Lettre à la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne

Le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise est en péril

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17. Actualité archives 2007



Mme la ministre,
Votre gouvernement, à la suite de son élection en 2003, s'est engagé à poursuivre la relation forte et privilégiée que tous les gouvernements précédents, depuis Jean Lesage et René Lévesque, avaient contribué à instituer avec la France. La coopération entre les universités québécoises et françaises a constitué un des principaux piliers dans des relations qui ont servi au progrès des deux partenaires.
En février 1988, effectuant un bilan de 20 années de coopération franco-québécoise, Le Monde diplomatique écrivait que «pour aller plus avant, elle aura besoin, comme aux temps héroïques de sa mise en route, d'être animée par une volonté politique clairement affirmée au sommet».
Le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCIFQ), dont le milieu universitaire québécois tire profit depuis sa création, en mai 1984, avait été l'expression de cette volonté des deux gouvernements. Aujourd'hui, 20 années plus tard, dans un contexte tout à fait différent, il est important que vous réaffirmiez plus que jamais cette volonté politique.
En effet, alors que le monde a sensiblement changé, la coopération franco-québécoise a contribué à ouvrir chacune des deux sociétés, québécoise et française, à une culture et à un continent profondément différents pour chacune, dans un souci de diffusion et de partage des savoirs réciproques.
Dans ce contexte, les gains obtenus, qui ont su profiter aux différents acteurs concernés, gouvernements, administrateurs et surtout enseignants, chercheurs et étudiants, parce qu'ils sont innombrables, ne doivent pas servir d'argument pour déguiser un démantèlement sous des prétextes de restructuration.
Il est vrai que les sociétés d'aujourd'hui font face à des enjeux nouveaux. Il importe donc qu'une vision d'avenir établie à long terme les guide devant des choix aveugles que le présent pourrait leur imposer. C'est à vous, Mme la ministre, qu'il appartient de consolider le CCIFQ, construit à partir d'un idéal de coopération entre deux sociétés francophones, développé grâce aux succès des chercheurs et des enseignants et tourné vers la formation des nouvelles élites nécessaires à la consolidation d'un monde dont les pôles se multiplient.
L'éducation, plus que tout autre objectif, demande de voir grand, de voir loin, afin d'inscrire les choix immédiats dans une perspective éclairée par le long terme. C'est donc à vous qu'il incombe, Mme la ministre, que toute décision soit prise en tenant compte de cette vision sans négliger de répondre à des exigences de plus en plus complexes.
La France s'est ouverte sur l'Europe et a mis en place des structures et des programmes qui tendent vers une plus grande harmonisation universitaire à l'échelle européenne. Le Québec est de plus en plus sollicité par l'attraction continentale nord-américaine qui guide en partie son développement universitaire. En même temps, le renforcement de sa spécificité culturelle doit être soutenu.
[...] Le CCIFQ assure aux universitaires des programmes de soutien à la mobilité des professeurs, à la mise en place de programmes d'études intégrés, aux communications de jeunes chercheurs et à la mobilité des étudiants. [...]
La coopération bilatérale franco-québécoise est inscrite par définition dans les parcours incontournables de l'internationalisation. Cependant, n'étant pas que virtuelle, elle demande à être vissée à des ancrages réels tels ceux que lui offre l'implantation concrète en territoire français du CCIFQ, au beau milieu des réseaux susceptibles de la nourrir. De plus, il serait faux de croire que ces échanges soient restreints aux humanités; ils se déploient dans tous les domaines de la science, médecine, chimie, génie et physique, aussi bien que dans la gestion et les études littéraires.
C'est pourquoi les universitaires québécois auraient de sérieuses raisons de s'interroger et de s'indigner si cette conversion lente se faisait sans discernement, au détriment d'un organisme efficace, discret et relativement peu coûteux, au profit, d'un autre côté, des flamboyantes ambitions internationales de certaines universités québécoises, happées par des appétits de compétition que le sous-financement universitaire lui-même entretient.
Car les chercheurs et les professeurs, au contraire de certains gestionnaires d'ambition, sont habitués à échafauder pierre contre pierre les édifices du savoir. Ils bêchent, ils décodent, ils explorent et ils diffusent avec peu de moyens, mais ils savent mettre à contribution la part modeste de ceux qui leur sont alloués. [...]
Au cours de mon mandat à titre de secrétaire générale, entre 1996 et 1999, j'ai obtenu que le ministère de l'Éducation français mette à la disposition du CCIFQ des locaux situés en plein centre de Paris et qui font l'envie de bien des chercheurs français. [...] Cet organisme, parce qu'il a à sa tête depuis dix ans des universitaires de carrière, français et québécois, représente une antenne efficace pour l'établissement des réseaux de chercheurs franco-québécois.
Par sa structure atypique et son ancrage en France, le CCIFQ fournit au Québec cette entrée concertée dans la coopération interuniversitaire grâce à un fonctionnement absolument paritaire, à la fois dans le respect de l'autonomie universitaire et suivant le sillon que dessinent ensemble les deux gouvernements du Québec et de la France. Sous les vents de privatisation qui soufflent sur les rives universitaires, il importe, Mme la ministre, que vous ne cédiez pas à la tentation du court terme et que vous soyez à l'écoute de tous les acteurs de cette coopération, responsables français aussi bien que chercheurs québécois, qui déjà s'inquiètent sur les deux rives de l'Atlantique de la transformation d'un outil de concertation consolidé au fil des ans en une entreprise de gestion des intérêts corporatistes d'universités en concurrence. La poursuite des mandats du CCIFQ demande, «comme aux temps héroïques de sa mise en route, d'être animée par une volonté politique clairement affirmée au sommet».
Anne Legaré : Secrétaire générale du CCIFQ de 1996 à 1999 et professeur associé de science politique à l'UQAM


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