Le difficile pari de Drainville

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L'art de démolir le PQ sans que ça paraisse (trop)

Quand un collègue anglophone lui a demandé qui était son modèle, Bernard Drainville a tout de suite vu le piège. Il a hésité quelques secondes avant de répondre que René Lévesque l’avait toujours inspiré, tout en s’empressant d’ajouter : « Mais je ne me prends pas pour René Lévesque. »

Issu d’un milieu rural qui l’a marqué, journaliste vedette avant de se lancer en politique, plus émotif que cérébral, il pouvait difficilement s’identifier à Jacques Parizeau. Il se trouverait sans doute plus d’affinités avec Lucien Bouchard, mais ce n’est malheureusement pas une très bonne référence au PQ.

Lors du lancement de sa campagne au leadership, dimanche, à Longueuil, le député de Marie-Victorin a plutôt donné l’impression de se définir par opposition à Pierre Karl Péladeau, insistant non seulement sur ses origines modestes, mais aussi sur son attachement à l’État et aux valeurs de la social-démocratie.

Il s’est bien défendu de le viser implicitement en incluant la loi anti-briseurs de grève dans les réalisations dont le PQ pouvait être le plus fier. Ce qui ne l’a pas empêché de dire qu’elle devrait être modernisée, les conflits dans les journaux de Québecor ayant démontré sa vétusté à l’ère d’Internet.

Certains ont conclu de son refus d’attaquer PKP qu’il avait déjà jeté l’éponge et qu’il voulait s’assurer de demeurer dans les bonnes grâces du futur chef. Même s’il reconnaît la confortable avance prise par le grand favori dans la course, on peut le croire sur parole quand il assure jouer pour gagner. Il ne se contentera certainement pas de faire de la figuration, mais il n’a aucun intérêt à adopter une stratégie de la discorde, dont Jean-François Lisée a démontré les limites avant même d’être officiellement candidat.

Le principal adversaire de M. Péladeau au cours des prochains mois sera M. Péladeau lui-même. Il lui sera difficile de satisfaire les attentes très élevées de ceux qui voient en lui un sauveur. Personne ne nie sa grande réussite en affaires, mais il se retrouve dans un environnement qui lui est totalement étranger, et l’apprentissage de la politique ne se fait pas sans faux pas.

Malgré les qualités qu’on peut lui reconnaître, le patron de Québecor demeure un personnage qui polarise l’opinion. Le dernier sondage Crop-La Presse indique que 28 % des électeurs seraient plus enclins à voter pour le PQ s’il en devenait le chef, alors que 20 % pourraient s’en détourner.

À un moment ou l’autre de la course, on pourrait bien voir apparaître un mouvement anti-PKP qui cherchera une solution de rechange. Ses propres mérites peuvent sans doute valoir la deuxième place à M. Drainville, mais il devra ensuite faire le pari que le favori laissera échapper le ballon.

Il faudrait toutefois que M. Péladeau commette de très grosses erreurs. En 2005, Pauline Marois espérait aussi qu’un mouvement anti-Boisclair lui permettrait de le coiffer au fil d’arrivée, mais tout ce qu’on pouvait légitimement lui reprocher était perçu comme autant d’attaques personnelles.

Il faudrait également que M. Drainville réussisse à convaincre qu’il serait plus rassembleur. La charte de la laïcité, dont il est désormais indissociable, est devenue un véritable symbole de division, et les symboles ont tendance à avoir la vie dure. Il soutient qu’il aurait fini par accepter un compromis avec la CAQ puisqu’elle détenait la balance du pouvoir, mais la question est plutôt de savoir s’il aurait été prêt à assouplir son projet même si le PQ avait réussi à faire élire un gouvernement majoritaire. Jamais il n’en a donné le moindre signe.

Des souverainistes aussi notoires que Jacques Parizeau et Gilles Duceppe s’étaient élevés contre la charte, qu’ils jugeaient nuisible à la souveraineté, mais les électeurs péquistes et les membres du parti, qui seront les seuls à élire le futur chef, y étaient généralement favorables, de sorte qu’elle nuira sans doute moins à son auteur qu’on pourrait le croire.

Si la tenue d’un référendum ne semble pas faire partie des projets à court terme de PKP, M. Drainville ne pourra cependant pas lui en faire le reproche. Même s’il se dit prêt à discuter de son « plan pour l’indépendance », il a réitéré dimanche qu’il n’envisageait pas de référendum avant un deuxième mandat. Les « pressés » devront donc s’adresser ailleurs.

Aussi bien M. Drainville que son collègue de Lac-Saint-Jean, Alexandre Cloutier, qui a confirmé son entrée dans la course, ont insisté sur la nécessité pour le PQ de revenir à ses valeurs d’origine et de se remettre à l’écoute des Québécois. C’est aussi ce qu’on entendait au PLQ durant la course à la succession de Jean Charest. En dernière analyse, les militants libéraux ont surtout choisi celui qui leur paraissait avoir les meilleures chances de les ramener au pouvoir. C’est vraisemblablement ce que feront aussi les péquistes.


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