Du «ni-ni» au «bling-bling»

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France-Québec : fin du "ni-ni"?


Nation sans État, le Québec devient facilement l'otage des alliés que sont la France (Nicolas Sarkozy), les États-Unis (George W. Bush) et la Canada. (Photo Bloomberg News)

L'ancien ambassadeur du Canada en France, Jacques Roy, expliquait dans La Presse du 13 avril que «la vieille formule (du ni ingérence dans les affaires canadiennes, ni indifférence aux choix du Québec) exigeait un équilibrage qui, depuis des années, ne correspond pas à l'image que la France veut projeter au Canada et à l'étranger».

Or, à l'étude des relations diplomatiques entre le France et le Canada décrites dans les archives officielles du Quai d'Orsay (une étude que je viens d'effectuer pour la période qui commence en 1967), on constate que c'est le Canada qui adresse à la France une demande incessante de restreindre ses relations avec le Québec, ce que la France s'est refusée à faire jusqu'à maintenant, quitte à accentuer son intérêt pour les communautés francophones du reste du Canada, par exemple, afin d'atténuer, selon les termes d'un diplomate français, son «ardente obligation» à l'endroit du Québec. Le Québec a toujours salué cette position considérant que la France y exprime tout de même la reconnaissance de ses intérêts à l'endroit du Québec.
D'un autre côté, l'actuel ambassadeur de France au Canada, Daniel Jouanneau, disait récemment que «le Québec représente un atout exceptionnel pour la France dans le cadre de sa relation avec le Canada». La disparition de l'affirmation de «non-indifférence» dans la position officielle de la France à l'endroit du Québec serait grave, car elle refoulerait le Québec au simple statut «d'atout au sein du Canada»), ce qui reviendrait à lui enlever tout potentiel d'autonomie politique propre dans le présent contexte de ravalement du Canada à un simple appendice des États-Unis. Elle rejoindrait l'ensemble des autres signes qui concourent actuellement à un déplacement de la position de la France au sein de l'Alliance atlantique affaiblissant toute indépendance de la France à l'endroit des États-Unis, indépendance relative mais qui sert de «point d'appui» à plusieurs États, petits et grands.
Des apparences importantes
Le président Sarkozy a été qualifié de président «bling-bling» pour désigner sa forte tendance à accorder aux apparences plus d'importance qu'aux relations qui font la marque de la position de la France sur le plan international. Le bling-bling de Sarkozy agace surtout parce que ces mouvements de surface sont comme la paille dans l'oeil qui cache la forêt: on devine que cette brusquerie n'est que l'effet d'enjeux qui ne s'avouent pas. La nouvelle position de la France, supprimant sa non-indifférence au Québec, serait un indice supplémentaire du rôle que le nouveau président voudrait faire jouer à la France en se rapprochant d'un Canada de plus en plus inféodé à son voisin américain.
L'actualité offre plusieurs signes des réalignements recherchés par les États-Unis depuis 2003. Tout a commencé avec l'Irak et se poursuit avec l'Afghanistan: la cause en est l'affaiblissement de la position des États-Unis dans le monde, l'effritement d'une hégémonie par le dedans qui, malgré ses appels à la sécurité de l'Occident, n'a pas réussi à consolider de façon satisfaisante pour elle ses liens avec l'Europe. Cette situation a mis les États-Unis dans une position dont l'incertitude ouvre la voie à des recherches d'ajustements constants auprès de ses alliés.
Dans ce contexte, l'élection du premier ministre Harper a favorisé les intérêts américains et le Canada n'a pas cessé de devenir le bras allongé de la volonté américaine. La récente visite du président Sarkozy en Grande-Bretagne, assurant Gordon Brown de ses bonnes dispositions, voulait du même coup confirmer au président américain qu'il pourra de mieux en mieux compter sur la France La dynamique européenne dans ses relations avec les États-Unis n'est pas le moindre de ces enjeux au moment où Sarkozy s'apprête à assumer la présidence de l'Union européenne avant d'amener la France à réintégrer la structure militaire de l'OTAN.
Le règlement survenu à propos de la demande canadienne de renfort militaire à Kandahar adressée à la France illustre parfaitement les termes nouveaux dans lesquels s'esquisse le marchandage d'intérêts entre le Canada, les États-Unis et la France. Entre alliés, au-delà du bling-bling il y a le «donnant-donnant». Nation sans État, le Québec devient facilement l'otage de ses alliés. (..)
Puisque le Sommet de la Francophonie aura lieu avant l'élection américaine, l'occasion doit servir à renforcer les liens avec tous ceux qui, de gauche et de droite en France, en Europe, en Afrique, ailleurs et ici comptent sur la France pour consolider de réelles conditions de la diversité et de la démocratie dans le monde. À ce propos, toute modification explicite de la position de la France à l'endroit du Québec signifierait une indifférence à l'intégration canado-américaine qui se fait sans que le Québec en débatte, un affaiblissement dont la France n'a pas, avec le Canada, à se faire l'artisan.
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Anne Légaré
Mme Legaré est professeure associée à l'UQAM. Elle est l'auteure de [«Le Québec, otage de ses alliés. Les relations du Québec avec la France et les États-Unis»->12642] (VLB-2003).


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