Le PQ n'a peut-être pas tort d'accuser le premier ministre Charest d'avoir «choisi son juge». C'est comme s'il avait calculé que le prestige d'un ancien juge de la Cour suprême compenserait l'étroitesse du mandat qui lui a été confié.
À moins que Michel Bastarache n'ait tout simplement été le seul à l'accepter. Il est pour le moins cocasse de confier la présidence d'une enquête sur le processus de nomination des juges à un homme dont l'accession au plus haut tribunal du pays en 1997 avait suscité une controverse, précisément en raison de ses liens avec Jean Chrétien et le Parti libéral du Canada.
Si graves qu'elles soient, les allégations de trafic d'influence faites par Marc Bellemare apparaissent simplement comme la pointe d'un iceberg qui dérive dangereusement, mais Me Bastarache ne semble pas enclin à tenter d'élargir son mandat.
Certes, tout est perfectible, mais, jusqu'à la sortie de M. Bellemare, personne ne contestait sérieusement le mode de sélection des juges. Il était totalement irresponsable de la part du gouvernement d'en faire soudainement une urgence nationale, alors qu'il laisse les odeurs de corruption empuantir l'atmosphère depuis des mois. Quoi qu'en dise M. Charest, ce n'est pas la crédibilité du système judiciaire qui est gravement mise à mal, mais la sienne et celle de l'ensemble de son gouvernement.
En réalité, pour éliminer toute influence politique, il faudrait carrément retirer au gouvernement la prérogative de nommer les juges, ce que personne n'envisage. À l'époque où il était bâtonnier du Québec, Denis Paradis avait proposé que les candidats à un poste de juge soient plutôt élus par les membres du Barreau et de la magistrature. Le gouvernement aurait tout de même conservé le pouvoir de choisir parmi les trois candidats élus.
Malgré la compétence et l'intégrité qu'on peut lui reconnaître, Me Bastarache aura bien du mal à convaincre la population qu'il ne se fait pas complice d'une grossière manoeuvre de diversion. C'est même à se demander s'il a bien mesuré dans quoi il s'embarquait.
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Ce n'est pas d'hier que les gouvernements sont accusés de favoritisme dans la nomination des juges. Hier encore, sur les ondes de Radio-Canada, un organisateur libéral de l'Outaouais a reconnu être intervenu pour que son fils soit nommé.
Cela rappelle la confession de l'ancien directeur général du PLC-Québec, selon lequel des avocats qui avaient fait du bénévolat pour le parti ont ensuite été nommés juges en guise de récompense.
Par la suite, une enquête effectuée par The Gazette en mai 2005 allait révéler que près de 60 % des juges québécois nommés par Ottawa depuis les élections de 2000 avaient contribué à la caisse du Parti libéral du Canada. Si on excluait les professeurs et les fonctionnaires, pour ne retenir que les avocats promus à la magistrature, la proportion grimpait à 72,4 %.
Confronté à ces chiffres, le ministre de la Justice dans le cabinet Martin, Irwin Cotler, avait dû reconnaître qu'il y avait «corrélation», ajoutant toutefois qu'il y avait une différence entre corrélation et causalité.
«Vous pourriez probablement découvrir que 60 % des gens qui ont demandé à devenir juges assistent à des parties de hockey», avait lancé M. Cotler devant un sous-comité de la Chambre des communes. Il aurait sans doute pu ajouter qu'ils étaient également très nombreux à préférer le steak saignant.
À ce compte, il suffirait que tous les candidats à un même poste contribuent à la caisse du parti au pouvoir pour régler le problème du favoritisme. Il n'y aurait plus que de la corrélation. Il suffisait d'y penser, n'est-ce pas?
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De toute manière, la commission Bastarache ne pourra pas se pencher sur cette question. M. Charest a été très clair: le financement des partis politiques relève strictement du Directeur général des élections.
Même les allégations de M. Bellemare seront difficiles à vérifier. Pour en avoir le coeur net, il ne suffirait pas de consulter les rapports des comités de sélection qui ont fait des recommandations. Il faudrait aussi avoir accès aux procès-verbaux des réunions du conseil des ministres, quand le choix des nouveaux juges a été fait, qui demeurent secrets pendant 25 ans.
À défaut de se rétracter, comme l'intimait M. Charest, l'ancien ministre de la Justice n'avait pas d'autre choix que de se présenter à la SQ pour y faire une déposition, et les souvenirs des cinq entretiens qu'il dit avoir eus avec le premier ministre, qu'il a évoqués hier dans une entrevue donnée au Journal de Montréal, semblent remarquablement précis.
Chaque fois qu'il commente ces prétendues rencontres, M. Charest utilise la même formule: «Je n'ai pas de souvenir...» Bien des réponses entendues durant les audiences de la commission Gomery commençaient de la même façon.
La politique réserve souvent des surprises, mais la situation actuelle est totalement inédite. Voilà un premier ministre qui déclenche une enquête publique portant sur des allégations de son ancien ministre de la Justice, qu'il s'apprête par ailleurs à poursuivre devant les tribunaux. Cela promet.
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mdavid@ledevoir.com
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