En 1974, René Lévesque, déçu de l’insuccès électoral du Parti québécois qu’il a fondé six ans plus tôt, veut cesser d’y tenir la barre. Devant ses lieutenants qui s’efforcent de l’en dissuader, il éclate en sanglots : « Arrêtez ! Lâchez-moi ! Je ne suis plus capable ! Moi aussi, j’ai le droit de vivre comme un autre ! » Ils insistent : « Sans vous, il n’y a plus de PQ. » Pour l’histoire du Québec, cela signifierait la condamnation de l’indépendantisme à la marginalité.
On en vient à cette brutale mais éclairante conclusion à la lecture du tome 1 de l’ouvrage Le gouvernement Lévesque, de Jean-Charles Panneton. Pour en justifier le sous-titre, De la genèse du PQ au 15 novembre 1976, l’historien et politologue a puisé à de nombreuses sources, en particulier les fonds d’archives et les témoignages, comme celui de l’ex-ministre péquiste Pierre Marois au sujet de l’exaspération de Lévesque qui, en 1974, songe à démissionner.
René Lévesque
Enrichi de renseignements inédits, le livre, publié avec une préface de Gilbert Paquette et une postface de Claude Morin, tous deux ex-ministres péquistes, fait ressortir la personnalité progressiste, déterminée mais parfois fragile, de l’homme politique. Elle tranche sur le courant très conservateur et très marginal du séparatisme canadien-français illustré, entre autres, par Jules-Paul Tardivel (1851-1905) et Paul Bouchard (1908-1997).
Jean-Charles Panneton montre avec force que, grâce au charisme de Lévesque, à son honnêteté et à son souci des défavorisés, le PQ est devenu le premier parti de masse de l’histoire du Québec. Les autres principales formations, le Parti conservateur, devenu l’Union nationale en 1935, et le Parti libéral, si attiédi depuis un siècle qu’il était devenu étranger au progressisme de son père spirituel Louis-Joseph Papineau, restaient plus près du clientélisme que du militantisme.
La peur des extrêmes
Les idées de Lévesque sur un financement plus démocratique des partis politiques et sur la souveraineté du Québec provoquent en 1967 sa démission du PLQ dont il avait été, comme ministre du gouvernement de Jean Lesage, la figure de proue de l’aile réformiste par son rôle déterminant dans la nationalisation des compagnies d’électricité. L’assassinat en 1970 par le Front de libération du Québec du ministre Pierre Laporte, son ex-collègue libéral, accentue le caractère dramatique de son parcours politique.
C’est sur le témoignage de l’ex-ministre péquiste Louise Harel que Panneton s’appuie pour montrer le choc ressenti par Lévesque en apprenant cette mort tragique : alors jeune militante, elle « le voit pleurer à chaudes larmes comme un enfant ». Grâce aux procès-verbaux de réunions, l’historien révèle que, loin de l’extrémisme, celui qui devient premier ministre en 1976 est, bien plus que son conseiller Claude Morin, le père de l’étapisme qui mènerait démocratiquement à l’indépendance.
René Lévesque et Jacques Parizeau en 1969
Panneton souligne à quel point, malgré le côté instinctif et turbulent de Lévesque, la démarche de l’homme politique, prudente et respectueuse des lenteurs de l’évolution populaire et de la diversité des tendances, s’appuie sur une attitude stable et réfléchie. Dès 1964, le ministre libéral d’alors déclare : « Il faut éviter de transporter ici des Cuba ou des Algérie artificiels. La lutte pour l’émancipation doit se faire contre des structures et non contre des hommes. »
En 1968, lors de la crise de Saint-Léonard, des citoyens d’origine italienne, appuyés par l’élite anglophone de Montréal, résistent à l’idée d’intégrer les élèves issus de l’immigration au système scolaire de langue française. Lévesque, qui fondera le PQ cette année-là, se prononce en faveur de l’idée, mais déplore la virulence de la tactique employée par les partisans de l’intégration, qui alors le chahutent.
Conviction indépendantiste
Panneton comprend si bien la logique du démocrate outré par cette réaction qu’il ne s’étonne pas que celui-ci « parle un temps d’un retrait de la vie politique ». Il signale que Lévesque, dès le début des années 1960, prend plus au sérieux le projet de l’indépendance du Québec que ses futurs ministres Jacques Parizeau et Camille Laurin qui pourtant, un jour, le surpasseront dans la conviction indépendantiste.
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