Le décrochage constitutionnel

1997

1er octobre 1997

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J'habite à Montréal. J'y suis née il y a de cela, aujourd'hui même, 37 ans. Ça n'a l'air de rien, mais j'ai déjà vécu la Révolution tranquille, les émeutes de Saint-Léonard, la Crise d'octobre, la loi 22, la première élection du PQ, la loi 101, la défaite référendaire de 1980, le rapatriement unilatéral, l'industrie constitutionnelle de Meech et Charlottetown, une seconde défaite référendaire, les menaces de partition, Galganov, Stéphane Dion et Guy Bertrand! Tout ça commence à peser drôlement lourd dans le sac à dos... surtout Guy Bertrand!
Bien sûr, ce n'est pas la fin du monde. Il y a des pays où l'on s'entretue pendant qu'ici on meurt d'ennui dans des colloques! N'empêche qu'on tourne en rond dans un radotage constitutionnel qui sclérose de plus en plus les sociétés québécoise et canadienne-anglaise. Lorsqu'à RDI on ressort Claude Ryan et Claude Morin de leur placard constitutionnel pour nous parler de «société unique», il y a de quoi à décrocher...
Cette reprise ad nauseam des mêmes clichés par le même monde explique peut-être pourquoi on sent qu'une partie des jeunes Québécois décrochent lentement de tout ce débat. Depuis deux ans, combien d'entre eux m'ont dit ne plus se reconnaître dans ces exégèses qui leur semblent déconnectées de leur réalité ainsi que dans des élites qui tardent un peu trop à se renouveler. Alors qu'ailleurs au pays les élites se renouvellent, ils ont l'impression qu'ici, celles qui se sont créées dans le sillage de la Révolution tranquille occupent encore jalousement tout le terrain. Dans ce contexte, la tentation du «décrochage» constitutionnel est forte.
Est-ce une coïncidence? Les deux hebdos francophones s'adressant aux jeunes de 18 à 35 ans, Voir et Ici, tournent chacun le dos au débat national. Jean Barbe, rédacteur en chef d'Ici, dit en avoir «ras-le-bol de la Constitution»! Richard Martineau, de Voir, promet solennellement de ne plus jamais en parler: «Ce sera notre petite contribution à la lutte contre la pollution mentale.» Pourtant, Hour et Mirror, les deux hebdos anglo-montréalais, eux, ne décrochent pas. Que se passe-t-il donc du côté francophone?
En entrevue, Jean Barbe avance une position qu'il a observée chez d'autres jeunes: «je reste souverainiste, mais je ne me reconnais plus dans les leaders souverainistes élus.» Déplorant l'absence de projet de société, Barbe ne voit plus de lien entre la «vie» - la vraie - et la question nationale. Il décroche d'un discours selon lequel «tout va bien» alors que la réalité est tout autre. Comme si nos leaders ne savaient plus faire le pont entre nation et société. Et comme si certains jeunes opéraient, à leur tour, la même dichotomie...
Autre signe de décrochage: Barbe et Martineau sont de ces jeunes Montréalais francophones bilingues et cosmopolites dont l'identité montréalaise semble vouloir supplanter peu à peu leur identité québécoise. Pour ces jeunes - relativement peu nombreux mais influents dans leurs milieux -, le reste du Québec, trop tricoté serré, leur semble inintéressant face à la pluralité montréalaise. Un sentiment qu'on retrouve dans toutes les grandes villes du monde, mais sans l'affaiblissement de l'identité nationale qui l'accompagne parfois ici. Peut-on imaginer un Parisien - pourtant sûr de vivre au centre de l'univers - prendre prétexte de sa pluralité parisienne pour mieux s'éloigner de son identité française? Ou un Londonien par rapport à l'Angleterre, ou un New-Yorkais aux Etats-Unis, etc.? Que faire lorsqu'un chauvinisme urbain banal et plutôt répandu se transforme lentement en faux-fuyant par rapport à l'identité nationale?
On ne sait trop combien de jeunes décrochent discrètement du débat national. Mais on peut néanmoins observer qu'un nombre croissant d'entre eux ne font plus confiance à tout ce qui grouille au haut de l'échelle sociale québécoise. Une hypothèse: les moins de 40 ans étant, justement fort peu présents dans les lieux de pouvoir - à quelques exceptions près -, ils ne peuvent s'identifier à l'exercice d'un pouvoir dont ils sont exclus à ce point.
Evidemment, ce ne sont pas tous les jeunes Québécois qui décrochent de la chose constitutionnelle et la politique, dans son plein sens, c'est bien plug encore que la Constitution. Mais force est de constater que parmi les jeunes souverainistes qui ne «décrochent» pas, plusieurs se démarquent de plus en plus du gouvernement actuel, sans pour autant voter libéral. Ils décrochent de la politique partisane. Un point c'est tout. Pour le voir, il n'y a qu'à mettre le nez dans la plupart des milieux universitaires et communautaires francophones ou à lire leurs bulletins d'information. Mais qui sait aujourd'hui jusqu'où les mènera cette déception?
Une nation où les élites se renouvellent trop lentement et où les jeunes sont exclus à ce point des lieux de décision ne va pas bien. Vraiment pas bien. Mais que faire lorsque les portes du pouvoir - politique ou autre - ne s'ouvrent encore que trop rarement pour les jeunes? Evidemment, les jeunes peuvent «décrocher» et faire autre chose. Un choix parfaitement compréhensible, voire tentant, dans un contexte aussi fermé. Mais un certain nombre peut aussi prendre la place qu'on leur refuse en créant leurs propres lieux de pouvoir, en politique ou ailleurs. Et dans une démocratie, rien n'est plus puissant que la parole prise et diffusée.
Reste maintenant à savoir si le nouvel hebdo Ici saura faire usage de cette parole et refusera, au moins une fois de temps en temps, de jeter le bébé de la question nationale avec l'eau sale du radotage constitutionnel! Qui sait avec le temps, peut-être choisira-t-il plutôt d'en dire des choses qu'on ne lit ni ne voit ailleurs. Ce serait déjà pas mal.
Au delà du mot de Cambronne qui se doit à toute nouvelle initiative de prise de parole, c'est là le souhait d'une Québécoise de 37 ans, encore jeune et Montréalaise éminemment «bilingue et cosmopolite»...


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