La persévérance de Jacques Parizeau

Tribune libre 2009

Jacques Parizeau, depuis quelques jours, multiplient les entrevues sur tous
les réseaux de télévision. Deux affirmations reviennent constamment dans
ses propos: le Québec fera un jour son indépendance; en 1995, le Québec a
passé à un cheveu de devenir un nouveau pays.
La première proposition est sans doute louable mais difficilement
réalisable dans le contexte actuel. Et voici pourquoi. Lors du dernier
recensement de 2006, les Québécois de souche (francophones) formaient 79 %
de la population québécoise. D’ici dix ans, plus de 500,000 immigrants
prendront racine sur le sol du Québec. La barre des francophones de souche
chutera à moins de 75 %. Est-il possible, mathématiquement parlant, que le
Québec accède à son indépendance par voie référendaire quand, dès le
départ, 25 % et plus de la population a l’intention, sans débat politique
sérieux, de se prononcer contre ce projet politique? Cela demeure possible
mais il faudrait que les Québécois de souche adhèrent massivement à la
vision prônée par les indépendantistes. Ce qui est loin d’être certain. Il
faudra, de plus, qu’une bonne majorité des immigrants se disent en accord
avec la démarche politique de ceux qui prônent la sécession du Québec. La
tendance ne semble pas être dans cette direction.
De plus, pour que soit tenu un futur (un dernier ?) référendum, il faut
qu’un parti sécessionniste prenne le pouvoir à Québec et commande la
consultation populaire. La date la plus rapprochée pour qu’une telle
éventualité se produise est l’élection de 2013. Comme le PQ confédéraliste
a promis à la population de ne pas tenir de référendum dans un premier
mandat, il y a aura donc une autre élection en 2017, avant la tenue de ce
possible référendum. Si le Parti libéral reprend le pouvoir en 2017, cet
éventuel référendum promis par le PQ sera évidemment reporté aux calendes
grecques. Dans l’éventualité d’une reprise du pouvoir par le PQ en 2017, et
compte-tenu des deux ou trois ans requis pour la préparation de cette
consultation populaire, l’hypothétique référendum du PQ ne pourrait pas se
tenir avant…2020.
Ceux qui nous causent si candidement aujourd’hui d’un éventuel référendum
sur l’indépendance du Québec auront sans doute quitté ce monde.
L’auteur de
ce texte n’exclut pas la possibilité d’être de ce groupe. La persévérance
de Jacques Parizeau est remarquable. Mathématiquement, l’indépendance du
Québec n’a aucune chance de se concrétiser. Il faut alors compter sur un
événement imprévisible, une sorte d’alliance sacrée où, tous partis
politiques confondus, la nation se donnera rendez-vous pour célébrer le
Grand soir.
1980
Premier rappel. Le référendum de 1980 ne portait pas sur l’indépendance du
Québec. La question référendaire était la suivante: « Le Gouvernement du
Québec a fait connaître sa proposition d’en arriver, avec le reste du
Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l’égalité des
peuples ; cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir
exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d’établir ses
relations extérieures, ce qui est la souveraineté, et, en même temps, de
maintenir avec le Canada une association économique comportant
l’utilisation de la même monnaie ; aucun changement de statut politique
résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l’accord de la
population lors d’un autre référendum ; en conséquence, accordez-vous au
Gouvernement du Québec le mandat de négocier l’entente proposée entre le
Québec et le Canada ? ». Le libellé de cette question démontre une chose :
René Lévesque ne souhaitait pas faire l’indépendance du Québec mais voulait
créer, avec son partenaire anglais, à l’amiable, une authentique
Confédération canadienne. Deux États souverains associés économiquement et
politiquement.
René Lévesque souhaitait réaliser cette métamorphose politique en
présupposant que le Canada anglais négocierait de bonne foi, même si le
Québec avait toujours le statut d’une province canadienne. Trudeau, en bon
stratège politique, avait renvoyé son vis-à-vis en lui disant de demander
d’abord aux Québécois s’ils voulaient être souverains et revenir, par la
suite, négocier d’égal à égal avec le reste du Canada. En bon démocrate,
Lévesque avait promis à ses concitoyens de faire ratifier le résultat des
négociations par un deuxième référendum. Les Québécois ayant dit «non» à
cette négociation, le deuxième référendum devenait caduc.
1995
Deuxième rappel. Le nouveau chef péquiste, Jacques Parizeaul, avait promis
en 1994, lors de la campagne électorale de tenir un référendum sur
l’indépendance du Québec. Rien de moins. La question courrait sur toutes
les lèvres avant le scrutin qui le porta au pouvoir : «Acceptez-vous que le
Québec devienne souverain en date de …?»
Parizeau ne posa pas la question précitée. Formant avec Lucien Bouchard et
Mario Dumont un triumvirat politique comme on n’en avait jamais vu au
Québec, il posa, en fait, la question de Robert Bourassa, formulée à
Bruxelles en 1990. Voici le libellé de la question : « Voulez-vous
remplacer l’ordre constitutionnel existant par l’existence de deux États
souverains associés dans une union économique, responsables à un parlement
élu au suffrage universel ?» Robert Bourassa n’osa pas poser aux Québécois
sa fameuse question, étant assuré que les Québécois et le Canada anglais
lui diraient «non» et, selon la logique des choses, il allait se sentir
obligé de poser, suite à cet échec, une question portant sur l’indépendance
du Québec, en étant tout aussi assuré d’avoir un autre «non». Il ne pose
donc pas SA question.
Formulée par le parti majoritaire à l'Assemblée nationale, le Parti
québécois, la question référendaire de 1995 était la suivante : «
Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert
formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans
le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le
12 juin 1995 ? ». Exactement la question de Robert Bourassa.
Tout comme en 1980, le Parti québécois demandait un mandat pour négocier
formellement un nouveau partenariat politique et économique
(souveraineté-association ou confédération canadienne) avec le reste du
Canada, à la différence cette fois-ci, qu’en cas de réussite, il n’y avait
pas d’autre référendum pour sanctionner les négociations et, qu’en cas
d’échec, la souveraineté du Québec serait déclarée unilatéralement par
l’Assemblée nationale du Québec. C’était la stratégie de la «cage à
homard». Avec un «oui» majoritaire, le PQ, par la porte arrière, pouvait
conduire le Québec à l’indépendance nationale, sans que le peuple soit
directement consulté sur la question.
Quelques jours après le référendum de 1995, un sondage confirmait que 52 %
des électeurs qui avaient voté «oui» à la question référendaire, pensaient
que leur «oui» signifiait qu’ils allaient rester dans le Canada. 50,000
voix séparaient bien les deux camps, mais dans le camp du «oui», il y avait
des «oui» qui ressemblaient drôlement à des «non». Parizeau dit toujours
que le Québec d’alors est passé à un cheveu de faire un pays. Je n’en suis
pas convaincu. L’utilisation de la «cage à homard» n’aurait sans doute pas
été acceptée par les Nations-Unies et le Québec aurait sans doute été
obligé de recommencer l’exercice. La démarche péquiste de l’époque a
engendré la loi sur la clarté venue d’Ottawa. Si le Québec avait été clair
dans sa démarche avec la partie avec lequel il voulait s’associer, cette
loi n’aurait jamais été votée.
2020 ?
Le nouvel essai de Jacques Parizeau vise à relancer le débat sur la
souveraineté du Québec. Si tel est le cas, le débat doit être ouvert, sans
détours, fixé sur l’objectif qui est l’indépendance du Québec. Il ne doit
pas comporter de trappe à homard et se faire en pleine lucidité. Être
ouvert aussi à tous les partis politiques.
La donne a maintenant bien changé depuis 1980 et depuis 1995. La dette
publique du Québec, en 1980, était d’un peu plus de 9 milliards de dollars.
La dette publique du Québec, en 1995, était de 57 milliards de dollars. La
dette publique du Québec, en 2009, est de… 125 milliards de dollars. Sans
compter la dette accumulée dans d’autres secteurs : écoles, universités,
collèges, municipalités, etc. On parle de plus de 200 milliards de
dollars.
Le Québec est vieillissant. Le Québec est obligé de recruter massivement
des immigrants pour occuper des postes clés dans la société. La dénatalité
est catastrophique. 40 % des citoyens ne gagnent pas suffisamment d’argent
pour payer des impôts à l’État québécois. Le taux de décrochage scolaire
est alarmant. L’endettement des foyers est inquiétant. Le chômage est
endémique. Bref, le Québec est riche en ressources. Il est pauvre sur bien
d’autres plans. Comment faire pour relancer le Québec et le remettre sur la
voie de la prospérité ?
Pour y arriver, Jacques Parizeau propose, au plus vite, de réaliser
l’indépendance nationale. Les marchés mondiaux étant ouverts à tous, il
croit qu’un pays plus petit, avec des ressources énormes comme le Québec en
possède, a plus de chance de s’en sortir que les grands ensembles, comme
les États-Unis. A-t-il raison ? Il lui reste à le prouver avec des chiffres
et à convaincre ses concitoyens d’emboîter le pas. Tâche gigantesque !
Le jour où le mouvement indépendantiste arrivera à convaincre les citoyens
du Québec qu’ils vivront mieux dans un nouveau pays, dans un territoire
hors du Canada, l’indépendance se fera. Jusqu’ici, les indépendantistes ont
été incapables de faire cette démonstration. Parizeau, à la suite de
Marois, prévoit des moments d’effervescence si jamais les Québécois se
décident d’accéder à l’indépendance. Il reste à savoir jusqu'à quel degré
ces derniers sont en accord avec lui et sont prêts à tolérer ces zones de
turbulence ? En d’autres mots, les Québécois sont-ils prêts à s’imposer un
certain nombre de sacrifices pour atteindre le Grand soir ? Lorsque je vois
les dernières demandes des centrales syndicales, alors que le Québec est
dans le rouge, j’ai de quoi m’inquiéter.
Le Québec aurait sans doute besoin d’une autre émission Point de mire pour
expliquer et convaincre. Le professeur Parizeau invite à prendre cette voie
dans son volume. Il reste à trouver le pédagogue qui, simplement, mais avec
un réalisme de béton, arrivera à convaincre les auditeurs. Jacques
Parizeau, lui aussi, cherche un autre René Lévesque. Un vulgarisateur et un
charismatique. Le Québec actuel ne semble pas avoir ni l’un ni l’autre.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 novembre 2009

    Je crois que Monsieur Parizeau a raison de demeurer optimiste malgré tout. De toute façon, si les militants indépendantistes cessent de croire à leur cause, comment voulez-vous qu'on convaincre les indécis?
    Cela dit, 2 conditions m'apparaissent essentielles avant qu'on puisse tenir un nouveau référendum :
    1) Que les leaders du mouvement souverainiste mettent leurs divergences d'opinion de côté pour former une coalition qui viserait d'abord et avant tout à réaliser l'indépendance du Québec
    2) Qu'ils prennent conscience du cercle vicieux dans lequel les citoyens se sentent pris dans un Canada qui ne fonctionne pas et un Québec qui tergiverse (ce qui explique une bonne partie du cynisme actuel à mon avis). Autrement dit, il faut être proactif plutôt que d'attendre d'hypothétiques "conditions gagnantes"

  • Fernand Lachaine Répondre

    18 novembre 2009

    De la façon dont les grands indépendantistes se comportent depuis maintenant des dizaines et des dizaines d'années, c'est à dire se chamailler sur tout et sur rien, je peux vous prédire une chose: Il n'y a aucun être humain avec tout le charisme, leadership, intelligence etc que cette personne pourrait avoir, qui prendra la chance de vouloir amener le Québec vers son indépendance car aussitôt qu'il ou elle serait élu(e) (2 ou 3 semaines) il y aurait une faction du "grand" mouvement indépendantiste qui le clouerait au pilori. Donc n'ayez crainte bonnes gens, cette personne brillante, tant souhaitée par monsieur Parizeau, n'est pas prête à se montrer le nez. Trop dangereux.
    Fernand Lachaine

  • Archives de Vigile Répondre

    18 novembre 2009

    Dignité et Patriotisme contre Réductionnisme
    Une citation rappelant deux conditions essentielles
    « Ceux qui peuvent abandonner une liberté essentielle —dans ce cas, la pleine souveraineté nationale du Québec— en échange d’un peu de sécurité immédiate ne méritent ni liberté ni sécurité. » Benjamin Franklin
    ***
    Une réalité terrifiante d’extinction nationale
    Mais ce qui est terrible, c’est qu’en raison de ceux qui sont arrivés et ont adopté ce régime fédéraliste, le Québec demeure, en ce XXIème siècle, la seule colonie en Amérique du Nord.

  • Gilles Bousquet Répondre

    18 novembre 2009

    Même si j'ai souvent blâmé M. Turcotte de trop taper sur le PQ jusqu'ici, je le félicite pour la clarté de son exposé ici, qui me semble clair et assez exact.
    Je suis assez d'accord avec sa conclusion, sauf qu'il me semble encore possible, même si difficile, d'en arriver à la souveraineté du Québec avec Mme Marois et d'autres jeunes députés, très ferrés, du PQ dont M.Jean-Martin AUSSANT, député de Nicolet-Yamaska, porte-parole de l'opposition officielle en matière d'institutions financières et de développement économique, d'innovation et d'exportation.
    Faut pas trop se décourager avant le temps tout en demeurant réaliste. Ça ne sera pas de la tarte.