La main tendue de l'Albertain

Québec 2007 - le facteur «Canada»


Révision du Programme de péréquation, déblocage sur le financement des universités, renoncement du fédéral à son pouvoir de dépenser: Stephen Harper va-t-il changer la nature du Canada?


C’est la première fois en temps de paix — si on peut dire — qu’un premier ministre fédéral fait d’aussi grandes ouvertures aux provinces et en particulier au Québec. D’ordinaire, c’est en pleine crise des relations fédérales-provinciales que les choses se débloquent et que le gouvernement fédéral délie les cordons de sa bourse. L’an dernier, au lendemain de l’élection de Stephen Harper, j’évoquais «le retour au fédéralisme coopératif» (Sans-papier, 1er mars 2006). Nous y sommes…
Prenons le pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence des provinces, auquel les libéraux et leur nouveau chef, Stéphane Dion, tiennent comme à la prunelle des yeux de Pierre Trudeau: le premier ministre conservateur se dit prêt à en limiter les effets, voire à l’abandonner.
Jean Chrétien avait fait une proposition en ce sens dans son discours du Trône du 27 février 1996, mais c’était au lendemain d’un référendum qu’il avait failli perdre, et tandis que régnait un sentiment de panique générale. (On ne savait pas encore, par ailleurs, qu’en même temps il créait, dans le plus grand secret, un vaste programme de propagande qui serait un jour connu comme le «programme des commandites».)
Il n’y a rien de tout cela en ce moment, sinon la perspective d’une campagne électorale. Discrètement, fonctionnaires et ministres fédéraux et provinciaux se réunissent, échangent des documents de travail. Le climat est bon parce que, quoi qu’en dise le Bloc québécois, les principaux engagements des conservateurs ont été tenus. À la suite d’une erreur tactique des souverainistes, le Québec a même obtenu sa reconnaissance comme «nation». Il restait encore à aborder le délicat dossier du déséquilibre fiscal…
Des fuites calculées ont permis d’apprendre que le Québec recevrait sans doute des sommes supplémentaires de l’ordre de 2 milliards de dollars par année. Cet argent viendrait s’ajouter aux 5 milliards de paiements de péréquation et aux 7,5 milliards de transferts sociaux. «Trop peu», diront les souverainistes, qui prétendent que le Québec devrait recevoir près de 4 milliards de dollars supplémentaires. «Envoie tout de même», diront les libéraux de Jean Charest, trop heureux d’utiliser cet argent pour remplir leur panier de promesses électorales.
La Saskatchewan et Terre-Neuve protestent contre ces changements au régime de péréquation, qui réduisent les transferts aux provinces productrices de pétrole. La belle affaire: les deux provinces ont, ensemble, 21 sièges aux Communes, contre 75 pour le Québec. Harper et ses stratèges savent compter! Quant à l’Alberta, elle accumule tellement de surplus qu’elle ne se donne même plus la peine de protester.
La répartition de la manne des grands contrats militaires commence, elle aussi, à soulever les passions. Des ministres du Québec, Michael Fortier en particulier, réclament 60% des investissements dans l’aérospatiale, ce qui correspond à la part de production de la province dans ce domaine. Cela entraîne des protestations ailleurs au Canada, où on ressort les vieux démons du contrat d’entretien des CF 18. (En 1986, ce contrat de plus d’un milliard de dollars avait été accordé à Bombardier, même si l’entreprise Bristol, de Winnipeg, avait présenté une soumission plus avantageuse pour la Défense nationale…)
Les accusations de favoritisme à l’égard du Québec et la grogne qui en découle n’inquiètent personne dans l’entourage de Stephen Harper. Au contraire. Discrètement évoquées au Québec, elles tendent à confirmer que les «bleus» de Harper, tout comme ceux de Brian Mulroney dans les années 1980, sont prêts à tout pour séduire la Belle Province.
Mieux encore, les analystes du reste du Canada voient là une nouvelle tentative de rapprochement entre le Québec et l’Ouest qui pourrait assurer, une fois pour toutes, la survie de la Confédération. Vingt ans après Brian Mulroney, Stephen Harper propose, sans le clamer trop fort, une autre forme de «réconciliation nationale».
Cela suffira-t-il à faire oublier les reculs de la politique environnementale ou l’alignement un peu trop voyant de la politique étrangère canadienne sur celle des États-Unis? Dans une certaine mesure, la question est secondaire, puisqu’il est maintenant acquis que des élections auront lieu au Québec avant que Stephen Harper affronte son propre électorat. Un climat d’entente cordiale entre Québec et Ottawa, ainsi qu’un budget fédéral généreux, c’est à peu près tout ce dont Jean Charest a besoin pour survivre.


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