La stratégite aiguë

1997

3 décembre 1997

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Vous connaissez la «stratégite aiguë»? C'est une maladie qui afflige une partie du camp souverainiste depuis des lunes. C'est une croyance voulant qu'une victoire du OUI serait la résultante de stratégies astucieuses et non d'un long travail de pédagogie et d'un véritable projet social. Comme si tout n'était que «marketing» et outils de vente.
Il y a longtemps que cette maladie fait des ravages. Depuis les premiers symptômes de l'étapisme de Claude Morin, trop de conseillers et planificateurs n'en ont que pour la stratégie. Comme si la stratégie venait avant le contenu, et non l'inverse. Ce week-end, au conseil national du PQ, la «stratégite aiguë» a sévi à nouveau avec cette idée de tenir un référendum sur notre statut de peuple.
L'origine de cette stratégie avancée par quatre sondeurs (Pierre Drouilly, Jean-Herman Guay, Alain Cotnoir et Pierre Noreau) - laquelle, en passant ressemble au projet avancé cet automne par le philosophe Maurice Champagne - est de permettre au PQ de reprendre l'offensive par rapport au plan B d'Ottawa. L'éternelle quête du miraculeux momentum.
Plutôt que de chercher à comprendre pourquoi le PQ a perdu cette offensive, question de corriger les erreurs commises, on concocte des stratégies. Avec leur référendum «pour nous dire ce que nous sommes», nos quatre sondeurs croyaient bien avoir trouvé la solution miracle, la potion magique. Le problème, c'est qu'ils basent leur proposition sur de prémisses non fondées. Par exemple, ils avancent que «si la tendance présente actuellement se maintient», tout référendum sur la souveraineté sera «risqué et téméraire». Ou encore, que la position fédéraliste serait en voie de se «cristalliser». Bref, le sort en serait déjà jeté à des années de la tenue du troisième référendum! Cela manque de sérieux.
Le mirage de la solution miracle est aussi dans leur prétention voulant que leur référendum soit de la véritable «dynamite» pour le Canada anglais, qu'il ferait «débloquer» les allophones sur la question nationale, ferait «éclater» le PLQ en deux morceaux, amènerait des «jeunes libéraux» à abandonner Daniel Johnson et fractionnerait carrément l'ADQ. Une vraie bombe nucléaire, quoi! Comme si ces partis étaient composés d'imbéciles qui se laisseraient bêtement manipuler par une stratégie aussi transparente.
Le fait même qu'on ait pris cette idée au sérieux laisse pantois. Et Bernard Landry fut loin d'être le seul à le faire. Combien d'analystes avaient vu des avantages certains à l'idée analogue de Maurice Champagne? Jusqu'à ce que, bien sûr, Lucien Bouchard y mette fin. Ce qui laisse pantois, c'est aussi qu'on s'entête à prêter tant d'importance aux sondages, lesquels sont à la base même de l'idée du groupe de Pierre Drouilly. Pourtant les sondages, on le sait, ne sont que des «instantanés» de l'opinion publique. Etant la quintessence même de l'immédiateté, ils ne sont que des outils de réflexion et ne sauraient tenir lieu d'analyse en soi. Petit souvenir: au début de 1995, la plupart des sondeurs avaient décrété la mort de l'option alors qu'elle a failli être endossée le 30 octobre au soir. Jolie boule de cristal!
Ce nez irrémédiablement collé sur les sondages, cette difficulté à comprendre les raisons profondes de la baisse des appuis au OUI, ce sont autant de symptômes de la stratégite aiguë. Cette illusion voulant que le contenant soit plus déterminant que le contenu. Le premier ministre aura eu beau rejeter la tenue d'un référendum sur le statut de peuple. Du moins, pour le moment. Il lui a quand même substitué l'idée de tenir des élections en réponse au jugement de la Cour suprême sur notre droit à l'autodétermination. Une autre stratégie.
Mais qu'arriverait-il si le PLQ refusait de mener une campagne électorale sur autre chose que la performance du gouvernement sortant? Et qu'arriverait-il si le PQ n'était pas réélu? Faudrait-il alors comprendre, puisqu'il en aurait fait un enjeu majeur, que les Québécois auraient nié leur propre droit à l'autodétermination? A-t-on seulement réfléchi aux dangers d'une telle approche?
S'il est vrai que le gouvernement s'est montré incapable, jusqu'ici, de désamorcer le plan B du fédéral, il demeure qu'un autre talon d'Achille de l'option est la précarité socioéconomique de nombreux Québécois et les effets du déficit zéro. Plutôt que de chercher des stratégies pour vendre l'option, on ferait mieux de se pencher là-dessus.
Mais en votant pour la saisie d'une partie du chèque d'aide sociale par les propriétaires qui n'auraient pas perçu leurs loyers, le PQ continue à handicaper sa capacité de se rapprocher des citoyens les plus démunis. Croit-il qu'il ira chercher leur appui en les acculant à un appauvrissement croissant, en les précarisant de plus en plus?
Ce sont peut-être là des pistes de réflexion plus fécondes que les stratégies et tactiques qui semblent tenir lieu de pensée. Le fait est que la souveraineté est un projet auquel une majorité de Québécois doivent pouvoir s'identifier avant de voter OUI. Pour le moment, c'est mal parti pour les chômeurs, les assistés sociaux et les travailleurs précaires. Et ce ne sont ni André Bérard, ni Laurent Beaudoin qui voleront à la rescousse du PQ et de son option!
S'ils n'ont rien à faire, nos affligés de la maladie de la stratégite aiguë pourraient peut-être, entre deux sondages, y réfléchir quelque peu...


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