Le choc Moreau-Martel

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« La crise d’Apuiat se double donc d’une crise de gouvernance en son sein même. »

Pierre Moreau s’est répandu en interviews hier et en fin de semaine pour justifier le projet d’éoliennes controversé Apuiat.


Cela tranche avec la semaine passée. Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles était alors occupé à tordre le bras du p.-d. g. d’Hydro-Québec, Éric Martel.


Car Martel avait soulevé, dans une lettre aux chefs Innus — dévoilée par notre Bureau d’enquête —, plusieurs réserves importantes quant à Apuiat : pertes de 1,5 à 2 milliards $ pour Hydro sur 25 ans, absence de preuve que le projet va vraiment profiter aux Innus, entre autres.


Ces remises en question ont provoqué une colère noire au gouvernement. On le comprend.


À la mi-juillet, les Couillard, Moreau et Arcand pensaient encore que le projet Apuiat pourrait être annoncé en grande pompe préélectorale, le 8 août. La date avait été fixée.


Argumentaire


Remarquez, le ministre des Ressources naturelles n’a pas que de mauvais arguments.


Il y a celui de la gouvernance : qui mène à Hydro-Québec ?


En théorie, c’est-à-dire dans la loi, c’est une responsabilité partagée. Entre l’unique actionnaire, le peuple québécois, donc son gouvernement élu, qui donne les grandes orientations, et le conseil d’administration, ainsi que le p.-d. g.


Mais dans les faits, le patron unique (à part pour les tarifs, réglés par la Régie de l’énergie), c’est le gouvernement. Pas surprenant que, jusqu’à 2003, le bureau montréalais du premier ministre du Québec était situé... dans l’édifice d’Hydro-Québec, boulevard René-Lévesque.


Face à ce pouvoir, jamais avait-on vu un p.-d. g. d’Hydro agir comme Martel. Habituellement, ils prennent leur trou. Peut-être aurait-il fallu que Thierry Vandal, l’ancien p.-d. g., ait cette audace pour qu’on ait un vrai débat au sujet du projet pharaonique de la Romaine ?


Choc des présidents


Ici, en plus, il y a le facteur « président du conseil d’administration », Michael Penner, jadis à la tête d’une fabrique de chaussettes et de collants, et très proche de Philippe Couillard.


L’homme en mènerait très large au sein de la boîte. Il exigerait d’être présent lors des annonces, comme s’il était le p.-d. g.


Il a exigé que M. Martel se taise publiquement au sujet d’Apuiat. Aux yeux de plusieurs chez Hydro, il outrepasserait ses fonctions de président du conseil. Si la CAQ est élue, une chose est sûre : il mangera ses bas.


La crise d’Apuiat se double donc d’une crise de gouvernance en son sein même. Un choc des présidents.


L’autre choc, c’est celui des légitimités. Celle des élus d’un côté. Qui veulent d’un projet, même s’il est ruineux sur le plan comptable, parce que selon eux, d’autres retombées sont à prendre en compte : développement économique, occupation du territoire, appui des Innus à d’autres projets.


Cette légitimité se heurte à celle du gestionnaire Martel, qui réplique : tout cela est magnifique, mais incertain, pour un prix trop élevé et pour de l’électricité superflue.


Moreau a beau marteler ses arguments, Martel en a aussi de très bons. Et une légitimité certaine.