La loi et l'ordre, enjeu électoral

C'est dans l'urne que les électeurs devraient manifester leur désaccord avec les tenants d'un populisme sécuritaire moutonnier.

2 mai 2011 - Harper majoritaire


Le populisme sécuritaire est un phénomène politique bien connu dans la plupart des sociétés démocratiques. Ce n'est pas tant l'efficacité réelle des politiques pénales répressives qui compte. Ce sont plutôt des gains politiques qui motivent cette posture. L'instrumentalisation politique du champ pénal déplace le curseur législatif du sort des contrevenants vers celui des victimes. Face à la criminalité, l'anxiété citoyenne et la psychose de l'insécurité publique deviennent prioritaires.
Concrètement, cette approche renvoie à un discours anti-système ciblant les acteurs jugés éloignés de la majorité silencieuse: les juges, les avocats, les criminologues, les psychologues, les psychiatres et autres professionnels. Réducteur, le populisme sécuritaire affiche ouvertement son mépris pour les intellectuels. Il réprouve la distance et la rationalité des experts; il privilégie le sens commun du citoyen ordinaire. L'émotionnel n'est plus un tabou.
Nouvelle configuration
Depuis que le gouvernement minoritaire conservateur dirige le pays, la justice canadienne connaît une nouvelle configuration. Une déferlante de projets de loi à texture sécuritaire alourdit le menu parlementaire. Tout y passe: restriction du pardon, banalisation de la détention préventive, limitation des peines purgées dans la communauté, abolition de la libération conditionnelle accélérée, ajout de nouvelles infractions, augmentation des peines maximales, usage immodéré des peines minimales obligatoires, allongement de la liste des facteurs aggravants pour certaines infractions, raideur du traitement des jeunes délinquants, limitation des possibilités de transfert d'un citoyen canadien détenu à l'étranger, élimination de la discrétion judiciaire au regard du registre des délinquants sexuels, etc.
Les conservateurs suivent un scénario bien établi: leurs projets de loi semblent, à première vue, répondre aux attentes des citoyens. En vérité, ils sont généralement truffés de mesures à saveur revancharde et fondamentalement répressives. Afin d'accentuer l'effet de loupe, ces propositions législatives sont présentées en pièces détachées.
Sur la tribune médiatique, derrière un masque de bienséance, les conservateurs vantent les bienfaits des mesures sécuritaires proposées. Cependant, ces parlementaires deviennent atones lorsqu'il s'agit d'établir les coûts engendrés par leur politique répressive, notamment l'agrandissement et la construction de prisons.
Peines minimales
Instaurer des peines minimales obligatoires force les juges à rendre une justice à l'aveugle. Cette idéologie de l'enfermement transforme les tribunaux en distributeurs robotisés de peines d'incarcération. Dans une société démocratique, la fonction de juger exige que tout citoyen soit traité comme une personne, un sujet de droit, et non pas comme une simple abstraction. Si le juge agit en tampon encreur de l'État, la séparation des pouvoirs devient une chimère. L'automatisme des peines supprime l'individualisation de la sanction et tend à marginaliser le pouvoir judiciaire.
La justice ne peut se rendre en état d'apesanteur: elle a besoin de s'enraciner socialement. Selon un principe de justice fondamentale, la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Elle doit être adaptée aux circonstances (aggravantes ou atténuantes) liées à l'infraction ou à la situation du délinquant. Dans ce registre, la culpabilité morale du contrevenant reste déterminante. L'équité et la rationalité du système de justice mettent en cause la confiance du public.
Plus affirmée que démontrée, la rhétorique conservatrice brandit l'effet dissuasif des peines minimales de prison pour en justifier l'existence. Il est acquis que l'effet dissuasif de l'incarcération est incertain. Au terme de multiples recherches empiriques consacrées à l'efficacité dissuasive des peines, l'effectivité de cette fonction fait l'objet de conclusions contradictoires et incertaines. Il semble que la menace de la peine n'apparaît efficace, en principe, que pour les catégories de personnes pour lesquelles elle n'est pas utile, c'est-à-dire pour ceux dont l'attrait de la déviance est relativement faible.
Prémisses erronées
La thèse gouvernementale repose sur deux prémisses erronées. L'une suppose que les contrevenants connaissent l'existence et la portée des peines minimales, ce que démentent les sondages d'opinion. L'autre suppose que ces délinquants redoutent leur arrestation, une pure contrevérité. Au Canada, les peines minimales relatives aux infractions commises avec des armes à feu existent depuis l'année 1995, et ce fléau n'est pas éliminé pour autant.
Une peine minimale peut conduire à l'injustice. Ce mode de châtiment écarte l'analyse des circonstances entourant la perpétration d'une infraction. Certes, le crime commis reste l'élément clé de la détermination d'une juste peine. Cependant, les caractéristiques propres au contrevenant doivent aussi faire partie de l'équation. Sinon, le juge sanctionne objectivement un crime, plutôt que d'imposer une peine proportionnelle à la responsabilité du contrevenant.
Opinion publique
S'agissant de criminalité et de justice, l'opinion publique est souvent perçue par les politiciens comme plus conservatrice qu'elle ne l'est véritablement. Autrement dit, les gens ne sont pas aussi répressifs que beaucoup de politiciens le présument. Des études récentes sur le sujet font voir que l'opinion publique tend à s'éloigner d'une approche massivement punitive pour contrôler la criminalité.
À propos de la justesse des peines, les gens semblent surtout préoccupés par le principe de rétribution, lequel est encadré par l'exigence de proportionnalité. Le poids des études est à l'effet que, dans les sociétés démocratiques, le public supporte davantage l'objectif de modulation de la sanction plutôt que les objectifs de dissuasion et de dénonciation.
Certains élus se leurrent en pensant que le recours aux peines minimales améliore leur image auprès des électeurs ou que cela renforce la confiance du public envers le processus de détermination de la peine. En vérité, l'opinion citoyenne reste sensible à l'exigence de proportionnalité d'une peine. Il n'empêche que les politiciens conservateurs cherchent constamment à séduire l'électorat en affichant une posture de fermeté envers la criminalité.
N'en déplaise aux partisans de la loi et l'ordre, le concept de réhabilitation est cher à l'opinion publique. Cette tendance est conforme aux Règles de Tokyo, un engagement international du Canada, souscrit dans les années 1990. Cet instrument juridique favorise l'adoption par les États membres de mesures non privatives de liberté. L'un des objectifs poursuivis consiste à réduire le recours à l'incarcération, eu égard notamment aux besoins de réinsertion des délinquants.
C'est dans l'urne que les électeurs devraient manifester leur désaccord avec les tenants d'un populisme sécuritaire moutonnier.
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Jean-Claude Hébert - Avocat


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