«Environ 70 résidences et une école sont à moins de 1,5 kilomètres du port projeté par Rabaska.» (Photothèque Le Soleil)
Le 24 octobre dernier je n'étais pas fier d'être québécois. Ce jour-là, j'ai eu l'impression de vivre dans une république de bananes, lorsque Claude Béchard, notre ministre des Ressources naturelles, nous a annoncé, avec fierté, que le gouvernement du Québec donnait le feu vert pour le projet Rabaska.
Si tout se passe comme prévu, on va implanter deux ports méthaniers au Québec, et chacun d'eux peut recevoir suffisamment de gaz naturel pour alimenter la province de Québec au complet (le gaz naturel est essentiellement composé de méthane). Lorsque les deux ports seraient construits, on disposerait donc au Québec de trois fois plus de gaz naturel du jour au lendemain, alors qu'aucune étude n'a été faite par le gouvernement pour établir le besoin réel des Québécois. Même si une partie du gaz s'en va en Ontario, on ne pourra pas tout consommer en 2010. Alors qui va le consommer?
Possiblement l'Alberta qui a besoin de plus en plus de gaz naturel pour exploiter ses sables bitumineux, si polluants. Par ailleurs, les États-Unis ont également un besoin urgent de gaz naturel. Ils prévoient construire 40 ports méthaniers d'ici 20 ans, principalement pour alimenter leurs centrales électriques. Mais beaucoup d'États-uniens s'y opposent, pour des raisons de sécurité très compréhensibles.
Une opération militaire de protection
Ce n'est pas pour rien qu'à chaque arrivée d'un méthanier à Boston (port méthanier mis en place bien avant le 11 septembre 2001) une véritable opération militaire de protection se met en branle : hommes-grenouilles pour inspecter la coque du méthanier, hélicoptères, bateaux armés de la garde côtière et de la police du port, arrêt des vols d'avion, etc... Mais, au fait, pourquoi tant d'inquiétude?
Il suffit de dire que la quantité d'énergie contenue dans un gros méthanier moderne correspond à l'énergie de 60 à 100 bombes atomiques d'Hiroshima, selon la grosseur du navire, sans la radioactivité bien entendu.
Plusieurs facteurs font en sorte qu'un méthanier est beaucoup plus dangereux qu'un pétrolier. Les mesures de sécurité extrêmes qu'on met en place au port méthanier de Boston ne se retrouvent pas aux multiples ports pétroliers des États-Unis.
La raison principale qui rend les méthaniers si dangereux est le fait que leur cargaison est un gaz à la température ambiante, et pas un liquide comme le pétrole. Pour transporter le gaz naturel, on doit le refroidir à 160 degrés Celcius sous zéro, et on le maintient à cette température dans de gros compartiments thermos. Or, un accident maritime ou un attentat terroriste peut ouvrir une brèche importante dans la coque du navire et laisser s'écouler le gaz naturel liquéfié, qui redevient alors gazeux rapidement. Le nuage qui se forme est beaucoup plus difficile à circonscrire qu'une nappe de pétrole.
Ce nuage peut être poussé par le vent à des kilomètres du méthanier, au dessus de Lévis ou de Québec. Si la nappe de gaz naturel liquéfié et ou le nuage de gaz naturel prennnent en feu, la chaleur dégagée est infernale et peut brûler les gens au deuxième degré en moins de 40 secondes, à 1,5 kilomètre du brasier, seulement par les radiations infrarouges dégagées. Or, environ 70 résidences et une école sont à moins de 1,5 kilomètres du port projeté par Rabaska! Ce scénario ne tient compte que d'un seul réservoir endommagé sur cinq. Je n'ose même pas imaginer ce qui arriverait si les cinq réservoirs étaient affectés par des explosions en cascade.
La grosseur de la brèche...
Le projet Rabaska a eu le feu vert quand même, parce que ses promoteurs ont considéré que la largeur maximale de la brèche dans un réservoir du méthanier serait de 1,5 mètres de diamètres seulement. Pourtant, j'ai présenté un mémoire au BAPE dans lequel je fais état d'une étude réalisée par un gros laboratoire gouvernemental des États-Unis, Sandia National Laboratories, qui considère comme plausible des brèches beaucoup plus grandes. Dans cette étude, on mentionne qu'il est réaliste de considérer des brèches intentionnelles de 5 à 7 mètres carrés, ce qui donne des intensités de radiation thermique plus élevées que celles présentées par Rabaska.
D'ailleurs, déjà des brèches de plusieurs dizaines de mètres carrés ont été infligées par quelques attentats terroristes sur les coques de navires. C'est le cas du pétrolier français Limburg, à double coque, qui a été attaqué en 2002. La tactique utilisée par les kamikazes responsables de ce genre d'attentats consiste à bourrer un petit bateau d'explosifs et à foncer sur la coque du navire cible. Le destroyer U.S.S. Cole, de la marine états-unienne, a subit également une telle attaque en 2000, et s'est retrouvé avec une brèche de plusieurs dizaines de mètres carrés dans sa coque.
Ce genre d'incident n'est donc pas une utopie, mais constitue une réalité qui risque malheureusement de s'accroître avec l'augmentation des tensions géopolitiques reliées au pétrole. Le Canada n'est pas à l'abri de tels incidents, surtout depuis notre implication en Afganistan. Les méthaniers sont désormais reconnus comme des cibles de choix, surtout s'ils sont près de zones densément peuplées, comme à Boston, ou à Lévis éventuellement.
Nécessairement loin des populations
Je ne suis pas contre les ports méthaniers à tout prix, mais ils doivent être nécessaires et loin des populations, ce qui n'est certainement pas le cas présentement pour le projet Rabaska. De plus, il y a des énergies beaucoup moins polluantes que le gaz naturel, comme la géothermie et la biomasse dont on devrait faire la promotion au Québec, au lieu d'augmenter notre dépendance aux carburants fossiles.
Quand on pense que le gouvernement du Québec n'a même pas fait faire une contre expertise, et qu'il s'est fié uniquement au promoteur, c'est révoltant. Je dis uniquement, car des mémoires comme le mien et bien d'autres, qui ont été présentés au BAPE, gratuitement, pour dénoncer les dangers et l'aspect non durable d'un tel projet, ont été «jugés» sans valeur. Pourtant, plusieurs de ces mémoires ont été réalisés par des scientifiques, comme moi.
Quel beau cadeau vous nous faites M. Charest pour le 400e anniversaire de Québec! Se peut-il que vous ayez si peu à cœur la sécurité de vos citoyens et que vous exposiez à un tel péril une ville du patrimoine mondial, au cachet unique. Qui va payer pour les pots cassés dans l'éventualité d'un incident majeur aux dommages irréparables?
Vous allez me dire que 70% de la population de Lévis est d'accord avec vous, selon un sondage. Mais que vaut un tel sondage lorsque les gens ne sont pas informés des risques que je viens d'exposer, et de bien d'autres, alors qu'on ne leur fait miroiter que les millions de dollars en retombés éventuelles.
En terminant, j'aimerais rappeler à la mémoire des gens l'incident du Titanic, dont les constructeurs, dans leur certitude arrogante qu'il ne pouvait pas couler, n'ont pas installé suffisamment de chaloupes de sauvetage, un grave manquement à la sécurité. Il ne faudrait pas répéter cette même arrogance, en plaçant un port méthanier si près d'une zone densément peuplée, qui, de plus, constitue un joyau historique du fait français en Amérique.
Quel fiasco, une fois de plus, de la part de nos politiciens à courte vue.
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Pierre Langlois, Ph.D.
Physicien, consultant et auteur
- source
LE SOLEIL - POINT DE VUE
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