Les événements profonds structurels et la stratégie de la tension en Italie
Depuis les États-Unis, il n’est pas difficile d’observer comment l’Histoire italienne, dans la seconde moitié du vingtième siècle, a été clairement déstabilisée par une série de ce que j’ai appelé les « événements profonds structurels ». Je les ai définis comme étant « des événements …], (tels que l’assassinat de JFK, l’effraction du Watergate ou le 11-Septembre), qui affectent brutalement la structure sociale [et qui] ont un impact majeur sur la société […]. Par ailleurs, ils impliquent constamment des actes criminels ou violents. Enfin, bien souvent, ils sont perpétrés par une force obscure inconnue. » Peter Dale Scott, « [Le ‘Projet Jugement dernier’ et les événements profonds : JFK, le Watergate, l’Irangate et le 11-Septembre », Réseau Voltaire, 4 janvier 2012.
L’attentat à la bombe de la Piazza Fontana
Les exemples d’événements profonds structurels en Italie – qui sont bien connus de la population locale –, incluent les attentats à la bombe perpétrés à la Piazza Fontana en 1969, à la Piazza della Loggia en 1974 et à la gare ferroviaire de Bologne en 1980.
L’attentat à la bombe contre la gare de Bologne
À l’époque, la responsabilité de ces attentats, qui tuèrent plus d’une centaine de civils et en blessèrent bien plus, fut attribuée à des gauchistes vivant en marge de la société. Néanmoins, principalement grâce à une série d’enquêtes et de procédures judiciaires, il est aujourd’hui clairement établi que ces attentats furent en réalité l’œuvre d’éléments d’extrême droite coopérant avec les renseignements militaires italiens. Ces actions entraient dans le cadre d’une « stratégie de la tension » permanente destinée à discréditer la gauche italienne, à favoriser le maintien d’un statu quo marqué par la corruption, et peut-être même à s’éloigner de la démocratie. [1] Comme l’a affirmé ultérieurement Vincenzo Vinciguerra, l’un des auteurs de ces attentats, « [l]’explosion de décembre 1969 était censée être le détonateur qui aurait convaincu les autorités politiques et militaires [italiennes] de déclarer un état d’urgence. » [2]
Vinciguerra révéla également qu’il avait fait partie d’un réseau paramilitaire « stay-behind » avec certains complices. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce réseau avait été mis sur pied par la CIA et l’OTAN sous le nom de code « opération Gladio ».
En 1984, alors que des juges l’interrogeaient sur l’attentat à la bombe de 1980 qui frappa la gare de Bologne, Vinciguerra déclara :
« Avec [le massacre] de Peteano et tous ceux qui ont suivi, plus personne ne devrait douter de l’existence d’une structure active et clandestine, capable d’élaborer dans l’ombre une telle stratégie de tueries. [Il s’agit d’une structure] imbriquée dans les organes même [de l’État]. […] Il existe en Italie une organisation parallèle aux forces armées, composée de civils et de militaires, et à vocation antisoviétique, c’est-à-dire destinée à organiser la résistance contre une éventuelle occupation du sol italien par l’Armée rouge. […] Une organisation secrète, une super-organisation disposant de son propre réseau de communication, d’armes, d’explosifs et d’hommes formés pour s’en servir. […] Une super-organisation [qui], en l’absence d’invasion soviétique, reçut de l’OTAN l’ordre de lutter contre un glissement à gauche du pouvoir dans ce pays. Et c’est ce qu’ils ont fait, avec le soutien des services secrets de l’État, du pouvoir politique et de l’armée. » [3]
Plus tard, les liens du réseau Gladio à des campagnes prolongées de violence sous faux pavillon – impliquant de nouveau l’OTAN et la CIA –, furent révélées dans d’autres pays, notamment en Belgique et en Turquie. [4]
L’objectif initial de Gladio était de consolider la résistance en cas d’invasion soviétique. Néanmoins, la plupart des hauts responsables italiens impliqués dans les attentats à la bombe soulignèrent également une responsabilité de la CIA et de l’OTAN dans ces actes :
« Le général Vito Miceli, l’ancien chef des services de renseignement militaire italiens, suite à son arrestation en 1974 sur la base d’accusations de conspiration en vue de renverser le gouvernement, a témoigné ‘que les organisations incriminées […] ont été formées grâce à un accord secret avec les États-Unis et [ont évolué] dans la structure de l’OTAN’.
L’ancien ministre de la Défense Paulo Taviani a déclaré au magistrat Casson durant une enquête en 1990 qu’au cours de sa période au ministère (1955-58), les services secrets italiens étaient dirigés et financés par ‘les boys de la Via Veneto’ – en d’autres termes les agents de la CIA au sein de l’Ambassade des États-Unis se trouvant au cœur de Rome.’ En 2000, ‘un général des services secrets italiens [nommé Giandelio Maletti] a déclaré […] que la CIA avait donné son approbation tacite à une série d’attentats à la bombe au cours des années 1970, afin d’instaurer l’instabilité et d’empêcher les communistes de prendre le pouvoir. […] ‘La CIA voulait, à travers la naissance d’un nationalisme extrémiste et la contribution de l’extrême droite, particulièrement celle d’Ordine Nuovo, empêcher [l’Italie] de basculer vers la gauche’, a-t-il ajouté.’ » [5]
Dans son important livre intitulé Les Armées Secrètes de l’OTAN, Daniele Ganser a repris un article de presse espagnol de 1990 parlant de Manfred Wörner, un politicien et diplomate allemand qui était alors le secrétaire général de l’OTAN. Cette année-là, selon l’article en question, M. Wörner aurait secrètement confirmé que le quartier général de l’Alliance atlantique – le SHAPE – était en fait responsable du réseau Gladio :
« Le Supreme Headquarters Allied Powers Europe ou SHAPE, l’organe de commandement de l’appareil militaire de l’OTAN, coordonnait les actions de Gladio. C’est ce qu’a révélé le secrétaire général Manfred Wörner pendant un entretien avec les ambassadeurs des 16 nations alliées de l’OTAN. » [6]
Tirant ses propres conclusions d’une telle affirmation, Ola Tunander compara la stratégie de la tension en Italie – avec ses attentats sous fausse bannière –, à « ce que l’élite militaire turque pourrait décrire comme la redirection forcée de la démocratie par l’’État profond’ [, une expression turque]. » [7]
Toutefois, je crois qu’il serait trop simpliste que d’attribuer exclusivement la stratégie de la tension italienne à la « super-organisation [qui] reçut de l’OTAN l’ordre [de perpétrer des attentats sous faux pavillon] », pour reprendre les termes de Vinciguerra. Il s’avère que d’autres forces jouèrent un rôle de premier plan dans la stratégie de la tension, agissant aux côtés de l’OTAN et des groupuscules que Vinciguerra connaissait grâce aux renseignements militaires italiens (le SID, qui devint plus tard le SISMI). Il est important de se rappeler qu’en Italie, les procès des individus condamnés pour l’attentat de 1980 à Bologne ne concernaient pas seulement Vinciguerra, le SISMI et le Gladio, mais aussi des éléments de la mafia italienne (la Banda della Magliana) ainsi que la loge maçonnique italienne Propaganda-Due (P-2) – cette dernière étant liée à des banquiers criminels et au Vatican –. [8]
La stratégie de la tension
En résumé, si l’on suppose que quelque chose de comparable à l’État profond turc fût impliqué dans la stratégie de la tension en Italie, le mystère ne peut alors être résolu. Toutefois, cette hypothèse nous suggère un milieu, ou un réseau de collusions, qui mérite une enquête approfondie.
Une stratégie de la tension a-t-elle été appliquée aux États-Unis ?
Comme je l’ai écrit précédemment, les liens du réseau Gladio à des campagnes prolongées de violence sous faux pavillon – impliquant de nouveau l’OTAN et la CIA –, furent révélées plus tard dans d’autres pays, notamment en Belgique et en Turquie. [9] Je voudrais avancer que les États-Unis, à l’image de l’Europe, ont également souffert d’une succession comparable d’événements profonds structurels sous fausse bannière. Ils comprennent des attentats à la bombe qui, conformément à une même stratégie de la tension, ont systématiquement déplacé les États-Unis vers leur condition actuelle : un état d’urgence.
Le QG de l’OTAN
Parmi les événements profonds structurels et trompeurs que je désirerais analyser ici, je soulignerais les suivants :
-* L’assassinat de John F. Kennedy en 1963 – ou le 22-Novembre –, qui conduisit à l’opération Chaos de la CIA contre le mouvement anti-guerre du Vietnam. (Le 22-Novembre fut clairement un événement profond : de nombreux documents sur la relation de Lee Harvey Oswald avec l’Agence sont toujours tenus secrets, en dépit des injonctions judiciaires ou parlementaires visant à les rendre publics.) [10]
-* L’assassinat de Robert Kennedy en 1968, qui fut immédiatement suivi d’une loi d’exception. Celle-ci eut comme résultat une éruption de violence soutenue par l’État lors de la convention du Parti démocrate de 1968.
-* Le premier attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993 et celui d’Oklahoma City en 1995, qui aboutirent à l’adoption de l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act de 1996.
-* Le 11-Septembre suivi des attaques à l’anthrax en 2001, qui conduisirent à l’imposition des mesures de « continuité du gouvernement » (COG pour Continuity of Government), au vote du Patriot Act ainsi qu’à la proclamation d’un état d’urgence le 14 septembre 2001 – qui est toujours en vigueur –. En effet, en septembre 2012, il fut renouvelé pour une année supplémentaire. [11]
Cumulativement, ces événements profonds structurels ont eu un même résultat : l’érosion des pouvoirs publics constitutionnellement établis, et leur remplacement progressif par une force répressive incontrôlée. Dans d’autres travaux, j’ai soutenu que :
-# comme en Italie, la plupart de ces événements furent attribués à des éléments marginaux. En réalité, ils impliquèrent des factions évoluant au sein des agences clandestines de renseignement des États-Unis, ainsi que leurs obscures connexions dans les milieux du crime organisé ;
-# certains de ces événements profonds structurels sont liés à la planification permanente visant à assurer la « continuité du gouvernement » (ou COG) en temps de crise. Connue au Pentagone sous l’appellation « Projet Jugement dernier » (Doomsday Project), cette planification disposait de son propre réseau secret de communications sécurisées. Elle comprenait également des mesures visant à instaurer ce qui fut appelé une « suspension de la Constitution des États-Unis » durant les auditions parlementaires du lieutenant-colonel Oliver North, lors de l’Irangate ;
-# dans chacune de ces affaires, la réponse officielle aux événements profonds fut d’adopter un ensemble de nouvelles mesures répressives, habituellement par voie législative ;
-# cumulativement, ces événements suggèrent la présence permanente, aux États-Unis, de ce que j’ai appelé une « force obscure » ou un « État profond », comparable à ce que Vinciguerra décrivit en Italie comme étant une « force secrète [, occulte et] clandestine, capable d’élaborer dans l’ombre une telle stratégie de tueries [successives]. » [12]
L’attentat à la bombe d’Oklahoma City (le 19-Avril) et le 11-Septembre
L’attentat d’Oklahoma City
Récemment, j’ai regardé un documentaire intitulé A Noble Lie (« Un noble mensonge »), qui traite de l’attentat à la bombe de 1995 à Oklahoma City [13]. Pour la première fois, j’ai pu confronter mes hypothèses à cet attentat perpétré le 19 avril 1995 – que je vais donc appeler le 19-Avril –. Bien plus que je ne l’aurais imaginé, cet événement entrait dans ma grille d’analyse, tout en la renforçant.
En effet, le film A Noble Lie fait apparaître des similarités frappantes entre les événements d’avril 1995 et ceux de septembre 2001. Le parallèle le plus évident est la prétendue destruction, par des forces externes, d’un immeuble à la structure d’acier renforcée (un camion piégé à l’explosif dans le cas du bâtiment Murrah ; des débris éjectés durant l’effondrement de la tour Nord du World Trade Center dans le cas de la tour 7 [ou Building Seven] en 2001). Dans ces deux cas, certains experts ont affirmé qu’en réalité, seules des charges explosives de découpe, directement placées sur les colonnes porteuses à l’intérieur des bâtiments, auraient pu provoquer leur effondrement. Par exemple, voici un rapport transmis au Congrès par Benton K. Partin, un général de brigade retraité de l’US Air Force qui est un expert en engins explosifs non-nucléaires :
« Lorsque j’ai regardé pour la première fois les photos des dommages asymétriques du camion piégé contre le bâtiment fédéral, ma réaction immédiate fut de penser qu’il aurait été techniquement impossible de générer de tels dégâts sans avoir placé des charges de démolition supplémentaires contre certaines des colonnes porteuses en béton armé. […] Au vu de ce que l’on sait sur la puissance et la composition de la bombe, le fait que la simple explosion d’un camion piégé puisse [détruire l’immeuble] sur une profondeur d’environ 18 mètres et provoquer l’effondrement d’une colonne porteuse de dimension A-7 dépasse l’entendement. » [14]
Aujourd’hui, un large consensus est en train de se former chez les architectes, les ingénieurs et d’autres experts compétents. Selon eux, il est très probable que les trois immeubles du World Trade Center qui s’écroulèrent le 11-Septembre furent également détruits par des charges explosives utilisées lors des démolitions contrôlées. [15]
Les conséquences juridiques de la plupart de ces événements sont une autre similarité importante. En effet, la réponse à l’attentat d’Oklahoma City fut l’adoption de l’Antiterrorism and Effective Death Penalty Act de 1996, tandis que la réponse au 11-Septembre fut la mise en œuvre de la COG puis le vote du Patriot Act – suite à des attaques à l’anthrax sous fausse bannière –. Le film A Noble Lie se concentre sur les conséquences intérieures de l’Antiterrorism Act. Tout comme le Patriot Act qui lui succéda, cette loi instaura d’importantes restrictions sur le droit d’habeas corpus tel qu’il avait été interprété par les tribunaux jusqu’alors. En d’autres termes, ces deux lois fournirent des prétextes juridiques pour autoriser les détentions arbitraires, une préoccupation centrale dans la planification de la COG menée sous l’égide d’Oliver North dans les années 1980. Tout ceci entre dans un processus permanent de restrictions progressives de nos droits constitutionnels par un pouvoir coercitif incontrôlé – une évolution qui date selon moi de l’assassinat de John F. Kennedy en 1963 –.
Cependant, l’Antiterrorism Act de 1996 eut également d’importantes conséquences à l’étranger, en particulier du fait que la section 328 de cette loi amenda le Foreign Assistance Act pour appuyer
« l’aide en armes et en munitions à certains pays spécifiques, dans le but de combattre le terrorisme. [16] Ceci conduisit à la création en 1997 d’un accord de liaison « Top Secret » entre le Centre de Contreterrorisme de la CIA (CTC pour Counterterrorism Center) et l’Arabie saoudite, suivi d’un accord ultérieur conclu en 1999 entre la CIA et l’Ouzbékistan (qui sont aujourd’hui deux des régimes les plus secrets et répressifs au monde). » Peter Dale Scott, « [17]
J’ai soutenu que ces accords de liaison confidentiels – conclus avec l’Arabie saoudite et l’Ouzbékistan –, auraient pu fournir une couverture à la CIA pour organiser sa rétention d’informations secrètes avant le 11-Septembre. Cette dissimulation de renseignements concernait Khaled al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, deux des coupables désignés de ces attaques. [18] Par conséquent, si mon analyse de la rétention organisée par l’Agence entre 2000 et 2001 est correcte, le 19-Avril ne montre pas seulement des similarités avec les attaques de septembre 2001. En réalité, cet attentat de 1995 constitue une étape déterminante dans le processus qui rendit possibles cette rétention de renseignements ainsi que le 11-Septembre.
L’accroissement des pouvoirs répressifs suite aux événements profonds
Le fait que le 19-Avril eut des conséquences juridiques répressives lie cet événement aussi bien au 11-Septembre qu’au 22-Novembre – l’assassinat de JFK ayant été utilisé par la Commission Warren pour élargir la surveillance des citoyens des États-Unis par la CIA –. Comme je l’ai écrit dans mon livre Deep Politics, ceci résultait
« des recommandations controversées de la Commission Warren, imposant que les responsabilités du Secret Service en matière de surveillance intérieure soient élargies (WR 25-26). Paradoxalement, cette dernière a conclu qu’Oswald avait agi seul (WR 22) […], mais également que le Secret Service, le FBI et la CIA devaient coordonner plus étroitement la surveillance des groupes organisés (WR 463). En particulier, elle a recommandé au Secret Service de se doter d’une base de données informatisée compatible avec celle déjà élaborée par la CIA. » [19]
Durant la guerre du Vietnam qui s’ensuivit, cette implication de la CIA dans la surveillance intérieure conduisit à l’opération Chaos. Il s’agissait d’une enquête sur le mouvement antiguerre au cours de laquelle l’Agence, malgré les restrictions imposées par sa Charte en matière d’espionnage intérieur, « accumula des milliers de dossiers sur les citoyens des États-Unis, indexa des centaines de milliers d’entre eux dans ses archives informatiques, et dissémina au FBI et dans d’autres agences gouvernementales des milliers de rapports à leur sujet. Une partie de ces informations concernait les activités intérieures des citoyens en question. » [20]
Ce processus de durcissement répressif se répétera quatre ans plus tard, suite à l’assassinat de Martin Luther King en 1968. En réponse à cet événement, deux brigades de l’US Army furent déployées aux États-Unis jusqu’en 1971. Placées en état d’alerte permanent, elles étaient en position d’intervenir dans le cadre de l’opération Garden Plot, qui était destinée à contrer d’éventuels troubles intérieurs. [21]
Ce modèle se répètera de nouveau avec
« L’assassinat de Robert Kennedy [surnommé RFK, ou Bobby]. Dans les 24 heures entre les tirs frappant Bobby et son décès, le Congrès adopta dans l’urgence une loi rédigée bien à l’avance (tout comme l’étaient la Résolution du golfe du Tonkin de 1964 et le Patriot Act de 2001) – une loi qui élargit de nouveau les pouvoirs secrets conférés au Secret Service au nom de la protection des candidats à la présidence –. [22]
Il ne s’agissait pas d’un changement insignifiant ou bénin : de cette loi votée à la hâte sous [le Président] Johnson ont découlé quelques-uns des pires excès de l’ère Nixon. [23] Ce changement a également contribué au chaos et aux violences survenues lors de la Convention démocrate de Chicago en 1968. Des agents de surveillance des Renseignements militaires, détachés auprès du Secret Service, opéraient à l’intérieur et à l’extérieur de la salle des congrès. Certains d’entre eux équipèrent les « voyous de la Legion of Justice, dont la Chicago Red Squad [qui] brutalisa les groupes antiguerre locaux. » [24]
D’autres similarités entre Dallas en 1963 et Oklahoma City en 1995
Les conséquences répressives après le 22-Novembre et le 19-Avril sont liées à d’autres caractéristiques communes à ces deux événements. Presqu’immédiatement après le 22-Novembre, des récits venant de sources à la fois internes et externes au gouvernement commencèrent à être diffusés. Ils suggéraient que Lee Harvey Oswald avait assassiné le Président dans le cadre d’un complot communiste international.
Dans mon livre intitulé Deep Politics and the Death of JFK, je les ai appelés les « récits primaires », qui s’inscrivaient dans un
« un processus à deux phases. La ‘phase primaire’ consistait à agiter le spectre d’un complot international en liant Oswald à l’URSS, à Cuba ou à ces deux pays en même temps. Cette menace fantôme servit à invoquer le danger d’une possible confrontation nucléaire, ce qui incita le président de la Cour suprême des États-Unis Earl Warren et d’autres responsables politiques à accepter la ‘phase secondaire’ – l’hypothèse tout aussi fausse (mais bien plus inoffensive) voulant qu’Oswald eût assassiné tout seul le Président –. […] [L]e récit primaire […] fut d’abord mis en avant puis démenti par la CIA. Michael Beschloss a révélé que le 23 novembre à 9h20, le directeur de l’Agence John McCone informa le nouveau Président des derniers développements. Dans les termes de Beschloss, ‘[l]a CIA possédait des renseignements sur les connexions étrangères de Lee Harvey Oswald, l’assassin présumé [de JFK], qui suggéraient [au Président Lyndon B. Johnson] que Kennedy aurait pu avoir été victime d’une conspiration internationale.’ » [25]
Jusqu’à présent, aussi bien les récits primaires que secondaires ont occupé une place centrale dans le traitement du 22-Novembre par les médias dominants. Au contraire, ces derniers ont pratiquement exclu les analyses indépendantes considérant cet assassinat comme un événement profond.
Beaucoup d’observateurs ont oublié le fait que le 19-Avril ait également été suivi d’un processus à deux phases. Immédiatement après l’attentat, puis plus tard, un certain nombre de récits ont été diffusés. Ils liaient Timothy McVeigh et Terry Nichols à des Irakiens ainsi qu’à d’autres individus originaires du Moyen-Orient. Parmi les personnes citées se trouvait Ramzi Yousef, l’auteur en fuite de l’attentat à la bombe de 1993 contre le World Trade Center (qui utilisa lui aussi une bombe au nitrate d’ammonium [ANFO] dans une camionnette de location de marque Ryder). [26] Le Président Clinton et Richard Clarke, son coordinateur du contreterrorisme, ont tous deux confirmé que le 19-Avril, certains de ces récits furent abordés durant une réunion du Groupe de sécurité sur le contreterrorisme (Counterterrorism Security Group). [27] Ces deux hommes ont également affirmé les avoir écartés au profit d’un complot local de moindre ampleur, exécuté par les deux coupables désignés : Timothy McVeigh et Terry Nichols. Cependant, les récits invoquant une implication moyen-orientale, parfois attribués à des sources gouvernementales, continuèrent à émerger dans les médias dominants – dont CBS, NBC et le New York Times –. [28]
Dans le même temps, Jayna Davis, une journaliste de la NBC basée à Oklahoma City, rechercha énergiquement les indices d’un complot local irakien, qu’elle rassembla dans son livre intitulé The Third Terrorist (« Le troisième terroriste »). Ses preuves relevant de la « phase primaire » étaient centrées sur la traque initiale d’un suspect anonyme surnommé « Jean Dupont n°2 » (ou John Doe #2). Rapidement suspendue, cette recherche avait été lancée suite à une alerte diffusée à toutes les unités. Plus tard, l’enquête de Jayna Davis fut reprise dans un rapport parlementaire par le député au Congrès Dana Rohrabacher. [29]
Sur le plan institutionnel, Richard Clarke a écrit qu’en plus de l’Antiterrorism Act, l’attentat d’Oklahoma City fut suivi d’une profusion de Directives de décision présidentielle internes (PDD pour Presidential Decision Directive), toutes rédigées par ses soins. L’une d’entre elles visait à corriger une faille sécuritaire en réponse à cet attentat. Une autre directive lui conférait de plus larges pouvoirs en matière de lutte contre le terrorisme, incluant son nouveau titre de Coordinateur national pour la Sécurité, la Protection des Infrastructures et le Contreterrorisme. Deux autres directives – la PDD 62 et en particulier la PDD 67 –, visaient à instaurer ce qu’il appela un « système de commandement et de contrôle [plus] robuste » pour « notre programme de continuité du gouvernement [COG] ». D’après lui, « on avait autorisé le démantèlement [de la COG] lorsque la menace d’une attaque nucléaire soviétique avait disparu ». [30]
Ces termes nous rappellent l’article de Tim Weiner publié en avril 1994 dans le New York Times. Selon lui, à l’époque post-soviétique du Président Clinton, « le Projet Jugement dernier […] tel qu’on le connaissait » allait être démantelé, puisque « les tensions nucléaires » de la guerre froide s’étaient dissipées. [31] En d’autres termes, le Président Clinton avait prévu de mettre fin au Projet Jugement dernier, qui était dirigé par un comité extra-gouvernemental secret incluant Donald Rumsfeld et Dick Cheney (ces deux hommes n’exerçant alors aucune fonction au sein du gouvernement). Néanmoins, Richard Clarke utilisa l’attentat d’Oklahoma City afin de sauver ce programme, tout en le renforçant et en le plaçant sous son contrôle.
Selon l’auteur Andrew Cockburn, une nouvelle cible fut trouvée :
« Bien que sous l’ère Clinton les exercices aient continué, avec un budget annuel de plus de 200 millions de dollars, les Soviétiques disparus furent alors remplacés par des terroristes […] Il y eut également d’autres changements. Auparavant, les spécialistes sélectionnés pour diriger le ‘gouvernement de l’ombre’ avaient été puisés dans l’ensemble du spectre politique, qu’ils soient Démocrates ou Républicains. Mais dorénavant, dans les bunkers, [Cheney et] Rumsfeld se [retrouvaient] en sympathique compagnie politique, la liste des ‘joueurs’ étant presque exclusivement constituée de faucons républicains. ‘C’était un moyen pour ces gens de rester en contact. Ils se rencontraient, faisaient l’exercice, puis ils tiraient à boulets rouges sur l’administration Clinton, de la manière la plus extrême’ me révéla un ancien officiel du Pentagone ayant une connaissance directe de ce phénomène. ‘On pourrait parler d’un gouvernement secret attendant son tour.’ » [32]
Bien entendu, le fait que le 19-Avril ait été suivi d’un renforcement du Projet Jugement dernier ne suffit pas à corroborer ma thèse, selon laquelle ce programme de la COG fut un facteur déterminant dans la planification et l’exécution des événements profonds structurels aux États-Unis. [33] Toutefois, nous pouvons observer d’autres caractéristiques récurrentes dans ma description de ces affaires, et nous les retrouvons dans le cas d’Oklahoma City.
Le premier attentat contre le World Trade Center, en 1993
La première d’entre elles est le rôle central attribué à des coupables désignés dans les versions officielles de ces événements, sachant qu’ils étaient très probablement des informateurs du gouvernement ou des agents doubles. [34] L’exemple récent le plus documenté est peut-être l’utilisation et la protection par le gouvernement des États-Unis d’Ali Mohamed, un important cadre d’al-Qaïda opérant comme agent double dans cette organisation ; cette protection lui a permis d’entraîner certains des auteurs de l’attentat au camion piégé de 1993 contre le World Trade Center et, plus tard, de contribuer à la planification de l’attentat à la bombe contre l’ambassade des États-Unis au Kenya. [35]
Dans l’édition 2008 de mon livre The War Conspiracy, j’ai avancé la possibilité qu’en fait, Lee Harvey Oswald et certains coupables désignés du 11-Septembre (Ali Mohamed, Nawaf al-Hazmi, Khaled al-Mihdhar) auraient pu être des agents doubles travaillant pour une agence du gouvernement US, comme le FBI ou les Renseignements militaires (DIA pour Defense Intelligence Agence). [36] D’autres auteurs ont suggéré qu’Oswald était au moins un informateur du FBI ; et Lawrence Wright écrivit dans The New Yorker qu’en dissimulant au Bureau les noms d’al-Hazmi et d’al-Mihdhar, « [l]a CIA pourrait aussi avoir protégé une opération à l’étranger, et donc craindre que le FBI ne l’aurait révélée. » [37]
Dans ce contexte, en regardant A Noble Lie, j’ai relevé avec un grand intérêt l’hypothèse selon laquelle Timothy McVeigh, le principal coupable désigné du 19-Avril, aurait pu également être un informateur ou un agent double travaillant pour l’US Army. [38] Bien entendu, cette hypothèse n’est pas encore avérée, mais ce film apporte des preuves qui la corroborent.
L’attentat d’Oklahoma City et l’opération PATCON
Ce qui est certain est que McVeigh – comme Oswald, al-Hazmi et al-Mihdhar –, évoluait dans un milieu d’informateurs identifiés et/ou d’agents doubles, qui participaient à une importante opération secrète. Dans le cas d’Oswald et des deux Saoudiens, cette particularité pourrait expliquer pourquoi le gouvernement des États-Unis a continuellement supprimé des faits cruciaux les concernant, à la fois avant et après les crimes dont ils sont accusés. Ces dissimulations ont d’ailleurs perduré jusqu’à aujourd’hui. [39]
En 2005, l’excellent enquêteur John M. Berger découvrit que dans les années 1990, le FBI mena une importante opération de contre-espionnage, baptisée PATCON (pour « Patriot-conspiracy »). Dans ce cadre, le Bureau avait enquêté sur le milieu de Timothy McVeigh. Il s’agissait de l’ultradroite armée, que Berger décrivit comme
« un ensemble très hétérogène d’activistes et d’extrémistes de droite, racistes, ultra-libertariens et/ou pro-armes qui, au fil des années, se sont trouvés une cause commune dans leurs craintes et leurs suspicions à l’égard du gouvernement fédéral. Les agents infiltrés [du FBI] rencontrèrent certains des pires éléments de ce mouvement, mais leur travail n’a jamais abouti à une seule arrestation. Lorsque McVeigh apparut au milieu de cette enquête en 1993, personne ne le remarqua. » [40]
L’opération PATCON accorda beaucoup d’attention à un ancien soutien du réseau illégal d’Oliver North, qui avait été utilisé pour approvisionner en armes les Contras du Nicaragua. Il s’agissait de Tom Posey et de son groupe paramilitaire, la CMA (pour Civilian Material Assistance). Selon Paul de Armond, cette organisation avait démarré ses activités dans les années 1980 comme « complément du Ku Klux Klan d’Alabama ». [41] La CMA fut d’abord enrôlée dans l’effort d’approvisionnement des Contras par les Renseignements militaires, puis par Oliver North. Les patrouilles « bénévoles » de cette organisation contre les migrants clandestins à la frontière de l’Arizona persuadèrent John McCain, alors député au Congrès, de siéger à son conseil d’administration. [42] Cependant, dans la période de l’après-Reagan, « Posey était un marchand d’armes bien connu sur le marché noir, suspecté d’avoir des sources de contrebande dans plus d’une base de l’US Army », selon les enquêteurs de PATCON. [43]
Concernant l’assassinat de JFK autant que le 11-Septembre, il me semble évident que les dissimulations postérieures à ces complots sont dues au fait qu’ils aient été habilement planifiés pour être englobés dans des opérations clandestines autorisées, afin qu’ils restent secrets par la suite. L’important essai sur l’opération PATCON, que John M. Berger a publié dans Foreign Policy, ne suggère en aucun cas un lien entre le plan de McVeigh et cette opération du FBI. Cependant, quelque part dans son enquête, Berger remarque que Dennis Mahon, un associé de McVeigh et une autre cible importante de PATCON,
« deviendra une figure célèbre dans les milieux prônant la supériorité de la ‘race blanche’, et il fut condamné en février [2005] pour l’envoi d’un coli piégé à un responsable de la diversité au sein de l’État d’Arizona en 2004. Suite à son arrestation durant l’année 2009, Mahon déclara à son compagnon de cellule qu’il était ‘le troisième anonyme dans l’enquête sur l’attentat à la bombe d’Oklahoma City’. »
En d’autres termes, Dennis Mahon s’est lui-même identifié comme étant Jean Dupont n°2 (John Doe #2).
Sur son site Intelwire.com, Berger a écrit que « Mahon [déclara] avoir côtoyé McVeigh par le passé ». Il en conclut qu’« [à] partir de ces commentaires et de certaines informations, il est au moins plausible que Mahon fût impliqué dans l’attentat à la bombe [d’Oklahoma City]. » [44] « L’autre preuve » invoquée par Berger est le témoignage de Carol Howe, un informateur de l’ATF, qui fut d’abord diffusé par Jayna Davis puis par le député au Congrès Dana Rohrabacher. Selon ce témoignage, « Mahon parla de commettre des attentats à la bombe contre des bâtiments fédéraux [avant le 19-Avril]. […] [De plus,] il se rendit à trois reprises à Oklahoma City [avec Andre Strassmeir, un contact de Timothy McVeigh]. » [45]
Mahon a été décrit comme un beau-parleur ayant tendance à s’auto-glorifier. Malgré tout, il est clair que nous devrions mieux étudier le contexte de l’attentat d’Oklahoma City, au vu des nouvelles preuves révélées par l’enquête PATCON. En effet, quelques initiés seulement étaient au courant de cette opération secrète, menée par le FBI entre 1991 et 1993.
L’attentat d’Oklahoma City fut-il un « guet-apens ayant mal tourné » ?
Bien que l’opération PATCON prît officiellement fin en 1993, ses dossiers nous apprennent que de nombreux informateurs du FBI résidaient de façon permanente au sein de la communauté d’Elohim City, Oklahoma. Il est très probable qu’ils n’incluaient pas seulement Carol Howe, mais également Andre Strassmeir, le contact de Timothy McVeigh évoqué précédemment. [46] L’absence de réponse des autorités aux rapports les informant d’un projet d’attentat à la bombe renforce l’hypothèse – émise dans le film A Noble Lie –, selon laquelle le complot du 19-Avril aurait pu être initialement un traquenard policier contre ses auteurs. Son issue meurtrière en aurait fait un « guet-apens ayant mal tourné ».
Si cette hypothèse était avérée, la similarité entre le 19-Avril et le premier attentat contre le World Trade Center en 1993 serait encore plus grande. Selon le récit officiel, cette attaque fut également planifiée par un groupe terroriste infiltré par le FBI, qui utilisa aussi une bombe composée d’ANFO dans une camionnette louée de marque Ryder. Celle-ci fut également identifiée grâce à son numéro d’identification du véhicule (NIV) retrouvé sur un fragment métalique. [47]
Se basant sur des enregistrements d’interrogatoires entre un informateur et son référent au FBI, voici ce que le New York Times rapporta après l’attentat de 1993 :
« On révéla aux fonctionnaires des forces de l’ordre [le FBI] que des terroristes étaient en train de concevoir une bombe, qui fut finalement utilisée pour faire exploser le World Trade Center. Ils envisagèrent de mettre en échec les malfaiteurs en substituant secrètement les explosifs par une poudre inoffensive, déclara un informateur après l’attentat. Ce dernier était censé aider les malfaiteurs à fabriquer la bombe et à leur fournir la fausse poudre, mais ce plan fut annulé par un superviseur du FBI qui avait d’autres idées sur la façon d’utiliser cet informateur, [appelé] Emad A. Salem. » [48]
Ce récit du Times sur l’attentat de 1993 contre le World Trade Center décrit clairement un projet terroriste qui avait été efficacement infiltré par le FBI mais qui, pour une raison inconnue, put connaître son dénouement tragique. Un seul cas d’opération infiltrée « ayant mal tourné » en 1993 pourrait être attribué à la confusion, à l’incompétence bureaucratique, ou à la difficulté de déterminer le moment où les forces de l’ordre ont rassemblé suffisamment de preuves pour justifier leurs arrestations. La répétition d’une telle catastrophe deux ans plus tard soulève la question de savoir si, en réalité, ce dénouement meurtrier n’était pas recherché.
Au vu de l’inaction gouvernementale avant le 11-Septembre – alors que la CIA connaissait les pirates de l’air présumés –, l’étude approfondie de ces meurtres de masse renforce la dénonciation devant la Cour Pénale Internationale envisagée par le juge Ferdinando Imposimato (aujourd’hui président honoraire de la Cour de cassation italienne). Selon lui, le 11-Septembre fut « une répétition de la ‘stratégie de la tension’ mise en œuvre par la CIA en Italie » entre les années 1960 et 1980. [49] Malgré tout, je comprends qu’il puisse être à la fois difficile et douloureux, pour une majorité de citoyens des États-Unis, d’envisager que l’Histoire de leur pays ait pu être manipulée et déstabilisée à l’échelle systémique par des forces inconnues, comme en Italie un demi-siècle auparavant. Néanmoins, à mesure que j’approfondis mes recherches, ma conviction qu’il faille prendre en compte le verdict du juge Imposimato se renforce.
Par ailleurs, si l’analogie italienne est applicable aux États-Unis, alors l’appréciation voulant que le 11-Septembre ait été « une répétition de la ‘stratégie de la tension’ mise en œuvre […] en Italie » soulève une plus vaste question sur l’ensemble des événements profonds structurels étudiés ici, en particulier sur les attentats à la bombe de 1993 et de 1995. En effet, ces événements résultaient-ils d’une même stratégie de la tension permanente ? Il est trop tôt pour répondre à cette question. Cependant, nous pouvons au moins observer que les attentats contre le World Trade Center de 1993 et de 2001 montrent les signes distinctifs d’une origine commune, à la fois en dehors du gouvernement (le « cerveau » présumé Khaled Cheikh Mohammed et l’informateur Ali Mohamed), et potentiellement au sein même de l’appareil d’État, au vu des dissimulations persistantes et complémentaires autour de ces deux affaires. [50]
Au contraire, et de façon prévisible, tous les événements profonds structurels que j’ai analysé jusqu’alors sont traités par les médias dominants comme étant l’œuvre de marginaux extérieurs au gouvernement – un « fou isolé » tel que Lee Harvey Oswald, ou un « loup solitaire » comme Timothy McVeigh –. Les points communs entre ces événements tels que je les ai présentés suggèrent une analyse différente. En d’autres termes, certains initiés – parmi lesquels des responsables des renseignements et d’autres officiers gouvernementaux –, autant que des personnes extérieures – incluant des informateurs ainsi que des agents doubles –, doivent être tenus pour responsables de la conception récurrente de complots qui, du fait de leurs imbrications avec des opérations clandestines approuvées par l’État, ne seront pas révélés par les autorités.
Mon analyse identifie ces initiés comme faisant partie d’un milieu persistant, certes informe et non structuré, qui lie les réseaux secrets évoluant au sein de l’appareil d’État à d’autres forces puissantes dans notre société. Malgré mes réticences initiales, je me suis résolu à appeler ce milieu l’« État profond », n’ayant pas trouvé meilleure expression. [51] Cependant, comme je l’ai souligné auparavant à propos de l’Italie, je ne considère pas que ce concept puisse expliquer ces crimes mystérieux. En revanche, l’« État profond » désigne un milieu au sujet duquel il faudrait enquêter davantage.
Une analyse alternative des événements profonds : Les Crimes d’État contre la Démocratie (ou CED)
Je vais à présent comparer ma propre analyse avec deux grilles de lecture différentes. La première d’entre elles est la notion d’un « gouvernement secret », mise en avant en 1987 par Bill Moyers dans une importante émission télévisée de la chaîne PBS. [52]
Ce programme soulignait, avec justesse, la dangereuse montée en puissance des agences clandestines – et par-dessus tout de la CIA –, depuis le National Security Act de 1947. En particulier, cette émission analysait les crimes de l’Irangate afin d’illustrer ce qu’est un gouvernement secret, qui échappe aux restrictions légales et à toutes les autres limitations juridiques imposées par la Constitution et l’État public.
Pour reprendre les termes de l’émission de Moyers,
« Le Gouvernement Secret est un complexe réseau de collusions regroupant des fonctionnaires, des espions, des mercenaires, d’anciens généraux, des profiteurs et de grands patriotes. Pour diverses raisons, ces individus opèrent en dehors des institutions légitimes du gouvernement. »
En d’autres termes, cette émission désignait l’« Enterprise ». Il s’agit de l’opération utilisée par Oliver North, ses soutiens extérieurs et ses alliés du bureau exécutif Eisenhower afin de mettre en œuvre le trafic Iran-Contra, ainsi que d’autres politiques violant la loi et/ou les directives du Congrès. Comme je l’ai montré dans d’autres travaux, Oliver North s’est servi du réseau antiterroriste de crise appelé Flashboard lorsqu’il concrétisait ces politiques. À l’origine, ce réseau très coûteux avait été mis en place dans le cadre du Projet Jugement dernier. [53] En agissant ainsi, North « couvrait » son opération, car il mettait en œuvre son programme illicite et criminel grâce à ce réseau secret autorisé, mais hors du cadre assigné à cet outil.
Une telle analyse put être diffusée à la télévision en 1987 car à cette époque, une partie du gouvernement des États-Unis était en guerre contre l’autre. Ce conflit interne opposait le directeur de la CIA William Casey non seulement au Congrès, mais également à des officiers de haut rang au sein de l’Agence. [54] L’émission de Moyers s’inscrivait dans une série de fuites d’initiés et de révélations des médias dominants sur l’opération hors registres baptisée « Enterprise ». Oliver North – avec en arrière-plan le directeur de CIA William Casey –, l’avait utilisée pour violer les lois et les politiques officielles. [55] En résumé, le défi lancé par Moyers contre les « guerriers » de Casey et de North correspondait aux objectifs de la CIA traditionnelle (et de leur soutiens habituels, soit les « commerçants » de Wall Street). [56]
Ainsi, il n’est pas surprenant que cette émission ne traita ni du rôle du Vice-président Bush – qui était alors le supérieur d’Oliver North –, ni des intérêts qu’avaient les multinationales à promouvoir les opérations clandestines de la CIA à travers le monde (comme, par exemple, la bien plus vaste opération que l’Agence menait en Afghanistan dans les années 1980). Par-dessus tout, elle ne dit pas un mot sur la planification de la « suspension de la Constitution des États-Unis ». Développé par Oliver North dans le cadre du Projet Jugement dernier, ce plan avait pourtant brièvement fait surface lors des auditions de l’Irangate en 1987. [57] De par leur silence sur ce projet, ceux qui réalisèrent cette émission commirent l’erreur de ne pas évoquer la planification permanente qui, selon moi, permit de concrétiser les plans de la COG à travers le 11-Septembre et le Patriot Act. En résumé, l’attaque de Bill Moyers contre le gouvernement secret se limitait en grande partie à ce qui relevait déjà du domaine public. Ainsi, ce dernier ne s’aventura point dans la politique profonde.
Plus récemment, le professeur Lance deHaven-Smith a proposé le concept de Crimes d’État contre la Démocratie (CED, ou SCAD pour State Crimes Against Democracy). Ce concept a été repris par certains de mes amis au sein du mouvement pour la vérité sur le 11-Septembre, parmi lesquels Peter Phillips et Mickey Huff. Par CED, le professeur deHaven-Smith signifie « des actions ou des inactions concertées entre des membres du gouvernement [,] destinées à manipuler les processus démocratiques et à saborder la souveraineté populaire. » [58]
L’un des grands avantages de l’hypothèse des CED est que, contrairement à mon travail, elle a été reprise dans des revues académiques – brisant ainsi une sorte de « mur du son » –. Néanmoins, l’expression « crimes d’État » me pose problème. D’une part, j’avancerais que l’État, ou certaines de ses composantes, sont souvent victimes d’événements profonds, tels que le 19-Avril ou le 11-Septembre. D’autre part, je conçois fondamentalement l’État comme un garant de la démocratie, et pas simplement comme un ennemi de celle-ci.
Je suis d’accord sur le fait que certains membres du gouvernement jouent en effet un rôle important dans ces événements, et j’en ai analysé certains dans les précédents paragraphes. Cependant, je pense qu’il est trompeur d’attribuer ces crimes à l’État dans son ensemble. En effet, si un employé de banque laisse entrer une équipe de braqueurs, il en résulte incontestablement un braquage de la banque, et non par la banque – même si vous qualifiez cet acte de « complot interne » –.
L’analyse des CED est bien plus utile et complexe que je ne le laisse entendre ici, et je vais continuer à apprendre de ceux qui la développent. Toutefois, cette théorie ne relève pas de la politique profonde. La liste des CED établie par le professeur deHaven-Smith inclut « les guerres secrètes au Laos et au Cambodge », deux décisions politiques en tant que telles (plutôt que des événements), dont nous savons qu’elles ont été adoptées dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. Bien qu’à cette époque, ces opérations étaient clandestines et très certainement illégales, elles n’étaient aucunement mystérieuses lorsqu’elles furent divulguées. Dans leur essence, elles ne sont donc pas vraiment « profondes ».
D’après moi, en présentant les CED comme une lutte entre l’État d’un côté et la démocratie de l’autre, cette analyse simplifie exagérément ces deux concepts, et sous-estime leurs contradictions internes (contrairement à l’émission de Bill Moyers). Après tout, la démocratie est une forme d’État au sein duquel la liberté et les prérogatives du peuple sont constitutionnellement garanties par les autorités étatiques (ou par ce que j’appelle l’État public). Au moins l’un des CED analysés par le professeur deHaven-Smith, soit l’assassinat de JFK, devrait plus logiquement être considéré comme un crime perpétré contre l’État, plutôt que par l’État.
Peter Phillips et Mickey Huff semblent reconnaître cette difficulté. En effet, ils ne comptent pas l’assassinat de JFK dans leur liste des CED. [59] Cependant, cet oubli engendre une distinction artificielle entre cet homicide et d’autres événements profonds – comme les meurtres de Martin Luther King et de Robert Kennedy –, qui sont d’après moi les symptômes d’un même syndrome.
En résumé, je suis convaincu de l’importance cruciale d’une distinction absente de l’analyse des CED. Il s’agit de la différence entre l’État public – ostensiblement dédié à favoriser le bien-être, les droits et les prérogatives du peuple –, et ce ramassis de pouvoirs non officiels évoluant au sein et en dehors du gouvernement, ou ce que j’ai maladroitement appelé l’État profond. Pendant un demi-siècle, celui-ci a progressivement affaibli le pouvoir civil progressiste et persuasif. Il l’a peu à peu remplacé par un pouvoir violent, autonome, extraconstitutionnel et sans restrictions.
Ma dernière objection à l’analyse des CED est d’ordre pratique. En effet, si l’État est l’auteur de ces crimes, le travail des critiques doit être de mobiliser l’opinion publique contre celui-ci. Cette démarche correspond aux politiques libertariennes de ceux qui – à l’instar d’Alex Jones et d’autres ardents défenseurs du Second Amendement –, sont profondément défiants envers l’État public dans son ensemble, et pas seulement envers ses agences clandestines. L’analyse du professeur de Haven-Smith n’implique pas uniquement ces dernières, mais le gouvernement des États-Unis tout entier, et peut-être même les tribunaux en particulier. (Afin de soutenir cette accusation, il met en avant l’acte inhabituel de la Cour suprême qui, en 2000, a elle-même élu George W. Bush à la présidence, par cinq voix contre quatre.)
Cependant, une stratégie visant à attaquer l’État dans son ensemble me parait être un exemple de politiques défaitistes. Sur cette question, nous pouvons une nouvelle fois être éclairés par la stratégie de la tension italienne, qui est une sombre histoire de terrorisme aveugle connaissant un dénouement plus heureux. En effet, les attentats à la bombe perpétrés en Italie cessèrent après celui de Bologne en 1980. Cet arrêt des violences est dû à une série d’enquêtes vigoureuses et courageuses, d’abord menées par des journalistes, puis par des commissions parlementaires, et finalement par les tribunaux (dont celui présidé par le juge Imposimato, qui enquêta également sur le meurtre du Premier ministre italien Aldo Moro et sur la tentative d’assassinat contre le Pape Jean Paul II). La victoire de la vérité sur la violence ne fut pas facile à obtenir : des journalistes, des parlementaires et au moins un juge furent eux-mêmes assassinés. En revanche, ce fut clairement un triomphe de certains contrepouvoirs officiels contre une autre partie de l’État.
L’exemple italien démontre que les forces obscures manœuvrant derrière une stratégie de la tension ne sont pas invincibles. Il suggère également que, pour vaincre l’État profond, la société civile devra s’allier aux secteurs de l’État susceptibles d’être finalement mobilisés dans la recherche de la vérité.
Si cet essai contribue à remplir cet objectif, cela veut dire que d’autres personnes auront suivi les pistes d’investigation définies dans ce travail. Je ne prétends pas moi-même comprendre la vérité intime de ces événements profonds structurels. Cependant, j’espère être parvenu à indiquer certaines des directions que les futures enquêtes devraient suivre.
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