Après le party privé qu'il lui a organisé à l'Élysée en février dernier, plus personne ne doutait encore de l'influence que Paul Desmarais pouvait exercer sur le président Nicolas Sarkozy en matière d'affaires canadiennes.
L'ancien premier ministre français Jean-Pierre Raffarin n'a donc pas causé une grande surprise en déclarant que «Nicolas est contre le ni-ni». Le président préférerait peut-être le «sans». Comme dans l'expression «sans intérêt».
D'ailleurs, on peut très bien comprendre M. Sarkozy de remettre en question la pertinence d'une position adoptée il y a plus de 30 ans et qui ne correspond plus à la réalité politique québécoise.
Sans rejeter officiellement la formule inventée par Alain Peyrefitte, Jacques Chirac s'était lui-même beaucoup rapproché d'Ottawa à la suite du référendum de 1995, après s'être clairement engagé à reconnaître un OUI et avoir subi les sarcasmes de Jean Chrétien.
Les Québécois ont choisi le Canada deux fois en 15 ans et le mouvement souverainiste est en sérieux recul. Pourquoi la France maintiendrait-elle une position inutilement agaçante pour un vieil allié et un partenaire économique important? C'est bien joli, le rameau qui a miraculeusement survécu, mais s'il lève le nez sur la souveraineté, la France a certainement mieux à faire.
Qui plus est, M. Sarkozy se sent certainement plus d'affinités avec le conservatisme de Stephen Harper qu'avec la social-démocratie péquiste, même revue et corrigée par Pauline Marois.
Ce qui est plus étonnant, pour dire le moins, c'est d'apprendre que le premier ministre du Québec souhaite lui aussi que la France change sa position à l'égard du Québec. Il est vrai que Jean Charest avait lui aussi été invité par M. Desmarais au party de l'Élysée, ce qui lui avait valu un entretien de 45 minutes avec le président.
On comprend aujourd'hui non seulement que M. Charest ait laissé passer cette occasion de plaider en faveur du statu quo mais qu'il ait peut-être même encouragé M. Sarkozy dans la voie de la révision. C'est M. Harper qui a dû être content d'apprendre cette bonne nouvelle. Après 40 ans de soupirs, Ottawa est peut-être sur le point de cocufier Québec. Et, mieux encore, avec son joyeux consentement.
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Manifestement au fait des intentions de M. Sarkozy, M. Charest n'a pas nié que celles-ci pourraient se traduire par ce que Mario Dumont a appelé une «canadianisation» des relations France-Québec. «Eh bien, il y a beaucoup plus que ça», a-t-il déclaré. Autrement dit, il y a aussi «ça».
La semaine dernière à Paris, M. Raffarin avait expliqué à un groupe de journalistes venus l'entendre parler des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec que le président désirait «aider cet ensemble québécois et canadien à participer, avec nous, à la gestion du monde».
Cette référence à un «ensemble québécois et canadien» a de quoi inquiéter. Le Québec ne demande certainement pas mieux que de participer à la gestion du monde, mais toute la politique du Québec à l'égard de la France et de la Francophonie depuis les années 1960 a précisément visé à éviter d'être inclus dans le grand tout canadien.
D'ailleurs, il y a déjà un précédent à cette inclusion. Même s'il est de bon ton de louanger le «fédéralisme d'ouverture» de M. Harper, il est assez difficile de comprendre comment on a pu interpréter comme une grande victoire l'entente qui assurait au Québec une place au sein de la délégation canadienne à l'UNESCO.
Tant qu'à y être, on pourrait peut-être installer le délégué général à Paris dans les locaux de l'ambassade canadienne. Le délégué actuel, Wilfrid-Guy Licari, lui-même un ancien ambassadeur du Canada, s'y sentirait tout de suite à l'aise. Sans parler des économies qui en résulteraient en cette période d'austérité budgétaire.
Plus sérieusement, au moment où le Canada anglais commence péniblement à se faire à l'idée que le Québec constitue peut-être une «nation», il serait assez paradoxal que son premier ministre reconnaisse implicitement qu'il constitue simplement le «foyer principal de la francophonie au Canada», comme le disait le rapport Pelletier, qui tient toujours lieu de politique constitutionnelle au PLQ.
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M. Charest a sans doute été très inquiet en 1995 de voir que la France semblait disposée à entrer dans le «grand jeu» imaginé par Jacques Parizeau pour amener la communauté internationale à reconnaître la souveraineté du Québec au lendemain d'un OUI.
Le problème, c'est que M. Charest n'est plus le vice-président du comité du NON. Sa qualité de premier ministre lui impose le devoir d'affirmer le plus fortement possible la personnalité québécoise à l'étranger, y compris dans sa dimension politique.
Personne ne lui demande de faire quoi que ce soit pour raviver la flamme souverainiste, mais à défaut d'être l'artisan d'une nouvelle avancée, qu'il préserve au moins les acquis. On ne mesure pas toujours combien il a fallu d'efforts pour assurer au Québec la toute petite place qu'il occupe aujourd'hui.
Sans le statut privilégié dont il bénéficie en France et, grâce à ce pays, dans l'ensemble de la Francophonie, le Québec ne serait qu'une «province comme les autres» aux yeux de la communauté internationale.
Bien sûr, les liens nombreux et profonds qui l'unissent à la France vont demeurer, peu importe les positions officielles. Il compte encore quelques amis à Paris et, à voir aller les choses, M. Sarkozy ne restera peut-être pas très longtemps à l'Élysée. Il reste que les reculs diplomatiques peuvent avoir des effets regrettables.
Remarquez, si M. Charest veut mettre à profit ses bonnes relations avec le président et contribuer à la prospérité canadienne en se faisant le promoteur d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne, les Québécois seront les premiers à applaudir. Tant qu'à être cocu, aussi bien que cela serve à quelque chose.
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mdavid@ledevoir.com
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