La magouille

Option Canada

Normand Lester et son compère Robin Philpot auront beau jurer que la coïncidence entre la parution de leur livre Les Secrets d'Option Canada et la deuxième paire de débats télévisés entre les chefs de parti était purement fortuite, personne n'en croira un mot. D'ailleurs, quelle importance, si le contenu est exact? On juge l'arbre au fruit et Option Canada fait partie du bilan libéral.
Le mois dernier, M. Lester avait expliqué que la publication d'un de ses textes dans Le Devoir du 21 avril 2005 avait incité un informateur à le contacter et à lui offrir des documents qu'on croyait disparus. N'importe quel auteur ou éditeur aurait fait l'impossible pour publier au moment où l'impact serait le plus grand.
De toute évidence, le coup a porté, si on en juge par la réaction de Jean Lapierre. Pour une fois, le lieutenant de Paul Martin au Québec semblait à court de farces plates en conférence de presse. Il en était réduit aux procès d'intention.
Après les révélations de la commission Gomery, Les Secrets d'Option Canada ne fera peut-être pas grimper l'indice libéral beaucoup plus haut sur l'échelle de l'immoralité politique, mais ce rappel de la turpitude du PLC ne pouvait survenir à un plus mauvais moment. L'émotion ne sera sans doute pas très grande au Canada anglais, mais, pour Gilles Duceppe, qui était menacé de redite aiguë, c'est une véritable cadeau du ciel.
À deux semaines du 23 janvier, Paul Martin n'a plus une minute à perdre à défendre l'indéfendable, mais il ne pourra pas y échapper. Il y a trop d'éléments troublants dans cette histoire pour que les libéraux se contentent de renvoyer le tout à l'enquête annoncée par le directeur général des élections du Québec ou à toute autre enquête qui pourrait être instituée à Ottawa.
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Incapables de refaire le coup du bonhomme Sept Heures, qui leur avait permis de coiffer les conservateurs dans les derniers jours de la campagne de 2004, les stratèges du PLC ont choisi de jouer la carte de l'unité nationale. Ce faisant, ils se sont eux-mêmes placés dans l'obligation de répondre des méthodes qu'ils ont utilisées dans le passé.
Si l'affaire est embêtante pour M. Martin, elle risque de l'être plus encore pour certains de ses ministres engagés dans des luttes très serrées, notamment Pierre Pettigrew dans Papineau et Liza Frulla dans Jeanne-Le Ber, qui n'étaient pas sortis trop égratignés par le scandale des commandites.
M. Pettigrew avait été assermenté comme ministre de la Coopération internationale, responsable de la Francophonie, à peine une semaine avant la réunion du cabinet Chrétien qui avait esquissé les grandes lignes de ce qui allait devenir le programme des commandites, les 1er et 2 février 1996. Il pouvait donc plaider l'innocence, à tout le moins dans la genèse des commandites.
On apprend maintenant qu'il avait accepté, à l'insu de tous, des honoraires de 12 000 $ d'Option Canada pour la rédaction d'une série d'articles publiés dans La Presse, entre le 26 et le 30 octobre 1995, dans lesquels il expliquait notamment que le projet souveraineté présenté par le gouvernement «risquerait de nous ridiculiser à travers la planète». Les intellectuels stipendiés par le pouvoir sont monnaie courante, mais le genre demeure toujours aussi méprisable.
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Députée de Marguerite-Bourgeoys à l'Assemblée nationale, Liza Frulla avait parfaitement le droit d'agir comme vice-présidente du comité du NON en 1995, et elle n'a fait le saut sur la scène fédérale qu'en 2000. Il est cependant très gênant d'apprendre que son conjoint, le publiciste André Morrow, avait facturé plus de 10 000 $ à Option Canada pour des services rendus avant et pendant la campagne référendaire.
Cette fois, il ne s'agit plus simplement des mécréants d'Ottawa, qui ont perverti la démocratie québécoise avec leur argent sale. Le plus grand intérêt du livre de Lester et Philpot est peut-être de démontrer que les responsables du NON à Québec ont sciemment accepté que le gouvernement fédéral magouille pour contourner les règles de financement édictées par l'Assemblée nationale. Certains en ont même profité. Remarquez, on s'en doutait un peu.
En mars 1997, le chef du PLQ et président du comité du NON, Daniel Johnson, avait déclaré formellement à The Gazette qu'il ignorait tout des activités d'Option Canada. «Je n'ai jamais entendu le nom. Je l'ai appris dans les journaux. Je n'ai aucune idée de qui il s'agit, de quoi, d'où, de quand, ni de pourquoi.» Comment l'en blâmer? Même le président d'Option Canada, Claude Dauphin, n'en avait aucune idée!
À l'époque, The Gazette avait découvert qu'il y avait eu pas moins de 65 appels interurbains entre le Comité du NON et Option Canada durant la période référendaire. Il s'agissait sûrement de faux numéros!
Il est toujours étonnant de constater à quel point les gens se parlent peu au sein d'une organisation. Ainsi, le conjoint de la vice-présidente du Comité du NON touchait des honoraires d'un organisme dont le président du même comité n'avait jamais entendu parler. Il est vrai que les couples ont aussi leurs petits secrets. M. Morrow n'avait sans doute rien dit à sa douce moitié!
Il va sans dire que Jean Charest ne savait rien non plus. Sinon, vous pensez bien qu'il n'aurait jamais nommé l'ancien directeur général du Conseil de l'unité canadienne, Jocelyn Beaudoin, au poste de délégué général du Québec à Toronto.
Son nom revient à plusieurs reprises dans le livre de Lester et Philpot. Au terme de l'enquête sur Option Canada qu'il avait menée il y a huit ans, l'ancien directeur général des élections, Pierre-F. Côté, avait conclu que M. Beaudoin était «le personnage le plus obscur» de cette déjà ténébreuse histoire. L'enquête que vient d'entreprendre son successeur permettra peut-être de dissiper cette ombre.


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