Les péquistes devraient plutôt se réjouir que le gouvernement Couillard retarde la présentation de son projet de loi sur la neutralité de l’État. Le PQ serait actuellement incapable de définir sa propre position, sinon pour dire que son ancienne charte ne convient plus. Pour le reste, chacun a son idée.
Bernard Drainville a beau avoir assoupli considérablement le projet qu’il défendait bec et ongles à pareille date l’an dernier, ses adversaires dans la course à la succession de Pauline Marois, du moins ceux qui ont osé aborder la question, le trouvent encore trop radical. Et si on en croit les sondages, le prochain chef risque de ne pas être M. Drainville.
Même la clause dite « grand-père », réclamée par plusieurs — dont Jean-François Lisée — pour éviter qu’un employé de l’État puisse perdre son emploi en raison de ses convictions religieuses, fait problème aux yeux d’Alexandre Cloutier, qui propose de limiter l’interdiction du port de signes religieux à ceux qui sont en position d’autorité, auxquels il associe les enseignants. Martine Ouellet demeure vague sur ses orientations, tandis que Pierre Karl Péladeau continue de faire le pitre sur Facebook plutôt que d’avancer la moindre proposition concrète.
On reproche à M. Drainville de réactiver ce débat alors que le drame de Charlie Hebdo aurait dû l’inciter à attendre, mais ceux qui voudraient simplement qu’on l’enterre trouveront toujours une raison de remettre la discussion à plus tard.
De toute manière, la laïcité a occupé trop de place dans l’ordre du jour du gouvernement Marois et elle est trop intimement liée à la question plus générale de l’identité québécoise pour qu’elle soit passée sous silence durant la course au leadership. Quoi qu’il eût fait, M. Drainville aurait été blâmé. S’il n’était pas revenu sur le sujet, on l’aurait accusé de se défiler.
Il aurait été bien inspiré d’exempter dès le départ les universités, les cégeps et les municipalités, même si cela n’aurait sans doute pas suffi à amadouer la CAQ. Mieux vaut tard que jamais, mais on peut se demander pourquoi les établissements de santé ne seraient pas simplement soumis à la même obligation de se doter d’une politique interne de réserve et de neutralité religieuses.
On peut toujours plaider que les enseignants exercent une autorité sur les élèves, même s’ils ne peuvent pas être considérés comme des représentants de l’État, mais les infirmières n’ont pas d’autorité sur les patients. La simple crainte que quelqu’un puisse entretenir des préjugés est-elle une raison suffisante pour lui refuser le droit d’afficher ses convictions religieuses ? D’ailleurs, si cette personne a réellement des préjugés, l’interdiction de porter des signes religieux ne les fera pas disparaître.
Si besoin était, la tragédie de Charlie Hebdo a démontré que l’interdiction des signes religieux ne constitue pas un rempart contre l’intégrisme islamique. S’il s’agit simplement de symboliser la neutralité de l’État, les limitations proposées par la commission Bouchard-Taylor devraient suffire. La lutte contre l’intégrisme nécessite des mesures d’un autre ordre, comme le reconnaît maintenant M. Drainville.
Quoi qu’il en dise, ce nouveau positionnement s’inscrit d’abord et avant tout dans la perspective de la course au leadership, où il se présente comme « la voix de la laïcité ». Son renvoi du référendum à un deuxième mandat, c’est-à-dire aux calendes grecques, a été très mal perçu par les militants péquistes. Cela lui impose un sérieux rattrapage.
S’il est vrai que les opposants à la charte de la laïcité se sont mobilisés lors des dernières élections, la majorité des militants l’appuyaient. Même si certains pourront reprocher à M. Drainville d’avoir mis trop d’eau dans son vin, la nouvelle mouture qu’il propose sera sans doute plus conforme à leurs souhaits que ce que M. Péladeau devra bien finir par leur soumettre.
Tout bien considéré, plusieurs pourraient cependant arriver à la conclusion que mieux vaut la souveraineté avec PKP que la chicane avec Drainville. La souveraineté sera déjà suffisamment difficile à « vendre » sans y ajouter un nouvel élément de discorde. C’est exactement ce que plaidaient les Jacques Parizeau, Gilles Duceppe, Jean Dorion et d’autres, selon lesquels la charte de la laïcité donnerait des armes au camp fédéraliste et ruinerait tout espoir de rallier les communautés culturelles.
Après avoir multiplié les prétextes et les reports, le gouvernement Couilllard a finalement remis sine die la présentation de son propre projet. Il ne demande cependant pas mieux que de voir les péquistes reprendre entre eux le débat qui a divisé le Québec l’an dernier. Au moment d’entreprendre une nouvelle ronde de compressions d’un milliard, toutes les diversions seront certainement les bienvenues.
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