Laïcité–1 - Questionnement légitime

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Un premier pas vers une Constitution du Québec ?

L’idée même d’une Charte des valeurs québécoises a été crucifiée dans le reste du Canada depuis une semaine. Malgré l’absence d’un document gouvernemental sur le sujet, le National Post et le Globe and Mail, notamment, ont tranché : selon eux, un vieux fond de xénophobie, voire de racisme des Québécois se serait manifesté.
À preuve, ont insisté commentateurs et éditorialistes canadiens-anglais, les sondages ont révélé l’appui d’une forte majorité de Québécois francophones au projet de cette même charte. La « priest ridden society » théocratique d’antan se serait muée en dangereuse province où l’on cultiverait la « haine de l’autre ». Le réductio ad hitlérum semble commode aux médias du ROC lorsqu’ils se penchent sur le cas du Québec. Bernard Landry a eu raison de s’en offusquer.

À propos de cette virulence, tentons deux hypothèses. D’abord, elle prendrait source dans cette délectation, pour les médias du ROC, d’épingler à peu de frais un gouvernement et un électorat dont le projet séparatiste apparaît aberrant, rétrograde, mû sans aucun doute par de sombres desseins.

Ensuite, plus fondamentalement, il y a ici un choc entre des conceptions de la religion héritées d’expériences du religieux très différentes. Pour simplifier, disons que dans l’anglophonie, on prend pour étalon du rapport au religieux un pays - les États-Unis - fondé par des sectes et courants religieux ayant juré de s’entre-tolérer. Le religieux était divers dès le départ dans la république au sud. Et le président américain peut dire « God bless America » sans choquer, puisque chaque citoyen a tendance à y voir une référence à son Dieu à lui. Cette conception semble s’être répandue au Canada anglais. Peu après l’élection de Stephen Harper en 2006, un sondage indiquait que 65 % des Canadiens trouvaient normale la phrase adoptée par le premier ministre pour ponctuer ses discours : « God bless Canada. »

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Dans ce continent, sur le plan religieux, le Québec fait donc figure de « société distincte ». Évidemment, les protestantismes qui ont déterminé le rapport au religieux hors Québec ont eu peu d’influence ici. Cependant, de la Première Guerre mondiale jusqu’à la Révolution tranquille, l’Église catholique sera l’« organisatrice principale de la société québécoise », selon les mots de l’universitaire Lucia Ferretti. Or, à partir de 1960 - on le sait -, le Québec connaît une sécularisation rapide et radicale. Aujourd’hui, une bonne partie de la population s’étiquette comme catholique, mais des études démontrent que les « Québécois [de cette confession], de tous âges, sont moins attachés au culte et participent moins aux activités paroissiales que les Canadiens de cette confession » (Ferretti, encore). Les crucifix, symboles désactivés, sont la plupart du temps des éléments « patrimoniaux ».

La présence monolithique de l’Église a suscité chez plusieurs Québécois un rejet tout aussi monolithique du religieux. Viennent s’enchevêtrer certains réflexes - voire des idées - hérités du républicanisme (notamment français). Dans les dernières décennies, les écoles ont été déconfessionnalisées, ce qui a exigé un amendement constitutionnel (1998, chose rare dans le « Dominion »). Québec a conçu et défendu jusque devant les tribunaux un cours d’éthique et culture religieuse pluraliste.

Il y a une « sécularisation propre au Québec », comme l’a bien indiqué David Koussens, professeur à l’Université de Sherbrooke, dans une récente interview au Devoir. S’y enracine le malaise que plusieurs Québécois éprouvent à l’égard des religions plus orthodoxes. « Qu’une religion puisse encore régir les comportements leur est incompréhensible », notait M. Koussens. Cette position non seulement s’explique historiquement, mais est parfaitement légitime, surtout dans une nation où l’on croit fermement à l’égalité des sexes et à la liberté de l’individu.

Plusieurs Québécois tiennent à empêcher tout retour du religieux oppressant de jadis. Parfois même avec excès ; avec un zèle de talibans de la laïcité. Espérons que la charte que le gouvernement présentera évitera cette tentation. Mais si ce document est mesuré, équilibré, s’il réussit à faire consensus, il pourrait bien constituer un pan de cette Constitution du Québec que l’on attend depuis trop longtemps.


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