La ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a cru bon de mettre en perspective la nouvelle entente sur les infrastructures de 4 milliards qui liera Québec et Ottawa jusqu'en 2014.
«La moitié de cette somme commence [à être disponible] en 2010 [...] et il y a une partie qui est déjà en route. Donc, on va calmer nos ardeurs, parce que tout le monde va penser qu'il y a 4 milliards disponibles demain, et ce n'est pas ça», a-t-elle expliqué.
Du coup, le lieutenant de Stephen Harper au Québec, Lawrence Cannon, qui s'apprêtait à entonner un hymne à la gloire du «fédéralisme d'ouverture», responsable de cette entente «historique», a du mettre une sourdine à sa trompette.
Mme Jérôme-Forget aurait pu ajouter que le gouvernement fédéral et les provinces signent des ententes quinquennales sur le financement des infrastructures depuis des décennies. Même au plus fort de la guerre froide entre le PQ et les gouvernements de Pierre Elliott Trudeau ou de Jean Chrétien, on finissait toujours par s'entendre. C'est presque aussi automatique que le versement des pensions de vieillesse.
À la veille d'une campagne électorale, on peut comprendre le gouvernement Harper de chercher à transformer les vessies en lanternes, mais le Québec a simplement reçu la part qui lui revenait, ni plus, ni moins. Le fédéralisme est ainsi fait qu'une partie de nos impôts prend chaque année le chemin d'Ottawa pour permettre au fédéral de nous retourner l'argent en s'arrogeant un droit de regard sur son utilisation.
Mme Jérôme-Forget aurait sans doute vu les choses d'un oeil différent si c'était le premier ministre Charest qui s'apprêtait à déclencher des élections. Elle se serait alors félicitée d'avoir réussi à arracher ces milliards à la force des poignets. Pour le moment, elle doit plutôt commencer à penser à son prochain budget, et il serait fâcheux que tout un chacun s'imagine qu'elle a remporté le gros lot.
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L'agacement de la ministre des Finances devant les fanfaronnades de M. Cannon peut s'expliquer autrement. Même si le premier ministre Charest s'est bien défendu de vouloir s'immiscer dans la campagne fédérale, il s'est toujours assuré qu'on comprenne que la présence d'un gouvernement conservateur à Ottawa ne lui déplaît pas. De son côté, après un court mais agaçant flirt avec Mario Dumont, Stephen Harper a réalisé qu'il misait sur le mauvais cheval.
Il faudrait toutefois que le premier ministre canadien démontre ses bonnes intentions autrement qu'à coup de trompette. À voir le message publicitaire dans lequel les ministres conservateurs du Québec se vantent de leurs réalisations, M. Charest doit avoir la désagréable impression de se faire rouler.
Malgré le supposé règlement du déséquilibre fiscal, le Québec fait toujours face à une impasse budgétaire que le ralentissement de l'économie risque de rendre encore plus problématique. Quant au «siège» à l'UNESCO, dont se gargarise Jean-Pierre Blackburn, il se limite à la présence d'un fonctionnaire québécois au sein de la délégation canadienne.
Il est vrai que la motion de la Chambre des communes reconnaissant l'existence d'une nation québécoise «au sein du Canada» a constitué une heureuse surprise, même si elle n'a qu'une valeur symbolique.
L'engagement le plus significatif que M. Harper avait pris dans son fameux discours de Québec, le 19 décembre 2005, était de limiter le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Cette limitation est également au coeur de la politique constitutionnelle du PLQ, telle que définie par le rapport Pelletier.
La proposition transmise par Ottawa l'an dernier constituait une véritable gifle pour le gouvernement Charest. En limitant le pouvoir de dépenser aux seuls programmes à frais partagés, qui sont tombés en désuétude depuis des années, elle ne visait qu'à consacrer la situation actuelle.
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Réussir à faire enchâsser dans la Constitution canadienne une véritable limitation du pouvoir de dépenser, que le Québec réclame depuis plus d'un demi-siècle, serait un remarquable accomplissement pour M. Charest et assurerait l'adhésion du Québec à la fédération pour un bon moment.
Au début du mois d'août, il a laissé entendre que les hésitations de M. Harper pourraient s'expliquer par le statut minoritaire de son gouvernement. Avant de lui accorder la majorité qu'il recherche, il vaudrait peut-être mieux s'assurer qu'il livrera la marchandise.
Dans son livre Harper's Team. Behind the Scenes in the Conservative Rise to Power, publié l'an dernier, le mentor du premier ministre canadien, Tom Flanagan, explique qu'il est très conscient de ce qui a causé la perte de Brian Mulroney. Certes, le PC avait balayé le Québec en 1984 et en 1988, mais M. Mulroney avait programmé sa propre chute en faisant naître des attentes auxquelles il était incapable de répondre. M. Charest peut témoigner que cette chute a été brutale.
Bien entendu, M. Harper souhaite remporter plus de sièges au Québec qu'en 2006, mais il ne veut pas d'une victoire à la Pyrrhus. Il n'entend pas seulement demeurer premier ministre, mais aussi jeter des bases permanentes, qui permettront au PC de remplacer le PLC comme parti naturel de gouvernement.
D'ailleurs, à en croire le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir-The Globe and Mail, M. Harper n'a peut-être pas besoin de prendre des engagements trop contraignants. À peine 5 % des électeurs disent voir dans la défense des intérêts du Québec un enjeu important dans la campagne qui s'amorce.
C'est là tout le drame du Bloc québécois, qui est considéré -- de loin -- comme le plus apte à s'acquitter d'une tâche qu'à peine un électeur sur vingt juge prioritaire. Ces temps-ci, il vaut mieux jouer de la trompette, quitte à échapper quelques fausses notes.
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