont toutes été ignorées par nos dirigeants de peur de remettre le feu à ce que l'on a appelé la poudrière linguistique. Nous avons laissé l'idéologie du multiculturalisme triompher. Bref, au nom de la tolérance, nous avons en quelque sorte cessé de débattre et de réfléchir en excluant d'emblée d'autres options que la conception canadienne dominante.
D'aucuns en viennent même à penser que la tolérance et l'ouverture que nous témoignons aux étrangers finira par nous perdre, le débat lancé par Jacques Godbout récemment en étant une illustration. Or lancer le balancier à cet autre extrême n'est guère plus productif.
L'affaire Jan Wong pourrait avoir un effet positif si elle nous amenait à redécouvrir notre bonne vieille loi 101, en même temps que ses bienfaits et ses limites.
Nous prendrions d'abord conscience du fait que le Québec est loin d'être la seule juridiction à avoir adopté une loi pour protéger sa langue. Le professeur Jacques Leclerc, de l'Université Laval, a recensé près de 1000 lois linguistiques dans le monde. Les plus intéressantes sont disponibles sur son site Internet: [www.tlfq.ulaval.ca/axl/Langues/lois-linguistiques-index.htm->www.tlfq.ulaval.ca/axl/Langues/lois-linguistiques-index.htm].
Ensuite, nous verrions que la Charte de la langue française, modifiée à plusieurs reprises, est considérée par les tribunaux comme étant justifiée dans une société libre et démocratique compte tenu de la fragilité du français en Amérique du Nord, ne créant aucune discrimination à l'endroit des minorités, car ses dispositions s'appliquent à tous les Québécois y compris les francophones (notamment pour ce qui est de l'accès à l'école anglaise).
Nous comprendrions aussi que c'est grâce à elle qu'ont été constitutionnalisés les droits scolaires de la minorité anglophone au Québec et des minorités francophones dans le reste du Canada.
Nous prendrions enfin la mesure de la paix linguistique instaurée chez nous grâce à cette loi, mais encore davantage du dialogue qu'a forcé la loi 101 entre les enfants d'ascendance canadienne-française et les enfants issus de l'immigration en obligeant les uns et les autres à fréquenter la même école, et ainsi se connaître, s'apprivoiser et devenir des alliés dans la construction du Québec.
La loi 101 est sans doute l'instrument juridique qui a eu le plus d'impact sur la définition de ce que nous sommes comme collectivité.
Ce que Mme Wong et ses suiveurs contestent, c'est le droit du peuple du Québec de se définir lui-même, en toute démocratie. Bien entendu, nous devions l'envoyer paître. Maintenant, poursuivons la démarche, sans célébration outrancière de notre tolérance exemplaire, mais sans non plus de mauvaise confiance injustifiée.
michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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