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Le choc planifié de deux projets: le canadian et le québécois

Un "Canada nouveau" est né, résolu à livrer une bataille décisive et historique contre le peuple québécois.

Comprendre notre intérêt national

30 octobre 1998 (3e anniversaire d'un célèbre référendum)
Ti-Jean-léger en spectacle
Le chef libéral du Québec, Jean Charest, qualifiait M. Chrétien d’obstacle au changement, ajoutant que ce dernier devait partir s’il ne pouvait s’adapter au vent de changement que réclament les provinces.
Il a fait de gros yeux, le Ti-Jean-léger de Sherbrooke. Mâchoires serrées, frisettes hérissées, il a montré le doigt et affiché la mine d'un homme déterminé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Dressé sur ses ergots, il affronte le Gros-Jean-lourd d'Ottawa. "Si le premier ministre canadien Jean Chrétien veut bloquer les changements au Québec, il va trouver Jean Charest sur son chemin, a averti hier le chef du Parti libéral." S'il bloque le changement, qu'il s'en aille. C'est pas lui qui va m'arrêter dans mon projet d'un Québec fort dans un Canada uni... Ça c'est une trouvaille...
Ça, c'est le spectacle. Derrière la scène, on ne rit plus. C'est la survie du Canada qui est en jeu! Et là, Gros-Jean-lourd ou un autre, rien n'est changé. Le vent du changement, il a pris une direction bien déterminée... et pas enracinée du tout!
"Canada nouveau"
Ce "Canada nouveau", c'est le Canada du multiculturalisme et de la centralisation. Un Canada qui doit se défendre contre les forces centrifuges, qui tendent à éloigner du centre. Au premier chef: se défendre contre le Québec. Pas la province de Québec, mais le peuple du Québec. D'abord, nier son existence, puis l'affaiblir financièrement, enfin, barrer le chemin de sa prétention à la souveraineté. Et les "collaborateurs" ne manquent pas. Le trésor de guerre non plus. Le Canada, le plus-meilleur-pays-du-monde, c'est une mosaïque de groupes ethniques, de minorités culturelles, dont le groupe québécois-français n'est que le plus important et le plus homogène sur "son" territoire... Qu'on se le dise! Or, ce groupe aurait tort de croire qu'il n'est pas constitué de citoyens canadians, comme les autres... S'il cherche à se "distinguer", à se différencier comme groupe, c'est qu'il est mauvais joueur, habité qu'il est encore par le "ressentiment", un complexe formé par le "souvenir" historique d'un tort subi et dont on voudrait se venger. "Je me souviens", c'est la devise des faibles... vous voyez la chose.
Le plus fort de l'histoire, c'est que le tort subi, ce n'est pas pour le peuple québécois d'avoir été le peuple dominé, c'est pour le "peuple canadian" d'avoir à subir la menace de la sécession... i.e. de n'être plus le dominant... Bref, en niant l'existence même du peuple québécois, en faisant du Canada une simple collection d'individus d'origines diverses, en niant le principe des droits collectifs, en faisant du projet souverainiste québécois une "affaire intérieure canadian", le "Canada nouveau" se montre résolu à livrer bataille.
Mais il y a plus. Plus que livrer bataille. Il est résolu à gagner la guerre. Une bonne fois pour toutes. Écraser ce projet. Et s'il ne peut en effacer la cause, il peut toujours tenter d'en empêcher la réalisation.
Dans le cas du Québec, blocage juridique d'abord et avant tout. On sait l'histoire du renvoi à la Cour suprême et la réponse des juges de Sa Majesté. C'est clairement un texte dont le laxisme et l'imprécision ouvrent le champ à tous les abus d'autorité possible... et suffisamment, croit le "Canada nouveau", pour contenir l'ennemi et le réduire à l'impuissance politique.
Dans le cas des provinces, blocage financier. Là, le "Canada nouveau" ne lésine pas. Le ministre des Finances a réussi à atteindre l'objectif majeur: assainir les finances fédérales sur le dos des provinces. Le fédéral s'est amassé un trésor de guerre financier! Par ses compressions, puis par le pillage, à coups de milliards, de la caisse de l'assurance-emploi... Ce qui a un double effet: enrichir le fédéral et appauvrir les provinces! Les provinces sont à genoux et le fédéral tient haut sa bourse bien garnie. Alors, quand on connaît la règle du qui-paye-décide..., on peut anticiper sur le résultat des négociations, entre les provinces, unies ou non, et le fédéral, à propos de l'"union sociale et économique". Le "Canada nouveau" sera un Canada fort, aux dépens des provinces... Le Centre doit triompher des forces centrifuges ou disparaître, telle semble être la ligne de force de toute cette stratégie de changement.
Quant à la légalité de l'opération, on introduira des lois nécessaires... rétroactivement... La primauté du droit, ça, les fédéraux, ils savent l'adapter à leurs besoins. L'inénarrable Sheila n'a-t-elle pas reconnu que, quand il s'agit de la survie de son pays, faut pas se gêner.
Voilà le contexte principal. Je passe sur les stratégies de salissage diplomatique anti-Québec, sur le support indéfectible des phalanges canadians, riches et puissantes, qui y mettront toutes leurs énergies, sur les velléités militaristes qui ne tarderont pas à suivre la victoire du PQ dans quelques jours...
Le choc planifié de deux projets: le canadian et le québécois
Ce qui se joue ici, ce n'est pas tant la carrière politique de celui-ci ou celui-là. C'est le choc planifié de deux projets: le canadian et le québécois. Un choc si bien programmé qu'il ne pourra avoir qu'un seul résultat: le terrassement de l'un ou de l'autre! Et parce qu'ils ont pris l'initiative les premiers, qu'ils ont un personnel plus nombreux et plus aguerri, et qu'ils ont eu l'audace d'accumuler, par tous les moyens, un trésor de guerre, les fédéraux croient dans la victoire.
Mais ils oublient deux choses: ils n'ont pas la légitimité de refuser la liberté, s'il la veut, au peuple québécois, qu'ils en nient ou non l'existence. Cette existence, c'est d'abord en lui-même qu'elle s'enracine et ensuite, dans le regard des nations du monde qui le reconnaissent comme peuple. Et ils n'ont pas la puissance d'effacer dans l'âme du peuple québécois le "ressentiment", si l'on entend ainsi les choses, ressentiment qu'ils ont mis 238 ans à produire. Si l'on doit parler plutôt de légitime défense, ce qui est plus à propos, c'est de celle du peuple québécois qu'il s'agit. L'histoire ne s'efface pas. Ce qui a été fait, même les dieux ne peuvent le détruire.
«Je me souviens»
Complexe de la victime? Non, non, non. Refusons ces détournements de sens. Les mots sont des armes, alors refusons les mots répressifs de notre liberté. Complexe de survie, aspiration à exister en soi-même et par soi-même. Voilà le fond des choses. Goût vital de l'autonomie politique pour cette colonie du St-Laurent que le sort des armes a empêché de se libérer, comme les autres colonies américaines en leur temps, des contraintes de la métropole.
Or, dans ce contexte d'un renforcement du Centre, dites-moi quel est le poids de Ti-Jean-léger? Et dites-moi quelle est l'importance de Gros-Jean-lourd?
Dites-moi aussi quel est le sens de la lutte pour le renforcement du Québec au sein du "Canada nouveau"? Sinon, celui de l'inconscience historique et politique de collaborateurs qui ignorent que ce "Canada nouveau" a décidé, pour assurer sa survie, d'appauvrir les provinces et de les subordonner au pouvoir central...
Les temps nouveaux, le vent de changement, tant applaudis par le chef libéral québécois, c'est bien le temps du dénouement final de cette lutte séculaire entre deux peuples partenaires-rivaux. Pour les nôtres qui collaborent à cette agression, qu'ils le fassent au nom d'un idéal fédéraliste angélique, d'une morale politique supérieure, ou dans un intérêt plus prosaïquement carriériste, c'est bien le temps de la soumission fatale, le temps du reniement de la mémoire, de l'oubli de nos racines, du sang versé par nos ancêtres, et c'est le temps du refus d'assumer nos responsabilités envers nous-mêmes, nos enfants, et nos petit-enfants...
Et ça, c'est un projet suicidaire, qu'il nous faut, comme peuple, poussé au pied du mur, refuser de toutes nos forces... Certains ont dit que ce n'est pas la liberté, mais la nécessité qui conduit le monde. Peut-être n'ont-ils pas tout à fait tort. Si le peuple québécois "veut" survivre et s'épanouir, il doit reconnaître la nécessité de le faire maintenant, devant l'urgence de cette agression finale, et du "nettoyage ethnique canadian" déjà décidé par la "Clique d'Ottawa".
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Bernard Frappier

Vigile

[30.10.98->archives/ds-edito/bf/bf-98-10-30-choc.html]

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Fondateur, directeur et animateur de Vigile.net de 1996 à 2012.

Récipiendaire de la médaille Bene Merenti de Patria de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal, 2012.

« Bernard Frappier a réalisé une oeuvre d’une importance capitale dans le destin du Québec. Contre ceux qui voudraient effacer la mémoire de la nation, il a créé Vigile, grand phare et lieu de débat incomparable. » - Bernard Desgagné





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