Le boomerang

Chronique de Robert Laplante


Robert Laplante
_ BULLETIN DU LUNDI 23 janvier 2006
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Il faut aller voter massivement.
Il faut que les souverainistes fassent preuve d'une discipline électorale sans faille. Cela est essentiel pour l'issue du scrutin. Et cela sera crucial pour la suite des choses. Car le nouveau gouvernement, minoritaire ou pas, conservateur ou pas, restera rivé sur une priorité dictée par la raison d'État : sauver le régime fédéral et, à cette fin, tout mettre en œuvre pour peser sur le prochain scrutin québécois. À plus ou moins brève échéance les souverainistes auront à faire face à une intensification de l'offensive.
Il sera de toute première nécessité, pour résister tout autant que pour organiser la riposte, de bien comprendre sur quoi nos adversaires prennent appui pour exploiter les faiblesses stratégiques du mouvement.
À cet égard, les derniers moments de la présente campagne sont riches d'enseignement. Ce sont les souverainistes eux-mêmes qui ont fourni le matériau utilisé par les Conservateurs pour se relancer au Québec. Stephen Harper a bien lu le potentiel et la prise que lui offrait la notion bancale de déséquilibre fiscal qu'avait mise de l'avant un PQ velléitaire. Trop heureux de trouver dans le rapport de la commission Séguin un nouveau hochet idéologique parfaitement compatible avec la gestion provinciale dans laquelle il s'était enlisé, le PQ s'est entiché de l'expression sans se rendre compte que, le déséquilibre corrigé - à supposer cela possible- le Québec resterait néanmoins prisonnier d'un régime qui le nie. Le PQ avait vu dans ce machin lancé par un nationaliste mou - Séguin n'avait pas encore fait son retour en politique active - un outil pour se replacer en demande sur Ottawa en espérant se faire appuyer par les segments volatiles de l'électorat nationaliste. Il croyait tenir là un instrument adéquat pour le quémandage et la politique du moindre effort alors qu'il lui fallait faire les combats qui trempent le courage et les convictions par l'action fondée sur des gestes de rupture.
Le clientélisme politique a pris le dessus sur la pensée nationale et ses exigences de mobilisation. L'électoralisme à courte vue n'a rien rapporté au PQ qui s'est fait battre en dépit de ses lamentations. Mais la bonne fortune de l'expression a bien servi les Libéraux de Jean Charest qui s'en sont drapé pour se redonner une petite allure nationaliste. Et elle a servi à plein la campagne des Conservateurs qui ont bien compris que la notion sur laquelle une espèce de consensus avait semblé se dessiner au Québec reste parfaitement compatible avec l'ordre fédéral Cette notion, en effet, participe essentiellement d'une logique d'amélioration du régime. Harper n'a rien promis de spécifique au Québec, il cherche une politique applicable à toutes les provinces.
En quête d'un levier idéologique pour déplacer le vote libéral, les Conservateurs ont eu l'habileté de profiter du refus de Paul Martin de sacrifier ne serait-ce qu'à la rhétorique du déséquilibre fiscal pour en jouer de toutes les ambiguïtés. Ils avaient dès lors un simulacre de projet politique à proposer. Un simulacre que les inconditionnels du Canada appelaient de tous leurs vœux pour se soulager de la honte que leur a infligée le dévoilement du banditisme libéral et derrière lequel simulacre l'establishment, au signal de Gesca, était prêt à se rallier afin de régler le cas québécois pour une basse messe pour mieux désarmer le PQ à la prochaine élection. Ils ont fait d'une pierre deux coups, puisque le Bloc s'est vite trouvé sur la défensive à tenter de faire valoir que les propositions n'étaient pas chiffrées, que le processus n'était pas défini, que tout cela sentait le coup fourré, etc. Les interventions d'André Boisclair n'ont fait qu'accroître les dissonances et renforcer les perceptions au sujet du caractère porteur du thème. Alors qu'il fallait mettre les efforts pour convaincre qu'il y a un gouvernement de trop et qu'il faut sortir au plus vite du carcan canadian, les souverainistes se sont retrouvés à tenter de défendre la bonne interprétation de ce qu'est le déséquilibre fiscal et de la façon dont il devrait être résolu. Piégés dans le Canada.
La notion de déséquilibre fiscal est donc revenue comme un boomerang. Ce concept frelaté, acheté par un parti aux abois, cherchant désespérément les moyens de concilier clientélisme à courte vue et politique velléitaire s'est donc retourné contre le mouvement.
Le Bloc s'est trouvé à discuter dans les paramètres du régime. Et à devoir expliquer que, malgré les belles paroles, le thème n'est qu'un artifice de propagande- et que les solutions en provenance d'Ottawa ne règlerait pas l'essentiel de la question nationale. Lui qui avait été hésitant à placer son objectif fondamental au cœur de sa campagne se trouvait désormais devant la nécessité stratégique de le remettre de l'avant alors que la rhétorique du déséquilibre fiscal lui avait servi pour en atténuer l'affirmation franche et audacieuse. Les fédéralistes avaient repris l'offensive. Et le Bloc doit subir les effets néfastes du laxisme intellectuel qui afflige si cruellement le mouvement indépendantiste. En ce jour de scrutin, il est plus que probable que les lacunes de la pensée se manifestent dans les urnes.
Souhaitons que les dégâts ne soient pas trop considérables. Souhaitons aussi qu'ils ne soient pas trop démultipliés par les effets de distorsion que pourrait provoquer une faible participation au scrutin. En politique comme ailleurs, l'indigence de la pensée est toujours lourde de conséquence. Il faut se dégager de cette fausse problématique du déséquilibre fiscal : les indépendantistes ne cherchent pas l'équilibre dans le partage, nous voulons le contrôle sur la totalité de nos impôts. Le PQ a fait là une embardée qui ne doit plus se reproduire.
Il faut d'ores et déjà commencer d'en tirer la leçon. Un mouvement d'émancipation nationale ne peut agir efficacement qu'en donnant de la profondeur et de la constance à ses efforts. Et il lui faut, pour cela, penser et se penser avec la plus grande rigueur intellectuelle, c'est le seul gage d'une formation des consciences civiques bien équipées pour résister aux offensives de la propagande adverse. La mobilisation prenant appui sur une pensée critique aguerrie est le seul recours contre clientélisme débilitant que le Canada a toujours réussi à nous servir grâce à des phalanges de mercenaires. Les raccourcis comme ceux que le PQ a pris avec ce joujou de la pensée molle ne font pas avancer les choses, bien au contraire.
Au moment où il faudrait pouvoir compter sur un électorat aguerri, capable de faire la différence entre la pensée annexée et l'authentique promotion de nos intérêts nationaux, il nous faut nous déprendre de la gadoue dans laquelle la politique fédérale nous enlise. Et dans laquelle elle nous plongera de plus belle dès lors qu'il s'agira de préparer le terrain idéologique de la prochaine offensive pour contrer les séparatistes en brandissant une formule cosmétique suffisamment attrayante pour permettre aux d'inconditionnels du Canada de se pavaner en nous servant la rengaine d'une autre troisième voie. La leçon doit porter, il ne faut plus rien céder à la politique politicienne pour faire la bataille de l'indépendance.
Mal nommer les choses compromet toujours l'efficacité de l'action.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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